Les réfugiés et les documents d'identité

LES RÉFUGIES ET LES DOCUMENTS D'IDENTITÉ

Octobre 1996


 

Réfugiés ayant fui la persécution

  1. Les personnes fuyant la persécution quittent souvent leurs pays sans papier.
  2. Les réfugiés sont souvent obligés de voyager avec de faux papiers parce qu'ils doivent cacher leur identité à leurs persécuteurs et également parce que des pays comme le Canada mettent en place des mesures de restriction visant à les empêcher de demander l'asile.

Reconnaissance du statut de réfugié

  1. Malgré tout, un grand nombre de pays rejettent après étude sommaire la candidature de personnes sollicitant le statut de réfugié au motif qu'ils ne disposent pas de titre de voyage en cours de validité.
  2. Certains pays, tout en permettant l'accès au système de reconnaissance du statut de réfugié, se fondent sur une présomption de non-crédibilité à l'endroit des demandeurs ne disposant pas des documents nécessaires. La Loi sur l'immigration du Canada exige en effet que les deux membres de la Commission jugent favorablement de la crédibilité du demandeur dans les cas où celui-ci s'est débarrassé de ses documents d'identité ou les a détruits sans raisons valables.
  3. Il est arrivé dans certains cas que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié statue que certains demandeurs disposant de papiers d'identité ne peuvent pas se voir accorder le statut de réfugiés justement parce que l'obtention des documents prouverait qu'ils ne sont pas victimes de persécution.
  4. Le tribunal fédéral a statué que la destruction, en sol canadien, des pièces d'identité ne pouvait être considérée comme un élément susceptible de faire pencher la reconnaissance du statut de réfugié d'un côté ou de l'autre. Il arrive en effet souvent que les demandeurs reçoivent le conseil de détruire leurs documents à l'arrivée au Canada. Certains craignent d'être immédiatement renvoyés dans leur pays si les autorités canadiennes mettent la main sur leurs papiers.
  5. Il semble que le ministre étudie la possibilité d'exiger, de la part des réfugiés, la production de pièces d'identité avant le dépôt d'une demande ou encore d'établir une présomption légale selon laquelle l'absence de papiers d'identité enlèverait la crédibilité à la demande.

Acquisition de pièces d'identité après l'arrivée

  1. Pour beaucoup de réfugiés, il est difficile, dangereux et même impossible d'obtenir des pièces d'identité une fois au Canada.
  2. Le gouvernement de certains pays sont destitués ou encore les instances responsables refusent de délivrer des papiers à certains ressortissants, notamment à ceux qui ont fui le pays. Dans les pays en guerre, il arrive que les dossiers soient détruits ou qu'aucun service ne soit en mesure de répondre aux demandes d'information.
  3. Il peut être dangereux pour les réfugiés ou pour les membres de leur famille dans le pays d'origine d'essayer d'obtenir des pièces d'identité. Mis au courant de la situation d'un réfugié, les persécuteurs peuvent revenir à l'attaque. Les réfugiés ne devraient jamais avoir à prendre contact avec le gouvernement du pays qu'ils ont fui.
  4. Reconnaissant que les réfugiés ne sont pas toujours en mesure de produire des pièces d'identité, l'article 27 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés oblige les États contractants à délivrer des pièces d'identité à tout réfugié se trouvant sur leur territoire et qui ne possède pas un titre de voyage valable.

Réalité culturelle

  1. Le Canada (et, en particulier, Citoyenneté et Immigration Canada) se fie beaucoup aux documents écrits pour établir l'identité d'une personne et ses liens avec d'autres. Les naissances, les mariages et les décès sont systématiquement enregistrés au Canada et les renseignements fournis sur les certificats officiels sont fiables. Les procédures d'Immigration Canada sont conçues en fonction de documents écrits.
  2. Cette tendance s'intensifie encore étant donné que CIC traite de plus en plus de demandes par courrier. Cet état de choses rend encore plus difficile la situation des personnes n'ayant pas de documents qui satisfont les autorités canadiennes.
  3. Dans bien des régions du monde, les documents écrits ne revêtent pas une telle importance. Les naissances, les mariages et les décès n'y sont pas nécessairement déclarés officiellement. L'identité et les liens sont établis par d'autres moyens, par exemple par des témoignages.
  4. Le fait d'accorder une grande importance aux pièces d'identité est discriminatoire pour les personnes venant de ces régions du monde et, en particulier, pour certains segments de la population qui sont le moins susceptibles d'avoir de tels documents en main : les femmes, les habitants des régions rurales et les jeunes.
  5. Le fait de mettre l'accent sur les pièces d'identité encourage la fabrication de faux documents. Il favorise les personnes qui recourent à l'utilisation de faux documents et pénalise celles qui s'y refusent.

Statut de résident permanent

  1. Depuis l'adoption du projet de loi C-86, tous les demandeurs doivent avoir en main des pièces d'identité valables pour se voir accorder le droit d'établissement.
  2. Avant l'adoption du projet de loi C-86, les réfugiés au sens de la Convention et d'autres faisant partie de catégories particulières, comme ceux figurant à l'arriéré, se voyaient accorder le droit d'établissement sans pièces officielles si celles-ci n'étaient pas disponibles. Cette façon de procéder ne semble pas avoir posé de problèmes.
  3. Les agents d'immigration refusent d'accorder le droit d'établissement à bon nombre de réfugiés avec pièces d'identité parce qu'ils ne sont pas satisfaits des documents qu'ils produisent. Les agents, qui ont le pouvoir de décider sur la suffisance des papiers produits, choisissent de ne pas accorder le droit d'établissement aux réfugiés, alors qu'ils ont des papiers confirmant leur identité et qu'ils ne peuvent pas en obtenir d'autres.
  4. Le fait de mettre en doute l'identité d'une personne à qui l'on a reconnu le statut de réfugié revient à mettre en doute cette reconnaissance même. Si les représentants du Ministère doutent de l'identité d'un demandeur, ils ont tout loisir de le signaler à l'audience et d'interroger la personne à ce moment-là.
  5. Rien ne suggère qu'il se cache des criminels dangereux parmi les personnes sans pièces d'identité. Au contraire, des criminels notoires munis de papiers ont été admis au Canada sous leur propre nom et ont plus tard été dénoncés par des membres de leur communauté (c'est le cas par exemple de Léon Mugesera).
  6. À l'heure actuelle, on compte des milliers de réfugiés au sens de la Convention qui sont sans pièces d'identité, la plupart originaires de Somalie, du Sri Lanka, d'Iran et d'Afghanistan. Ces personnes attendent le droit d'établissement depuis des années.
  7. Les immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée (IMRED), ceux qui sont accueillis pour des considérations humanitaires et ceux de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), ainsi que les personnes qui veulent immigrer pour rejoindre leur famille doivent avoir en main des documents officiels pour se voir accorder le droit d'établissement.
  8. Les demandeurs de la catégorie IMRED sont cependant exemptés de cette règle s'ils sont "des nationaux de pays dont le gouvernement est tombé et qui, de ce fait, ne peuvent se procurer les documents voulus".en raison d'une crise politique dans leur pays d'origine.

Répercussions du refus de la résidence permanente

  1. Le fait d'exiger des pièces d'identité a des répercussions juridiques et psychologiques graves dans la vie des réfugiés. En effet, ces derniers ne peuvent rejoindre leur conjoint et les enfants à leur charge et font l'objet de discrimination dans les domaines de l'éducation et de l'emploi. Les jeunes diplômés du secondaire sont empêchés de poursuivre leurs études, et certaines professions et certains cours de formation professionnelle leur sont interdits. De plus, les réfugiés ne peuvent voyager à l'extérieur du Canada, même pour rendre visite à un membre de la famille qui est malade ou mourant.
  2. Dans bien des cas, le problème de la séparation des familles est exacerbé par le fait que le conjoint et (ou) les enfants vivent dans des situations dangereuses dans le pays d'origine (où ils peuvent être persécutés) ou encore en asile temporaire dans un troisième pays, souvent un camp de réfugié.
  3. À long terme, le refus d'accorder le droit d'établissement aux réfugiés sans pièces d'identité aura probablement des conséquences graves en termes de marginalisation économique, d'aliénation sociale, de séparation des familles, ainsi que de santé physique et mentale.
  4. En vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant, que le Canada a ratifiée, les intérêts supérieurs de l'enfant doivent primer dans toutes les décisions qui les concernent (art. 3). La Convention précise également que l'enfant a le droit de rejoindre sa famille lorsqu'il en a été séparé et d'entretenir des rapports avec ses deux parents (art. 10). Dans l'ensemble, la Convention affirme les droits particuliers qu'ont les enfants à la protection, en tant que personnes et en tant que membres d'une famille.

Réunification des familles

  1. En plus de produire des documents prouvant leur propre identité, les réfugiés qui veulent être réunis avec des membres de leur famille à l'étranger, notamment leur conjoint et les enfants à leur charge, doivent prouver leur lien de parenté avec ces personnes.
  2. Or, dans biens des pays, il n'existe pas de documents prouvant les liens de parenté, pour les mêmes raisons qu'il est souvent impossible d'obtenir des pièces d'identité (bouleversements et destruction dus à la guerre ou à une crise, persécution des réfugiés et de leur famille, faits culturels). Dans bon nombre de régions du monde, on ne délivre pas de certificats de mariage.
  3. Au tribunal, les gens sont présumés dire la vérité. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, CIC met le fardeau de la preuve sur le demandeur, qui doit prouver son lien de parenté avec les membres de sa famille.
  4. De plus en plus, CIC a recours à des tests d'empreintes génétiques (ADN) pour confirmer les liens familiaux, mais ces tests coûtent très cher et prennent énormément de temps.

Insistance sur les pièces d'identité

  1. La Commission canadienne des droits de la personne a décrété que CIC avait tort d'insister pour que les réfugiés produisent des pièces d'identité établies avant qu'ils aient manifesté le désir d'émigrer au Canada. Elle a déterminé que cette pratique risque de défavoriser les personnes originaires d'un pays où il n'existe pas de registre officiel.
  2. Il est légitime que CIC et la Commission de l'immigration et du statut de réfugié veuillent connaître l'identité des personnes avec lesquelles ils traitent. Il est par contre illégitime d'insister pour obtenir des pièces d'identité.

RECOMMANDATIONS

  1. Aucun transporteur ni personne d'autre ne doit être pénalisé pour avoir amené des réfugiés au Canada, quelle que soit la nature des papiers dont ceux-ci disposent.
  2. L'accès au processus de reconnaissance du statut de réfugié ne devrait jamais être refusé ni retardé à cause de la non-validité des documents d'identité.
  3. Le système de reconnaissance du statut de réfugié ne devrait pas présumer ni déduire que les réfugiés ne sont pas crédibles s'ils n'ont pas de pièces d'identité ou s'ils ne sont pas en mesure d'en obtenir.
  4. La reconnaissance du statut de réfugié devrait suffire pour établir l'identité et permettre à la personne d'obtenir le statut de résident permanent.
  5. Il faudrait trouver rapidement une solution dans le cas de tous les réfugiés qui se voient refuser le droit d'établissement sous prétexte qu'ils ne disposent pas des pièces d'identité nécessaires.
  6. Cette solution devrait reposer sur les principes suivants :

    a. elle devrait respecter les obligations du Canada en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant;

    b. elle ne devrait pas retarder l'accès au statut de résident permanent pour les réfugiés et autres;

    c. en particulier, elle ne devrait pas retarder la réunification des familles;

    d. elle devrait s'appliquer aux demandeurs IMRED, à ceux accueillis pour des considérations humanitaires et aux DNRSRC, ainsi qu'aux réfugiés et à toutes les personnes qui ne sont pas en mesure de produire des pièces d'identité, qu'il y ait ou non un gouvernement en place dans leur pays d'origine.
  7. Il faudrait prévoir des ressources et un personnel suffisants pour procéder, au cours des six prochains mois, à l'accueil des personnes sans papiers en attente du droit d'établissement, la plus haute priorité étant accordée à la réunification des familles.
  8. La Ministre devrait instruire les agents des visas de donner plus de poids aux entrevues personnelles et aux autres moyens de se renseigner (comme des déclarations préalables concernant les liens de parenté, des affidavits, etc.) lorsqu'il s'agit d'établir les liens de parenté d'une famille pour laquelle il n'existe pas de documents de première main.
  9. La Ministre devrait constituer un comité mixte formé de représentants des ONG, des communautés concernées, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et du gouvernement, qui serait chargé de se pencher sur l'ensemble des questions touchant les pièces d'identité.

Il existe également une version plus détaillée du présent mémoire.