Mémoire au Comité permanent de la Citoyenneté et de l'immigration sur le Projet de loi C-63 (Nouvelle loi sur la citoyenneté proposée)

MÉMOIRE AU COMITÉ PERMANENT DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION SUR LE PROJET DE LOI C-63 (NOUVELLE LOI SUR LA CITOYENNETÉ PROPOSÉE) AVRIL 1999


Introduction
Le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) est une organisation-cadre vouée à la protection des réfugiés au Canada et à travers le monde et à l'établissement des réfugiés et des immigrants au Canada. Environ 140 organisations des quatre coins du Canada sont membres du CCR. Nous avons pour but le respect intégral des droits des nouveaux arrivants et l'intégration sociale réussie des réfugiés et des immigrants au Canada.

Le projet de loi C-63 propose un certain nombre de modifications à la Loi sur la citoyenneté qui nous préoccupent puisqu'elles compromettraient gravement le droit des nouveaux arrivants d'être traités équitablement et nuiraient à leur intégration.

Cependant, nous tenons d'abord à vous signaler que nous sommes heureux que le gouvernement ait décidé de ne pas donner suite à la proposition formulée à plusieurs occasions de retirer le droit automatique à la citoyenneté à ceux qui sont nés au Canada. Nous nous sommes vigoureusement opposés à cette proposition qui allait à l'encontre d'un principe national fondamental sur lequel repose le succès du Canada comme pays composé en grande partie d'immigrants : le principe selon lequel quiconque est né ici jouit de droits égaux à la citoyenneté. Se sont également opposées à la proposition plus de 230 autres organisations de partout au Canada qui, comme nous, déploraient la xénophobie que dénotait la suggestion que certains enfants nés au Canada ne sont pas les bienvenus à cause de leur ascendance.

Création d'une catégorie de citoyens de deuxième ordre
Même si le projet de loi C-63 ne change rien aux droits à la citoyenneté acquis en naissant, il mine à d'autres égards l'accueil que le Canada réserve aux nouveaux arrivants et creuse les inégalités entre les citoyens. Le projet de loi C-63 crée en réalité une catégorie de citoyens de deuxième ordre en permettant au gouvernement de dépouiller les citoyens naturalisés de leur citoyenneté sans que leur soit offerte la protection des voies de droit régulières.

Le projet de loi C-63 confère à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration le pouvoir d'annuler la citoyenneté et élargit les mesures de révocation de la citoyenneté. Cela veut dire que les citoyens canadiens nés à l'extérieur du Canada peuvent perdre leur citoyenneté, même après avoir vécu au Canada pendant de nombreuses années, sans pouvoir recourir aux voies de droit régulières et dans certains cas, sans même avoir droit à une audience.

Les pouvoirs complètement nouveaux d'annulation de la citoyenneté sont définis à l'article 18. Celui-ci permettrait à la ministre d'annuler la citoyenneté d'une personne, dans les cinq années suivant la date d'attribution, si elle est convaincue qu'elle n'y avait pas droit ou qu'elle l'a obtenue en utilisant une fausse identité. Cette disposition peut paraître raisonnable et attrayante dans la mesure où elle prévoit l'annulation de la citoyenneté parce qu'elle n'aurait jamais dû être attribuée. Toutefois, il n'est pas toujours facile de déterminer si la citoyenneté a été acquise illégitimement. Le projet de loi lui-même prévoit que l'intéressé pourrait avoir quelque chose à dire pour sa défense : il propose qu'il soit avisé de la situation et qu'il ait l'occasion de présenter des observations écrites. Mais devant les arguments de la ministre qui croit que la citoyenneté a été acquise illégitimement et ceux du citoyen, qui n'est pas d'accord, qui tranchera ? La ministre. Un système à l'intérieur duquel l'accusateur est aussi le juge ne sert évidemment pas les intérêts de la justice.

Qui plus est, le projet de loi ne précise pas que la ministre doit être convaincue hors de tout doute raisonnable que la citoyenneté a été obtenue illégitimement. Elle n'a qu'à en convaincue. La citoyenneté pourrait ainsi être annulée même dans les cas où il pourrait y avoir divergence d'opinions. Le projet de loi mine en réalité la possibilité d'un recours aux tribunaux puisqu'ils seront forcés de s'en remettre à la décision de la ministre quant à savoir si elle est « convaincue ».

L'actuelle Loi sur la citoyenneté prévoit déjà la révocation de la citoyenneté si elle a été acquise par la représentation erronée, la fraude ou la dissimulation délibérée de faits essentiels. Rien ne justifie l'ajout de l'article 18.

Le projet de loi C-63 propose certaines modifications aux règles régissant la révocation de la citoyenneté. Le mot «délibérée » est supprimé du membre de phrase «dissimulation délibérée de faits essentiels ». Le gouvernement propose ainsi de révoquer la citoyenneté de citoyens qui ont fait à leur insu une erreur dans leur demande originale.

La Loi précise que toute représentation erronée, fraude ou dissimulation dans la demande de résidence permanente peut constituer un motif.

Toutes sortes de circonstances peuvent mener à une conclusion de représentation erronée, dont certaines s'expliquent par une erreur de bonne foi, un mauvais conseil ou des choix difficiles pour des personnes sous pression. À cause des circonstances, les réfugiés particulièrement risquent de commettre de telles erreurs. Tandis que les immigrants peuvent en général exercer un certain contrôle sur leur demande de résidence permanente, les réfugiés ont été forcés de s'enfuir, ont perdu la plus grande partie ou la totalité de leurs biens, y compris leurs documents, et font leur demande à un moment où d'intenses pressions s'exercent sur eux, où ils vivent dans des conditions précaires, où ils n'ont guère accès, sinon pas du tout, à des conseils éclairés et où, dans bien des cas, leur vie dépend du sort qui sera réservé à leur demande.

Prenons, par exemple, Sara [ce n'est pas son vrai nom], une réfugiée iraquienne qui a été emprisonnée dans un pays voisin parce que sa présence dans ce pays de refuge n'était pas autorisée. Elle a été sauvée de la prison par des représentants canadiens et réétablie au Canada. Juste avant de partir pour le Canada, elle a épousé son fiancé de longue date. Elle aurait dû en aviser Immigration Canada, mais elle ne l'a pas fait sur les conseils d'un représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Elle a été mal conseillée, mais la «dissimulation de faits essentiels » ne dénotait aucune malveillance. Cependant, à cause de cette erreur, jusqu'à la fin de ses jours, elle vivra dans la crainte que le gouvernement essaie de lui enlever son statut de citoyenne canadienne et de résidente permanente.

Son cas est loin d'être unique. Il y en a bien d'autres. Pensons aux familles de réfugiés qui ont un enfant pendant qu'elles attendent qu'Immigration Canada ait terminé le traitement de leur dossier, ainsi qu'aux femmes réfugiées qui sont choisies aux fins de réinstallation au Canada et sur qui d'intenses pressions sont exercées pour qu'elles se marient afin qu'un autre réfugié puisse être réinstallé. Il est rare que ces gens reçoivent de bons conseils et des explications claires sur les exigences du droit canadien. Pourtant, la Loi sur la citoyenneté ne fait aucune distinction entre ce genre d'erreur et la fraude volontaire. Le projet de loi C-63 propose d'aller plus loin encore pour prendre au piège d'innocentes victimes en faisant de la dissimulation à son insu un motif de révocation de la citoyenneté. Même s'ils sont citoyens canadiens depuis des dizaines d'années, une simple erreur faite avant même que ces gens viennent au Canada peut revenir les hanter.

Selon le paragraphe 16(4), la révocation de la citoyenneté pourrait maintenant viser également les enfants ou d'autres personnes à charge. Les enfants ne devraient pas avoir à subir les conséquences des erreurs de leurs parents. Le Ministère a donné à entendre que la disposition ne s'appliquerait normalement pas dans les cas où les enfants seraient au Canada depuis longtemps, mais le projet de loi n'offre aucune protection en ce sens. Il fait en sorte qu'il serait possible pour des citoyens qui ont grandi au Canada et qui ont passé la plus grande partie de leur vie ici de voir leur citoyenneté révoquée en raison d'une erreur ou d'une action frauduleuse dont ils étaient entièrement innocents.

Le CCR recommande que l'article 18 soit supprimé et que les dispositions actuelles relatives à la révocation de la citoyenneté ne soient pas modifiées de la manière prévue, au détriment des droits des citoyens.

Renforcement des exigences en matière de résidence pour l'obtention de la citoyenneté
Si le projet de loi C-63 est adopté, les demandeurs de la citoyenneté ne pourront plus faire entrer le temps passé au Canada avant de devenir résidents permanents dans le calcul des trois années de résidence requises. Cela créera des difficultés particulières pour les réfugiés, les personnes acceptées dans le cadre d'évaluation des risques de retour ou pour des considérations humanitaires et les conjoints parrainés. Nous ne comprenons pas très bien pourquoi le temps passé au Canada avant de devenir résident permanent ne devrait pas continuer à compter pour l'obtention de la citoyenneté étant donné que, même s'ils n'ont pas de statut permanent, les gens qui vivent ici apprennent à connaître le pays et développent en sentiment de loyauté. Nous constatons que les dispositions actuelles permettent que soient calculées comme des demi-journées seulement les journées passées au Canada avant de devenir résident permanent, ce qui dénote l'importance spéciale au statut de résident permanent.

Ils peuvent avoir attendu patiemment ( ou impatiemment ) une audience dans le cadre du processus de reconnaissance du statut de réfugié. Ils peuvent avoir passé des mois frustrants, voire des années, à attendre le traitement de leur demande de résidence permanente. Est-ce juste de pénaliser encore plus les réfugiés pour les retards dans notre processus ?

Certains réfugiés se sont vu imposer des périodes d'attente particulièrement longues pour des raisons échappant à leur contrôle. Le gouvernement évalue à 13 000 le nombre des réfugiés au sens de la Convention qui sont prisonniers d'un vide juridique, incapables de devenir résidents permanents parce que la loi canadienne les oblige à produire des pièces d'identité. La plupaart de ces réfugiés sont des Somaliens et des Afghans, des réfugiés de pays où il n'y a pas en place de gouvernement qui pourrait leur fournir des pièces d'identité. La catégorie de réfugiés au sens de la Convention non munis de documents leur offre une possibilité de résidence permanente après cinq années d'attente à partir de la date où ils obtiennent la reconnaissance du statut de réfugiés. Il y a aussi d'autres réfugiés pour qui il n'existe pas de programme et qui devront attendre indéfiniment - par exemple, les réfugiés kosovars qui ne peuvent pas produire de pièces d'identité parce que les autorités gouvernementales détruisent systématiquement toute preuve de leur identité dans leurs efforts de persécution.

Parce qu'ils sont tenus de produire des pièces d'identité, les réfugiés sont couramment forcés d'attendre sept ans ou plus longtemps encore après leur arrivée au Canada avant de se voir accorder le statut de résident permanent. En vertu du projet de loi proposé, il leur faudrait ensuite attendre trois années de plus pour pouvoir faire une demande de citoyenneté. Cela ajouterait encore davantage à la discrimination dont sont victimes certaines communautés au Canada, discrimination qui les empêche de devenir membres à part entière de la société.

D'autres réfugiés sont confrontés à des délais, qui se prolongent parfois pendant de nombreuses années, soit parce qu'ils ne peuvent recueillir l'argent nécessaire pour payer les droits de résidence permanente ( frais de traitement de 500 $ par adulte et de 100 $ par enfant en plus des droits de 975 $ exigés par adulte pour l'établissement ) soit parce que le triage sécuritaire prend un temps extrêmement long.

Les réfugiés viennent au Canada non pas comme visiteurs, mais parce qu'ils sont forcés de s'y faire une nouvelle vie. Ils sont immédiatement plongés dans les réalités de la vie quotidienne au Canada : s'y retrouver dans les systèmes de santé et sociaux, trouver et meubler une maison, chercher du travail, aller à l'école. Il en est de même pour les gens qui viennent au Canada retrouver leur conjoint ou pour ceux qui sont acceptés à l'issue de l'examen des risques. Il est tout à fait illogique de penser que tout ce temps et toute l'expérience acquise ne compteraient pour rien dans l'obtention de la citoyenneté canadienne parce qu'ils n'ont pas encore le statut de résident permanent.

L'acquisition de la citoyenneté revêt une importance particulière pour les réfugiés. Un grand nombre d'entre eux tiennent énormément à la sécurité que garantit la citoyenneté. Cela est particulièrement vrai pour les réfugiés qui ont subi des traumatismes très graves, en raison de tortures ou d'autres formes de violence organisée. Les réfugiés qui, avant leur arrivée au Canada, ont pendant des années vécu une existence marginale dnas des camps de réfugiés ou sont allés de pays en pays munis de permis temporaires, désirent fortement avoir un endroit où ils peuvent vraiment être chez eux. Tous les réfugiés ont d'une façon ou d'une autre été rejetés par leur pays d'origine qui n'a pas su les protéger et ont donc particulièrement hâte d'être adoptés entièrement et officiellement par leur nouveau pays. Bon nombre d'entre eux sont en réalité des apatrides. Pour toutes ces raisons, il serait cruel d'imposer une période d'attente additionnelle pour l'obtention de la citoyenneté comme le veut le projet de loi C-63.

Le CCR recommande le maintien des dispositions actuelles selon lesquelles le temps passé au Canada avant l'obtention de la résidence permanente compte.

Renforcement des exigences linguistiques
Le projet de loi C-63 imposera des exigences linguistiques plus rigoureuses aux demandeurs de la citoyenneté en exigeant qu'ils démontrent une connaissance du Canada sans l'aide d'un interprète.

Le CCR est complètement dévoué à la promotion de l'acquisition des langues officielles par les nouveaux arrivants et croit que la capacité de parler le français ou l'anglais est essentielle à l'intégration. Néanmoins, il importe de tenir compte des expériences et situations différentes que chacun a vécues. Tous les nouveaux arrivants ne sont pas capables d'apprendre une langue assez bien pour pouvoir discuter de questions plutôt complexes comme le mécanisme de votation.

Nous craignons que les changements proposés aux règles actuelles ne pénalisent certaines personnes vulnérables qui pourraient avoir de la difficulté à apprendre une nouvelle langue, par exemple les personnes âgées, les victimes de torture ou d'autres personnes gravement traumatisées.

La loi actuelle exige déjà des demandeurs qu'ils aient une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada. Nous croyons qu'une « connaissance suffisante » est en fait adéquate.

Le CCR recommande que la proposition de retirer aux demandeurs le droit à l'aide d'un interprète pour montrer leur connaissance du Canada soit abandonnée.

Perte du pouvoir discrétionnaire dans la prise de décision
En vertu du projet de loi C-63, les décisions au sujet de la citoyenneté seront désormais prises, non plus par un juge de la citoyenneté jouissant de pouvoirs discrétionnaires, mais par un fonctionnaire devant s'en tenir à des lignes directrices précises. Nous craignons que cela atténue la capacité de tenir compte de considérations humanitaires. Par exemple, les demandeurs peuvent avoir des raisons impérieuses de demander la citoyenneté, mais ne pas satisfaire à l'exigence de trois années de résidence physique parce qu'ils ont dû quitter le Canada pour s'occuper de parents malades. La loi actuelle prévoit aussi que compte peut être tenu de considérations humanitaires de diverses autres façoons et les juges de la citoyenneté sont bien placés pour exercer ce pouvoir discrétionnaire. Par exemple, un réfugié très traumatisé de moins de 18 ans peut rechercher la sécurité qu'offre la citoyenneté. Certaines personnes qui ont de la difficulté à apprendre une nouvelle langue, comme nous l'avons dit ci-dessus, peuvent être exemptées de l'application des exigences linguistiques. Un juge de la citoyenneté peut faire des exceptions dans de tels cas. Le projet de loi C-63 préserve la possibilité d'exercer un pouvoir discrétionnaire (par. 6(3)), mais nous ne savons pas très bien comment un demandeur qui ne traite qu'avec un fonctionnaire pourra obtenir qu'il tienne compte de sa situation particulière. D'après notre expérience, les fonctionnaires sont beaucoup moins prêts que les décideurs indépendants à aller au-delà des règles ordinaires relatives aux considérations humanitaires.

Le CCR recommande que le projet de loi soit modifié de manière à permettre une plus grande souplesse et l'exercice d'un plus grand pouvoir discrétionnaire dans la prise de décision.

Le pouvoir du Cabinet de refuser la citoyenneté est trop vaste
Le projet de loi C-63 confère au Cabinet le pouvoir de refuser la citoyenneté dans « l'intérêt national » sans donner de définition de ce terme. Cela ouvre la porte à des dénis hautement politiques de la citoyenneté. Le demandeur n'a pas accès aux voies de droit régulières. La notion de « l'intérêt national » n'est pas définie et, même si elle l'était, il serait difficile d'imaginer comment elle pourrait être définie de manière à ne pas poser de problème.

Le CCR recommande la suppression de cette proposition.

Apatridie
Le CCR est préoccupé par la persistance et l'aggravation du problème de l'apatradie à l'échelle mondiale et exhorte le gouvernement à modifier le projet de loi de manière à s'assurer qu'il ne contribue pas à faire augmenter le nombre des apatrides. Même si les dispositions relatives à l'acquisition de la citoyenneté par ascendance permettent au Canada de s'acquitter de ses obligations découlant de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie, nous craignons que des gens dont les parents sont Canadiens ne deviennent apatrides.

Par exemple, prenons le cas hypothétique d'un Canadien qui est né à l'extérieur du Canada et qui épouse une citoyenne d'un autre pays. Ils ont une fille qui acquiert les deux nationalités. Celle-ci grandit et vit dans cet autre pays, mais, à l'âge de 26 ans, elle est forcé de s'enfuir de ce pays comme réfugiée et on lui enlève sa citoyenneté. En tant que citoyenne canadienne, elle pourrait venir au Canada, mais, lorsque'elle aura 28 ans, elle perdra sa citoyenneté canadienne et deviendra apatride parce qu'elle n'aura pas vécu au Canada pendant trois ans (art. 14).

Le CCR recommande que le projet de loi définisse l'objectif de la prévention de l'apatridie et élargisse les dispositions relatives à l'attribution de la citoyenneté afin que tout enfant dont la mère ou le père est canadien et qui serait autrement apatride se voit accorder la citoyenneté canadienne.