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L'utilisation de la charte pour contester des cas de discrimination

 

L'utilisation de la charte pour contester des cas de discrimination

envers des réfugiés et des immigrants

Atelier juin 1997

 

Introduction

 

Le Conseil canadien pour les réfugiés a reçu un financement du Programme de contestation judiciaire afin de tenir un atelier de 3 heures axé sur la mise sur pied de stratégies et de réseaux appliqués à d'éventuelles contestations judiciaires pour combattre plusieurs mesures discriminatoires auxquelles font face les réfugiés et immigrants. Cette session constituait en partie un suivi à la session tenue durant la conférence du CCR à Aylmer en novembre 1996, où la discussion avait porté sur la contestation judiciaire déjà engagée concernant les pièces d'identité exigées pour l'obtention de la résidence par les réfugiés au sens de la Convention. La session à Edmonton en juin 1997 allait permettre, espérait-on, d'élargir la discussion et surtout, de créer un espace de discussion facilitant un plus grand niveau d'interactions et d'échanges d'informations de la part des communautés concernées à travers le Canada et, idéalement, des stratégies légales mieux ciblées.

 

Une soixantaine de personnes ont assisté à la session à Edmonton. La plupart d'entre eux n'étaient pas avocats et travaillaient auprès d'organismes communautaires ou d'agences ethnoculturelles spécifiques. Néanmoins, les avocats ont joué un rôle important dans le groupe en aidant à lancer la discussion lors de la session plénière d'ouverture. Cette session plénière a contribué à formuler certaines des questions à être discutées ainsi qu'à exposer les fondements historiques et légaux à travers lesquels les membres des groupes pouvaient réinterpréter leur propres expériences de discrimination au sein du système d'immigration canadien. Avant tout, la session plénière fut l'occasion pour les avocats et le CCR d'expliquer au groupe en entier l'importance d'une approche ancrée dans les communautés lors des litiges liés à la charte, particulièrement en documentant les effets de la discrimination. Suite à la session plénière, les participants ont pu se réunir en petits groupes pour discuter d'enjeux spécifiques et s'échanger des informations.

 

La session plénière

 

Fondements historiques de la discrimination dans la politique canadienne en matière d'immigration (Chantal Tie)

 

Jusqu'aux années 1960, le Canada choisissait ses immigrants sur la base de leur catégorie raciale, et non à partir de mesures d'évaluations du mérite individuel des candidats. Ce qui a distingué le Canada des États-Unis et de l'Australie est que cette politique de "blancs seulement" n'a jamais été reconnue publiquement. À part l'exclusion des Chinois, qui était le résultat d'un acte législatif ouvertement déclaré, l'exclusion d'autres groupes sur la base de la race s'est faite à travers le jumelage de règlements par décret du conseil, de directives de politiques, et de l'application stricte d'exigences en matière d'immigration, de santé et de ressources monétaires en apparence neutres, contre certains groupes définis en fonction de leur race. La pratique canadienne en matière d'immigration avait deux caractéristiques principales : un important pouvoir discrétionnaire réservé au ministre, et un manque de contrôle judiciaire.

 

Des moyens spécifiques ont été mis en oeuvre pour exclure certains groupes définis en fonction de leur race. Par exemple, les Chinois furent forcés de payer un droit d'entrée et un ratio passager/tonnage exagérément élevé fut imposé; en 1923, l'entrée à l'immigration fut explicitement fermée aux Chinois. En contraste, les Japonais furent effectivement exclus mais par le biais d'une entente secrète appelée l'entente Lemieux, qui fut conclue entre les gouvernements du Japon et du Canada. Par après le gouvernement du Canada imposa un décret du conseil de "voyage ininterrompu" de sorte que les immigrants Japonais ne pouvaient arriver que directement du Japon, s'assurant ainsi qu'ils seraient assujettis aux restrictions de l'entente Lemieux.

 

Plusieurs Canadiens ont entendu parler du "chemin de fer" clandestin qui amena des Noirs Américains fuyant l'esclavage au Canada. Mais peu connaissaient le chemin de fer antécédent, celui-ci en direction sud, avant l'abolition de l'esclavage dans ce qui aujourd'hui est territoire canadien. Par après, lorsque des fermiers américains furent invités à s'installer dans l'Ouest canadien, les fermiers Noirs furent clairement invités à ne pas le faire. Les agents d'immigration aux Etats-Unis reçurent des directives pour cesser de donner des informations aux Noirs, pénaliser les compagnies ferroviaires qui distribuaient les subventions aux Noirs, et décourager activement les Noirs à immigrer au Canada en leur parlant du climat trop froid et des Canadiens trop hostiles à leur égard. En fin de compte, les Noirs comme les Chinois, entrés sous les règles de la taxe d'entrée, ainsi que les Juifs d'Europe, eurent à subir des examens médicaux plus approfondis que les Blancs. Enfin, un décret du conseil fut émis en 1911, interdisant formellement l'entrée des Noirs au Canada; toutefois, les autres mesures avaient déjà stoppé l'immigration de Noirs au Canada.

 

Les immigrants du sous-continent indien furent l'objet de mesures semblables : ils eurent à verser un droit d'entrée et à satisfaire aux exigences du "voyage ininterrompu". N'ayant pas obtenu la coopération du gouvernement indien afin de restreindre l'immigration, le gouvernement canadien ordonna au Canadien Pacifique l'arrêt de la vente de billets de voyages ininterrompus à partir de l'Inde. Ainsi toute immigration en provenance de l'Inde fut arrêtée. Après que l'Inde, le Pakistan et le Ceylan (Sri Lanka) aient acquis leur indépendance, le Canada négocia des ententes restrictives directement avec ces pays. En comparaison, les immigrants blancs n'eurent à satisfaire pratiquement aucune exigence d'entrée et furent souvent aidés financièrement et soignés jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de subvenir à leurs besoins.

 

Depuis 1960, où fut introduit un système de points pour la sélection des immigrants, le concept de race ne fut plus utilisé officiellement comme un élément pertinent. Aujourd'hui, plus de 82% des immigrants proviennent de pays du tiers-monde. Ainsi, lorsqu'aujourd'hui le gouvernement opte pour restreindre le parrainage de membres de la famille ou imposer une nouvelle "taxe d'entrée", à première vue sans faire de distinctions selon l'origine, en fait l'impact de ces mesures se fait sentir auprès des 82% d'immigrants venant de groupes qui, jusqu'à récemment, se voyaient interdire l'accès à nos frontières. Il est aussi intéressant de remarquer que des mesures d'interdiction en apparence "nouvelles", telles que les sanctions aux transporteurs, les exigences d'identité et médicales, et la non-disponibilité de l'information sur l'immigration dans plusieurs pays du tiers-monde, font partie de l'histoire de la politique canadienne en matière d'immigration. Entretemps les deux caractéristiques principales, soit un manque de contrôle judiciaire et un vaste pouvoir discrétionnaire réservé au ministre, persistent à ce jour.


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Qu'est-ce qu'un cas de discrimination ? (Avvy Go)

 

Afin de déterminer si un "droit en vertu de la Charte" a été bafoué, il faut se référer à la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la constitution canadienne de 1982. Les sections suivantes sont particulièrement significatives en ce qui a trait aux immigrants et réfugiés :

 

Liberté de circulation et d'établissement : s.6(1), (2)

 

s.7 Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

s.15

(1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

 

s.27

Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

 

s.28 les droits et libertés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

 

s.32

(1) La présente charte s'applique au Parlement et au gouvernement du Canada et à la législature et au gouvernement de chaque province.

 

s.1 Garantie des droits et libertés - dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

 

Le Programme de contestation judiciaire porte son attention spécifiquement vers des litiges en vertu de la section 15 de la charte; de fait, la section 15 constitue le point de départ de la plupart des cas de discrimination. Comment savoir si votre droit en vertu de la section 15 a été bafoué ? Vous devez d'abord identifier une loi, une politique ou un acte du gouvernement qui vous prive de la protection et du bénéfice de la loi, des suites d'une loi qui vous singularise du fait que vous faites partie d'un groupe ayant été défavorisé (la section 15 en fournit des exemples). Il s'agit alors de discrimination directe. La taxe d'entrée envers les Chinois, par laquelle tous les Chinois devaient payer la taxe spéciale, en est un exemple historique. L'autre type de discrimination est la discrimination avec effet nuisible, au sens où une loi ou une action gouvernementale a un effet nuisible sur votre personne parce que vous faites partie d'un groupe désavantagé. Un exemple de ce type de discrimination pourrait être le droit exigé pour l'établissement, où il est dit que tous les immigrants doivent payer des frais. Toutefois, ceci en affecte certains plus que d'autres. Enfin, pour que le gouvernement justifie la loi, la politique ou l'acte, l'objectif identifié par le gouvernement dans l'esprit de la loi doit être substantiellement important, la loi ou l'action doit avoir une adéquation rationnelle avec l'objectif mentionné, la loi ne doit pas limiter des droits au-delà de ce qui est nécessaire, et la loi ne doit pas affecter de façon trop sérieuse les personnes touchées par son application.

 

L'organisation au sein des communautés en vue de contestation judiciaire (Avvy Go)

 

Pour arriver à une réussite lors d'une contestation d'une loi ou d'une politique gouvernementale, en tant qu'activistes communautaires et avocats il est essentiel de jouir du soutien des communautés touchées. La raison en est que la plupart des discriminations menant à des litiges sont des discriminations avec effets nuisibles. Conséquemment, afin d'établir d'abord qu'il y a discrimination, il faut effectuer une recherche dans la communauté pour documenter les effets de la politique ou de la loi gouvernementale. C'est là souvent une des étapes les plus difficiles dans la mise sur pied d'une contestation judiciaire. Un exemple nous est fourni par des immigrants parrainés en Ontario étant considérés comme bénéficiant d'un revenu provenant de leurs parrains. Un autre exemple est celui où l'enjeu concerne des fiancées arrivant au Canada mais qui, après la limite de 90 jours, ne se sont pas mariées parce qu'abusées par le fiancé parrain au Canada. Dans les deux cas, plusieurs membres des communautés immigrantes étaient réticents à exposer les faits, de peur de la publicité négative par une éventuelle couverture médiatique liant immigrants au bien-être social ou à la violence domestique. Toutefois, à travers beaucoup d'échanges d'informations, les cas portés devant la cour ont pu être traités une fois que les communautés ont été convaincues de la nécessité de revendiquer leur droits.

 

Les sessions en petits groupes

 

Le groupe initial a été divisé en trois plus petits groupes, chacun co-animés par un avocat et un activiste communautaire. Ces groupes étaient constitués principalement de personnes n'étant pas des avocats, qui travaillent avec des communautés de nouveaux immigrants et réfugiés à travers le Canada.


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Brain-storming par petits groupes

 

Le recours à la Loi sur l'immigration pour punir des criminels ou des "personnes dangereuses" est de plus en plus fréquent. Ainsi, des non-citoyens n'ont pas accès aux mêmes droits et garanties procédurales que des citoyens criminels. Cet enjeu s'avère difficile à régler lorsqu'on tente de mobiliser les communautés touchées, à cause de la stigmatisation découlant de la criminalité. De plus, les échéances entraînées par l'émission d'un certificat de "danger pour le public" ne permettent pas une préparation adéquate pour la défense par un conseiller juridique compétent. Une plus grande coopération entre les avocats au criminel et ceux de l'immigration est ainsi nécessaire, particulièrement dans les situations de "danger pour le public".

 

- L'accessibilité à la formation linguistique fédérale (anglais ou français). Ces programmes n'acceptent pas les immigrants lorsque ceux-ci ont acquis la citoyenneté, ni les personnes exclues de l'ensemble du processus de réfugié.

 

- L'accès à une éducation adéquate pour les enfants réfugiés est aussi une question qui peut être examinée par la perspective des droits de la personne. Les enfants réfugiés perdent souvent de 3 à 10 ans d'éducation durant le processus par lequel ils acquièrent le statut de réfugié au Canada. Plusieurs finissent par décrocher complètement du système scolaire. L'impact des compressions budgétaires provinciales est particulièrement visible ici, du fait que des enfants ayant des besoins particuliers sont forcés de se joindre aux classes normales. Le gouvernement fédéral devrait mettre en place des normes, en particulier pour s'assurer que les réfugiés parrainés par le gouvernement soient en mesure de recevoir une éducation adéquate. Est-ce que le Canada est à la hauteur de ses engagements en tant que signataire de la Convention des droits des enfants en ce qui a trait à l'éducation élémentaire ?

 

- Les garanties pour le parrainage de 10 ans constituent des barrières à l'immigration et à la réunification familiale, et représentent une injustice d'autant plus lorsque l'immigrant parrainé devient un citoyen (tout en n'ayant pas le même accès aux services sociaux que les autres citoyens).

 

- L'accessibilité des programmes de sécurité du revenu. Certains se sont vus refuser leurs demandes visant à obtenir des prestations de sécurité du revenu pour leurs clients. Par exemple en Colombie-Britannique, les réfugiés et immigrants ne reçoivent qu'une "prestation de dernier recours" plutôt que des prestations régulières, jusqu'à ce qu'ils obtiennent leur résidence. L'accessibilité est très arbitraire. Il y a souvent des délais causés par l'absence de documentation adéquate. En Alberta, un mémo interne circulant au département de sécurité du revenu a été découvert, portant le titre "comment faire en sorte que les demandeurs du statut de réfugié ne reçoivent plus de prestations de sécurité du revenu", d'une longueur de 12 pages. Les personnes qui se déplacent d'une province à l'autre se voient régulièrement refuser ou retarder l'accès à des fonds, même pour une aide d'urgence. Il appert toutefois difficile de mettre sur pied des contestations en vertu des droits de la charte sur la base de ces questions, suite à la réticence des cours à reconnaître la pauvreté à titre de "raison similaire".

 

- La rupture du parrainage et la sécurité du revenu - A travers le pays, certains bureaux de la sécurité du revenu refusent de reconnaître qu'une personne est dans une situation de rupture de parrainage, à moins que l'Immigration l'ait d'abord officiellement reconnu. En Alberta par exemple, le CIC ne fera pas cette déclaration tant que le parrain n'aura pas signé un formulaire indiquant pourquoi celui-ci ne soutient plus la personne parrainée. Ce processus met en péril la vie des femmes.

 

- Soins de santé - une fois reconnu comme réfugié au sens de la Convention, le programme intérimaire de santé fédéral se termine mais les programmes provinciaux ne débutent pas nécessairement à ce moment.

 

- Il y a eu aussi des discussions sur la façon à prendre pour contester des politiques écrites ou non-écrites qui semblent discriminatoires, ou tout simplement mauvaises, mais qui ne constituent pas nécessairement une contestation de la charte. Il existe d'autres recours légaux à part la mise sur pied d'une contestation en vertu de la charte à une instance juridique supérieure. Par exemple, vous pouvez habituellement en appeler de décisions administratives par le biais de tribunaux de révision spécifiques. Il a été toutefois souligné que si vous croyez qu'il y a des questions reliées à la charte, il est toujours très important de soulever ces questions dès le départ, car la cour risque de refuser d'examiner ces éléments lorsque présentés plus tard.

 

- Les questions des pièces d'identité ont aussi été abordées. Les exigences, relativement nouvelles, du gouvernement en matière de pièces d'identité pour l'obtention de la résidence ont eu un impact énorme dans plusieurs communautés en particulier. La réunification familiale devient pratiquement impossible de même qu'une myriade d'autres bénéfices sociaux et de droits. Une contestation juridique est présentement menée par des Somaliens à Ottawa.

 

- Le recours accru aux tests d'ADN et les demandes par l'Immigration de faire des tests d'ADN pour prouver les liens familiaux lors du parrainage de proches vivant à l'étranger s'avèrent très coûteux. Le CIC n'accepte plus les preuves qu'il acceptait par le passé. Cela paraît discriminatoire puisqu'ils semblent demander surtout aux ressortissants de pays pauvres, i.e. de l'Afrique ou de l'Asie, de se procurer des tests d'ADN et refusent des documents comme preuves.

 

Conclusion

 

Les participants ont exprimé des sentiment d'isolement dans leurs petites agences. Les discussions leur ont semblé particulièrement utiles et bénéfiques. Plusieurs ont estimé avoir manqué de temps puisque la compréhension et l'intégration de l'information et des enjeux présentés lors de la session plénière a pris en soi une bonne partie du temps. Il a été souhaité que la prochaine consultation du CCR à Toronto fournirait une autre occasion pour poursuivre et approfondir la discussion.