Aller au contenu principal

Lettre concernant l'indépendance du système canadien de détermination du statut de réfugié

Lettre envoyée conjointement par le Conseil canadien pour les réfugiés, l'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, Amnesty International Canada (section anglophone) et l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique

 

Le 31 mai 2018

L’honorable Ahmed Hussen, C.P., député
Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6

Objet : L’indépendance du système canadien de détermination du statut de réfugié

Monsieur le Ministre,

Un examen indépendant des procédures de détermination du statut de réfugié à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a été établi au printemps dernier afin de déterminer les possibilités de réaliser des gains d’efficacité et d’accroître la productivité. Jusqu’à ce jour, les résultats de cet examen n’ont pas été divulgués. Des préoccupations ont été soulevées à l’égard de la remise en cause par le gouvernement du rôle de la CISR en tant que tribunal quasi judiciaire indépendant responsable de la détermination du statut de réfugié au Canada. Nous vous écrivons afin d’insister sur  la préservation de l’indépendance de la CISR et du système canadien de détermination du statut de réfugié, quel que soit le scénario adopté, et pour demander que l’on écarte dès maintenant l’idée d’éliminer l’indépendance des décisions concernant les demandes d’asile.

À l’occasion de sa dernière visite au Canada, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a souligné le besoin d’indépendance : « La commission doit rester indépendante, ceci est très, très important pour nous ». La CISR doit demeurer responsable de la détermination du statut de réfugié. Elle a acquis une réputation de modèle à travers le monde. De nombreux pays s’inspirent de la CISR canadienne afin d’améliorer leur propre système de détermination du statut de réfugié. Il est essentiel que la détermination du statut de réfugié soit indépendante, et dissociée des autres branches du gouvernement, dont les priorités politiques, diplomatiques, ou institutionnelles pourraient porter atteinte à la crédibilité de la détermination du statut de réfugié.

Les réfugiés font partie des plus vulnérables de notre société. Ils peuvent avoir fui la persécution à cause de leur orientation sexuelle, avoir été torturés à cause de leurs opinions politiques, ou avoir été persécutés pour des raisons raciales ou religieuses. Plusieurs seront torturés, emprisonnés ou tués s’ils sont renvoyés dans leur pays. Les commissaires de la CISR doivent trancher des questions complexes et une erreur peut entraîner des conséquences graves.

L’une des valeurs fondamentales du système judiciaire canadien est l’indépendance des tribunaux qui tranchent des questions sérieuses relatives à la détermination des droits des personnes. De la même manière, les demandes d’asile doivent être déterminées par un tribunal indépendant; agir autrement représenterait un échec pour l’administration de la justice au Canada.

Une telle décision imposerait également un lourd fardeau sur le système d’appel, et serait susceptible d’engendrer de nouveaux problèmes d’efficacité onéreux dans nos cours. Le Canada doit résister à la tentation d’imiter les pays qui ont opté pour un système non judiciaire de détermination du statut de réfugié de premier niveau, de nature moins rigoureuse et de qualité inférieure, et qui conduit à un taux élevé de décisions infirmées en appel. Par exemple, au Royaume-Uni, 41 % des décisions sont annulées par les tribunaux.

La CISR travaille à maximiser son efficacité dans la limite de ses ressources actuelles. Ces efforts portent déjà leurs fruits. En 2017, le taux de finalisation a augmenté de 37 % par rapport à l’année 2016. Bien que certains aspects du processus de détermination du statut de réfugié pourraient incontestablement être améliorés, ces améliorations peuvent et devraient avoir lieu dans le cadre d’une CISR indépendante.

Le gouvernement du Canada a pris la bonne décision lorsque, il y a 30 ans, en réponse à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Singh, il a créé un tribunal quasi judiciaire indépendant pour traiter les demandes d’asiles au Canada, un précédent mondial. Les groupes de la société civile qui se préoccupent des droits des réfugiés dans ce pays n’accepteront pas que cela soit écarté au profit d’un processus qui attribue un pouvoir décisionnel de premier niveau à un organisme non indépendant.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre considération respectueuse.

 

Lobat Sadrehashemi
Présidente
Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés

Claire Roque
Présidente
Conseil canadien pour les réfugiés 

Alex Neve
Secrétaire général
Amnesty International Canada (section anglophone)

Josh Paterson
Directeur général
Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique