Réponse à la demande de suspendre la décision sur l’Entente sur les tiers pays sûrs

Document d’information

Introduction

Le 22 juillet 2020, la Cour fédérale statuait que le Canada viole les droits garantis par la Charte aux demandeurs d’asile qu’il renvoie aux États-Unis en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS). La Cour a donné six mois au Parlement pour donner suite à cette décision.

Le gouvernement a fait appel de la décision et demande à la Cour d’appel fédérale de suspendre l’ordonnance de la Cour au-delà du délai de six mois déjà accordé, pendant que l’appel est entendu.

La Cour d’appel fédérale entendra la demande de sursis le 23 octobre 2020.

Résumé des arguments des intimés

1. Il est contraire à l’intérêt public de maintenir l’ETPS en violation de la Charte

Après avoir examiné un dossier de 20 000 pages, reçu près de 200 pages dargumentation juridique et entendu cinq jours de plaidoirie, la Cour fédérale a conclu que le régime de lETPS viole les droits à la liberté et à la sécurité des personnes qui y sont assujetties. Il est contraire à lintérêt public de maintenir des politiques inconstitutionnelles.

2. Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, l’annulation de l’ETPS ne causera aucun préjudice irréparable au fonctionnement des services frontaliers ou à la viabilité du système canadien de détermination du statut de réfugié

Le gouvernement na aucune preuve pour étayer ses prétentions voulant quune annulation de lETPS entraîne une augmentation des demandes dasile. En fait, la pandémie de COVID-19 a provoqué une réduction spectaculaire du nombre de demandes. Les déplacements vers les États-Unis et, à lintérieur des États-Unis vers la frontière nord sont nettement moins nombreux, et la frontière est en grande partie fermée sous le coup de décrets en conseil. Ces facteurs continueront de faire baisser le nombre des demandes dasile même si lETPS nest plus en place.

En outre, le nombre des demandes dasile a toujours connu de fortes fluctuations dune année à lautre. Le gouvernement a montré dans le passé quil peut faire face à une augmentation du nombre de demandes.

3. Les demandeurs d’asile qui auraient traversé la frontière irrégulièrement se présenteront désormais aux points d’entrée réguliers

Si lETPS nest plus en vigueur, les demandeurs dasile pourront se présenter à un point dentrée au lieu de traverser irrégulièrement. Il est difficile de comprendre en quoi cette régularisation des passages pourrait causer un préjudice irréparable.

4. Les demandeurs d’asile renvoyés aux États-Unis en vertu de l’ETPS risquent d’être détenus dans des conditions qui s’aggravent et de rencontrer de plus en plus d’obstacles à leur protection

Tant que l’ETPS reste en vigueur, les demandeurs d’asile vulnérables sont exposés à de lourds préjudices aux États-Unis.

Les demandeurs d’asile renvoyés aux États-Unis en vertu de l’ETPS font face à un système d’immigration qui applique la détention par défaut. Les conditions de détention des immigrants aux États-Unis sont dures et souvent inhumaines, cruelles et inhabituelles :

  • Établissements de détention présentant des conditions punitives;
  • Régime d’isolement cellulaire;
  • Soins médicaux inadéquats;
  • Taux consternants d’agression et de harcèlement sexuel;
  • Températures froides;
  • Alimentation inadéquate et absence de prise en compte des coutumes religieuses et diététiques.

Les conditions se sont encore détériorées pendant la pandémie de COVID-19, avec des pratiques sanitaires inadéquates et un traitement déficient des maladies infectieuses. La pandémie rend aussi plus complexe pour les personnes en détention la présentation de leur demande d’asile, car l’isolement est obligatoire à l’arrivée et les possibilités de communication sont limitées.

5. Les États-Unis refusent l’asile à des personnes qui ont besoin de protection

Les femmes victimes de persécution fondée sur le sexe se voient souvent privées de l’asile aux États-Unis en raison dune interprétation restrictive de la définition du « réfugié ».

Les États-Unis interdisent laccès à lasile aux personnes qui ont passé plus dun an dans le pays, à quelques exceptions près.

6. Les mécanismes dits de recours sont inefficaces ou illusoires

Le gouvernement affirme que les personnes qu’on renverrait aux États-Unis en vertu de l’ETPS pourraient demander un permis de séjour temporaire, un report ou un sursis d’expulsion, ou un ajournement. La Cour fédérale a déjà jugé ces options illusoires.

7. Trancher en vertu de la prépondérance des inconvénients

Il n’est pas dans l’intérêt public de maintenir un régime inconstitutionnel qui expose les demandeurs d’asile à un risque de détention dans des conditions qui sont encore pires aujourd’hui que celles que la juge McDonald a estimées « choquent la conscience », ainsi qu’à un risque accru de refoulement en raison des obstacles liés à la présentation d’une demande d’asile alors qu’on est en détention, du traitement inférieur aux normes des demandes d’asile fondées sur le sexe et de l’impact de la restriction d’une année [one-year bar].

Dans des demandes de sursis similaires, présentées récemment, où le gouvernement a fait valoir que la commodité administrative des politiques relatives aux réfugiés l’emportait sur le préjudice irréparable des violations des droits des individus, la Cour d’appel a jugé que la prépondérance des inconvénients favorisait les individus.

8. L’impact des décrets en conseil qui ferment la frontière à cause de la pandémie

Si la frontière est rouverte, des données probantes montrent qu’il n’y aura pas d’augmentation incontrôlable des demandes à la frontière et qu’on évitera tous les préjudices pour les personnes qui seraient autrement refoulées en vertu de l’ETPS.

Si la frontière reste fermée, il n’y aura pas non plus d’augmentation subite des demandes. Il se peut que certains demandeurs d’asile continuent d’être renvoyés aux États-Unis, mais en vertu des règles de fermeture de la frontière du fait de la pandémie, plutôt qu’en vertu de l’ETPS. Ce qui veut dire que ces personnes seront autorisées à revenir au Canada pour présenter leur demande d’asile après la pandémie, et qu’elles auront l’assurance de la part des États-Unis qu’elles ne seront pas détenues.

20 octobre 2020