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Pourquoi les États-Unis ne sont pas sûrs pour les réfugiés : contester l’Entente sur les tiers pays sûrs

Document d’information, Juillet 2018

“La seule fois où je me souviens avoir ressenti de l’espoir durant ces dernières années était lorsque nous avons pris la décision de venir au Canada. Nous espérions y trouver la sécurité, à défaut de pouvoir la trouver aux États-Unis. Nous étions confiants en l’avenir. Mais le Canada nous a refoulés et livrés à nos geôliers. Maintenant, il n’y a plus d’espoir. » Un homme détenu par les autorités d’immigration aux États-Unis après avoir été refoulé par le Canada en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Il est séparé de sa femme, également détenue.

Résumé

Depuis 2004, le Canada désigne les États-Unis comme un pays sûr pour les réfugiés, en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre les deux pays. Cette désignation ferme la porte à la plupart des demandeurs d’asile qui se présentent à un point d’entrée officiel à la frontière entre les États-Unis et le Canada : au lieu d’être autorisés à entrer au Canada pour présenter une demande d’asile, ils sont renvoyés aux États-Unis, où beaucoup sont détenus.

En juillet 2017, le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), Amnesty International (AI) et le Conseil canadien des églises (CCE) se sont joints à une plaignante individuelle et ses enfants, dans une contestation judiciaire de l’Entente sur les tiers pays sûrs à la Cour fédérale. La contestation est basée sur les preuves exhaustives démontrant que les États-Unis ne sont pas sûrs pour tous les réfugiés. Refouler les demandeurs d’asile aux États-Unis viole leurs droits fondamentaux, et fait du Canada un complice de refoulement (ou retour forcé) lorsque les États-Unis renvoient certains de ces individus dans leur pays d’origine, où ils risquent d’être victimes de persécution, de torture, et même de mort. En juillet 2018, les organismes ont finalisé la soumission de leurs preuves.

Se retirer de l’Entente sur les tiers pays sûrs conduirait à une meilleure gestion des demandes du statut de réfugié à la frontière canadienne, ainsi qu’au respect des droits des demandeurs. Étant donné que l’Entente ne s’applique pas aux personnes qui entrent au Canada sans passer par les postes frontaliers officiels, de plus en plus d’individus en quête de sécurité arrivent de façon irrégulière au Canada, mettant parfois leur vie en danger, surtout pendant l’hiver. Se retirer de l’Entente serait non seulement conforme aux engagements en vertu des droits humains du Canada, mais cela permettrait également aux individus de se présenter de manière ordonnée à un point d’entrée, mettant fin aux entrées irrégulières et aux voyages périlleux.

Pourquoi renvoyer les demandeurs du statut de réfugié aux États-Unis viole la Charte

Dans le cadre de la contestation judiciaire de la désignation des États-Unis comme tiers pays sûr, le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnesty International et le Conseil canadien des églises ont déposé des preuves exhaustives démontrant que renvoyer les demandeurs du statut de réfugié aux États-Unis constitue une violation de leurs droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

Les preuves démontrent clairement que le système américain n’assure pas la protection des réfugiés, et qu’il ne peut donc être considéré comme sûr.

Notamment, les organismes affirment que renvoyer les demandeurs du statut de réfugié aux États-Unis constitue une violation de leurs droits énoncés à l’article 7 et à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Article 7 de la Charte

« Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

Article 15 de la Charte

« La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. »

Pourquoi les réfugiés renvoyés aux États-Unis sont à risque de refoulement vers la persécution, la torture, et la mort

Le gouvernement canadien a désigné les États-Unis comme « tiers pays sûr », car il prétend que les demandeurs qui ont besoin de protection en tant que réfugiés pourront recevoir cette protection aux États-Unis. Mais les États-Unis ne sont pas sûrs pour tous les réfugiés : de nombreux individus qui correspondent à la définition internationale de réfugié sont privés de protection et refoulés (ou renvoyés de force) dans leur pays d’origine, où ils risquent d’être victimes de persécution, de torture, et même de mort.

Voici certains des aspects principaux par lesquels les États-Unis n’assurent pas la protection des réfugiés :

  • Interprétation de la définition de réfugié
  • Barrières procédurales aux demandes d’asile
  • Obstacles empêchant les réfugiés de présenter leur demande correctement

Pourquoi les droits sont-ils violés lorsque les demandeurs du statut de réfugié sont renvoyés en détention aux États-Unis

Les individus renvoyés par le Canada aux États-Unis sous l’Entente sur les tiers pays sûrs courent un risque élevé d’être détenus arbitrairement, dans des conditions qui violent les normes internationales.

Les preuves d’experts soumises révèlent la nature abusive des détentions à travers les États-Unis. Les détentions sont arbitraires et motivées politiquement, les familles sont séparées, les conditions sont épouvantables, les soins médicaux sont inadéquats, et les détenus sont sujets à des violences sexuelles.

Pourquoi les femmes sont-elles disproportionnellement affectées en étant renvoyées aux États-Unis

Les femmes sont disproportionnellement affectées par l’interdiction de présenter une demande après une période d’un an, ainsi que par les restrictions sur la reconnaissance de demandes liées au genre aux États-Unis.

Les obstacles comme le manque d’accès aux avocats, et la détention aggravent le manque de protection pour les femmes qui demandent l’asile aux États-Unis.

L’histoire de « Morgan », renvoyée aux États-Unis sous l’Entente sur les tiers pays sûrs

Morgan (prénom fictif) s’est présentée à la frontière canadienne en 2015 afin de demander l’asile. À sa grande consternation, les agents canadiens ne lui posaient pas des questions concernant sa raison de fuir son pays d’origine (où sa vie est menacée parce qu’elle dénonçait la corruption politique). On lui demande plutôt si elle a de la famille au Canada, et la réponse étant négative, on la refoule vers les États-Unis, épuisée, confuse et effrayée.

Comme de nombreux autres demandeurs d’asile renvoyés à la frontière canadienne en vertu du tiers pays sûr, les autorités américaines l’envoient en détention, dans son cas à la prison Clinton County. Son crime? Elle est accusée d’avoir obtenu son visa de façon frauduleuse parce qu’elle venait non pas pour visiter les États-Unis, mais pour chercher l’asile.

Dans la prison Clinton County, elle passe 10 jours en isolement (elle aurait dû être en isolement pendant 3 jours en attendant les résultats d’un test pour la tuberculose, mais on l’oublie). Un mur de la cellule est en verre et les gardiens et toute autre personne peuvent regarder ce que la personne isolée fait, même lorsqu’elle utilise la toilette dans la cellule, qui n’a aucun rideau.

Les conditions dans la prison sont extrêmement sévères. Il fait très froid et les uniformes que les détenues doivent porter sont très légers. Les gardiens sont agressifs et arbitrairement cruels : par exemple, quand Morgan et d’autres femmes regardaient la messe à la télévision le dimanche, un gardien fermait régulièrement la télévision.

Les agents d’immigration viennent la visiter et la somment de remplir des formulaires, mais ils sont en anglais et Morgan ne comprend pas quoi faire. On lui donne une liste d’avocats, mais comment trouver un avocat quand on ne parle pas anglais et on peut seulement téléphoner à frais virés?

Elle passe devant la cour d’immigration et on lui impose une caution de 10 000$. Encore une fois, on ne lui demande pas pourquoi elle est venue. « Je suis venue pour une chose spécifique, qui était la protection, et à la place j’ai reçu tant de mépris et de douleurs. »

Finalement, après 51 jours elle a pu être libérée, grâce à sa famille qui a trouvé un avocat compétent et a ramassé l’argent pour la caution. Mais elle a laissé derrière elle d’autres femmes qu’elle y a rencontrées. Morgan se souvient de ces femmes : « Elles étaient mères d’enfants ou bien des jeunes femmes, qui avaient fui leur pays d’origine pour différentes raisons. Elles priaient nuit et jour de ne pas être déportées dans leur pays d’origine où elles craignent la mort ou des persécutions. Hélas, elles se retrouvaient coincées dans un pays qui ne souciait pas de leurs droits et de surcroit elles n’avaient personne pour payer la caution qui pouvait leur acheter plus de temps ou se permettre des avocats compétents. »

Après sa libération, elle a poursuivi ses efforts afin d’obtenir l’asile, mais elle a perdu espoir après l’élection du président Trump, en voyant la vague anti-immigrants.

En août 2017, elle a suivi l’exemple de milliers et a traversé la frontière au chemin Roxham. Elle se trouve maintenant au Canada, mais l’impact du tiers pays sûr continue de la bloquer. Elle ne peut pas présenter une demande d’asile (la loi permet une seule demande par personne). Un moratoire sur les renvois vers son pays d’origine la protège de l’expulsion, mais elle demeure au Canada dans un vide juridique, sans aucun statut.

Ce que les Canadiens peuvent faire 

  • Contacter votre député.e a u cours de l’été; participer à un barbecue d’été ou organiser une réunion pour partager vos préoccupations personnelles à propos de l’Entente, et encourager la/le à appuyer le retrait de l’Entente.
  • Écrire une lettre à votre député et/ou au ministre de l’Immigration, des Réfugiés, et de la Citoyenneté, Ahmed Hussen.
  • Organiser un événement de sensibilisation sur l’Entente et ses impacts sur les réfugiés. Le CCR, le CCE, et AI peuvent vous diriger vers des intervenants pertinents et vers d’autres ressources.

Pour de plus amples informations sur les preuves présentées dans le cadre de la contestation judiciaire, voir la version en anglais.