Introduction
L'an dernier, le Conseil canadien pour les réfugiés a fait connaître ses préoccupations quant aux projets de modifications de la Loi sur la Citoyenneté dans le cadre de l'étude du projet de loi C-63. Il nous a fait plaisir d'avoir à ce moment l'occasion de témoigner devant le Comité. Nous sommes sensibles au fait que certaines de nos inquiétudes ont trouvé écho dans le rapport du Comité.
Selon le Conseil canadien pour les réfugiés, le projet de loi C-16, actuellement étudié par le Comité, marque à plusieurs égards un progrès sur le projet de loi C-63. Cependant, nous continuons à nous en préoccuper et nous regrettons de ne pas pouvoir vous communiquer en personne nos perspectives.
Les commentaires qui suivent se concentrent sur deux points, mais nous tenons à souligner que notre mémoire au Comité sur le projet de loi C-63 reste pertinent à plusieurs égards.
Apatridie
Le problème mondial de l'apatridie devrait préoccuper les Canadiens et les Canadiennes car ce phenomène s'accroît de nos jours. Des membres du Conseil canadien pour les réfugiés font état de plus en plus de personnes se trouvant au Canada dans un vide juridique, sans droit de demeurer au Canada, et en même temps, étant apatrides, sans possibilité d'aller ailleurs. Si le nombre d'apatrides au Canada demeure vraisemblablement relativement peu élevé, nombreux dans le monde sont ceux qui se trouvent dans cette situation
Nous comptons sur le gouvernement du Canada pour jouer un rôle de leadership dans la recherche de solutions du problème mondial de l'apatridie. Malheureusement, bien que le Canada soit signataire de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatrides, nous n'avons pas signé la Convention de 1954 relative au Statut des apatrides. Nous pressons ce Comité à revoir cette lacune et à étudier la possibilité de voir le Canada signer la Convention de 1954.
En attendant, il est important pour le Comité d'étudier de près la nouvelle Loi proposée sur la citoyenneté, en vue de vous assurer qu'elle se conforme à l'objectif de la réduction des cas d'apatrides. Ceci est important non seulement pour ceux qui sont ou qui seront directement touchés par notre législation, mais également afin que la législation canadienne puisse servir d'exemple à l'échelle internationale, dans les efforts déployés pour solutionner le problème de l'apatridie.
Une mesure simple mais importante qui pourrait être ajoutée à la Loi serait une clause déclarant que la Loi devrait être interpretée de façon conforme au principe de la réduction des cas d'apatrides. Cela sera conséquent avec nos obligations internationales.
L'article 14 (qui fait déjà partie de la Loi actuelle sur la Citoyenneté) prévoit la perte de la citoyenneté à l'âge de 28 ans pour certains citoyens canadiens nés à l'étranger. Parce que cet article touche les personnes nées après 1977, cette disposition commencera a avoir un effet en 2005. Cette disposition pourra aboutir à rendre une personne apatride, si elle ne répond pas aux critères pour conserver la citoyenneté, même si elle aurait pu passer la majeure partie de sa vie au Canada.
À titre d'exemple, supposons qu'une femme, elle-même née à l'étranger, accouche d'un bébé à l'étranger. Elle revient au Canada et éduque sa fille au Canada. À l'âge de 22, la jeune femme part à l'étranger pour poursuivre ses études et revient au Canada à l'âge de 26. Lorsqu'elle aura 28 ans elle perdra sa citoyenneté canadienne et pourrait devenir apatride, puisqu'elle ne remplit pas les conditions en matière de résidence. Peut-être aurait-elle pu faire une demande pour conserver sa citoyenneté à l'âge de 22. Mais qui lui expliquera cela?
Ce problème pourrait être résolu en prévoyant une exception à l'article 14 à l'effet que la personne ne perdra pas sa citoyenneté si elle deviendrait apatride.
L'article 11 du projet de loi cherche à répondre au problème de la création des cas d'apatrides. Cependant, il n'aiderait pas la jeune femme hypothétique ci-haut mentionnée, car lui aussi exige trois ans de résidence au cours des six ans qui précédent la demande. Mais il pourrait éventuellement aider son enfant, si jamais elle aurait accouché pendant ses études à l'étranger. Or, cet enfant né à l'étranger et peut-être apatride fait face à un dilemme. Il pourrait devenir un citoyen canadien s'il pourrait vivre au Canada pendant trois ans. Mais s'il est apatride, sur quelle base vivrait-il au Canada? Comment pourrait-il même voyager au Canada?
Les deux dilemmes ci-haut présentés pourraient être résolus en supprimant l'article 11 (d) (c'est-à-dire l'exigence de résidence de trois ans au Canada).
Nous mentionnons également que la limite de 28 ans peut sembler arbitraire. Ne devrions nous pas nous préoccuper d'un apatride âgé de 29 ans, enfant d'un citoyen canadien? Tout comme l'exigence de trois ans de résidence, cette limite est inspirée de la Convention de 1961. Cependant nous ne sommes aucunement tenus à nous restreindre aux limites de la Convention, qui constitue un seuil, plutôt qu'un plafond.
L'annulation de la citoyenneté
Le projet de loi C-16 (tel le projet C-63) confère à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration un nouveau pouvoir d'annuler la citoyenneté. Cela veut dire que les citoyens canadiens nés à l'extérieur du Canada peuvent perdre leur citoyenneté, même après avoir vécu au Canada pendant de nombreuses années, sans pouvoir recourir aux voies de droit régulières et sans même avoir droit à une audience.
Les pouvoirs complètement nouveaux d'annulation de la citoyenneté sont définis à l'article 18. Celui-ci permettrait à la ministre d'annuler la citoyenneté d'une personne, dans les cinq années suivant la date d'attribution, si elle est convaincue qu'elle n'y avait pas droit ou qu'elle l'a obtenue en utilisant une fausse identité. Cette disposition peut paraître raisonnable et attrayante dans la mesure où elle prévoit l'annulation de la citoyenneté parce qu'elle n'aurait jamais dû être attribuée. Toutefois, il n'est pas toujours facile de déterminer si la citoyenneté a été acquise illégitimement. Le projet de loi lui-même prévoit que l'intéressé pourrait avoir quelque chose à dire pour sa défense : il propose qu'il soit avisé de la situation et qu'il ait l'occasion de présenter des observations écrites. Mais devant les arguments de la ministre qui croit que la citoyenneté a été acquise illégitimement et ceux du citoyen, qui n'est pas d'accord, qui tranchera ? La ministre. Un système à l'intérieur duquel l'accusateur est aussi le juge ne sert évidemment pas les intérêts de la justice.
Qui plus est, le projet de loi ne précise pas que la ministre doit être convaincue hors de tout doute raisonnable que la citoyenneté a été obtenue illégitimement. Elle n'a qu'à en convaincue. La citoyenneté pourrait ainsi être annulée même dans les cas où il pourrait y avoir divergence d'opinions. Le projet de loi mine en réalité la possibilité d'un recours aux tribunaux puisqu'ils seront forcés de s'en remettre à la décision de la ministre quant à savoir si elle est « convaincue ».
Le projet de loi C-16 ajoute une disposition (18(4)) qui ne se trouvait pas dans le projet C-63, pour s'assurer que la personne soit avisée de son droit de demander le contrôle judiciaire. Cependant, tel que noté ci-dessus, ce recours est de portée limitée car le test est fixé si bas.
Nous pressons le Comité à recommander comme recours une enquête ou une audience avec voies de droit régulières, y compris le droit d'être avisé et le droit de se faire représenter. Étant donné que des questions graves sont en jeu et que les conséquences de la décision auront un effet profond sur la vie de la personne concernée, les exigences de justice procédurale seront forcément plus élévées.
La procédure pour enlever la citoyenneté prévue dans le projet de loi actuel n'est pas conforme aux normes internationales en ce qui concerne le recours adéquat.