En attente d’une décision de la Cour fédérale, des réfugiés érythréens vivent de graves difficultés au Caire
Document d'information
5 avril 2011
Depuis septembre 2009, le refus de réfugiés érythréens par le bureau canadien des visas au Caire a soulevé des préoccupations. Les décisions laissaient croire à une mauvaise application de la définition de réfugié. Les demandeurs ont été rejetés pour des raisons de crédibilité, sur des bases extrêmement futiles. Il y avait un manque de sensibilité aux survivants à la torture et aux agressions sexuelles.
Environ 40 de ces cas sont actuellement devant la Cour fédérale. Trois cas types du groupe seront entendus du 6 au 7 avril.
Dix-sept Érythréens refusés par le Canada ont récemment été interrogés au Caire sur leurs conditions de vie.
Parmi les personnes interrogées :
- 14 ont dit qu'ils avaient survécu à la torture. En tant que réfugiés au Caire, ils n'ont pas accès à un traitement adéquat.
- Au moins 11 sont au chômage ou n'ont aucune source régulière de revenu. Parmi ceux qui travaillent, certains soutiennent plusieurs membres de la famille.
- Toutes ont déclaré avoir subi du harcèlement verbal et / ou physique dans la rue, en raison de la couleur de leur peau.
- 12 sont des femmes célibataires sans la protection d’un homme et donc particulièrement vulnérables à la violence sexuelle et de genre. 4 sont chefs de familles monoparentales.
Ce qui suit est un résumé de l'entrevue de l'un des cas types présentés à la Cour fédérale.
Tsegeroman, âgée de 47 ans
Le seul type de travail disponible en Égypte pour les réfugiés est le secteur informel et en général pour les femmes cela signifie le travail domestique. J'ai 47 ans et j'ai constamment de la difficulté à trouver du travail parce que les employeurs ne me choisissent pas, les employeurs veulent toujours voir le passeport avant l'embauche et je ne suis jamais choisie parce qu’ils choisissent toujours des femmes plus jeunes.
Le fait de ne pas pouvoir subvenir à mes besoins est une grande source d'anxiété et de frustration. Je suis toujours très inquiète et cela aggrave mon problème d'estomac qui nécessite un traitement, alors je suis moralement très déprimée.
Puisque comme réfugiés en Égypte, nous ne pouvons pas vraiment nous intégrer ni avoir le droit officiel de travailler ou d’avoir accès aux services comme les autres personnes dans le pays, j'ai demandé à être parrainée, mais même cela n'a pas fonctionné. J'ai quitté mon pays à cause de ma religion; depuis 25 années, je suis pentecôtiste, alors je suis devenue membre active de mon Église et finalement j'ai eu de nombreuses responsabilités au sein de l'Église. Les forces de sécurité m'ont suivi et je n'étais plus en mesure de pratiquer ma religion et j'ai eu peur d’être détenue et torturée comme beaucoup d'autres pentecôtistes en Érythrée, alors je suis partie. Je ne peux pas rentrer chez moi parce que je pourrais être tuée pour ma foi et je ne peux pas rester en Égypte, car il n'y a aucun espoir de vivre normalement.
J'ai commencé le processus de parrainage du Canada au début de 2008 et je suis toujours en attente, j'ai peur et je perds espoir.
Un autre demandeur a décrit sa situation comme suit :
Tsegay, âgé de 24 ans
J'ai fui mon pays à cause de mes croyances religieuses et je me suis rendu au Soudan où je suis resté environ 9 ou 10 mois. Mais le Soudan n'était pas sécuritaire pour les réfugiés érythréens parce qu'il y avait de nombreuses rafles et d’expulsions des réfugiés vers l'Érythrée, j'ai eu peur donc j'ai fui en Égypte dans l'espoir de trouver la sécurité.
J'ai commencé le processus de parrainage à la fin de 2007 et j’ai dû attendre deux ans pour mon entrevue à l'ambassade. Quand j'ai appris que j'ai été refusé, j’ai eu le cœur brisé. Le résultat de cette décision est la prolongation de mon séjour dans un pays où je n'ai pas beaucoup de sécurité, pas de véritable statut légal ou d’avenir pour lequel travailler ...
Depuis mon arrivée au Caire en mars 2007, je n'ai pu trouver du travail que pour quatre mois en 2010, mais le reste du temps, j'ai dû me fier à la charité de mon parrain [groupe de parrainage privé au Canada] et des membres de ma famille.
En tant que réfugié, il est très difficile de vivre au Caire, il n'y a pas vraiment de système de soutien; il n'y a pas beaucoup de travail en Égypte pour les hommes, la plupart du travail disponible c’est du travail domestique et les employeurs préfèrent les femmes.
Pendant les manifestations au Caire, être confiné dans une maison sans sécurité a été très effrayant; il y avait des pillards au cours des premiers jours des manifestations et on pouvait voir les gens dans la rue avec des couteaux.
En tant que réfugié, je n'avais pas de protection contre les pillards ou toute personne qui me ferait mal. L’Égypte est encore plus dangereuse maintenant parce que nous sommes dans une phase de transition et je ne sais pas à quoi m'attendre, il n'y a pas de sécurité. Les autorités actuelles ne sont pas formées pour reconnaître les documents du HCR. Je marchais dans la rue et on m’a arrêté pour un contrôle d'identité à un barrage, j'ai montré ma carte du HCR, mais on m'a demandé mon passeport et je ne l’avais pas puisque je suis réfugié. J'ai ensuite été amené avec deux autres réfugiés et nous avons été placés sous la garde de l'armée pendant 8 heures. Nous avons été menottés et laissés debout dans la rue comme si nous étions des voleurs ou des criminels. Des passants ont commencé à nous prendre en photos.
Je suis dans l'attente constante et la peur, ne sachant pas ce qui va se passer ni dans quelle direction ma vie se dirige.
Voici quelques-uns des grands thèmes qui se dégagent des entrevues.
- Les problèmes économiques
Je travaille au Caire, mais les conditions sont très difficiles. Je travaille comme femme de ménage, car il n'y a pas d'autres options ici en Égypte. Je travaille 6 jours et mon employeur est une personne très dure mais je ne peux me plaindre à personne. Le salaire est à peine suffisant pour couvrir mes dépenses et je soutiens également trois personnes en Érythrée, qui comptent sur moi. (Hiwet, 44 ans)
J'ai des problèmes de santé qui m'empêchent de faire beaucoup de travail physique mais mon employeur n'est pas compréhensif à l’égard de ma situation. Au contraire, on ne me donne qu’un jour de congé par semaine et je travaille parfois de 6 heures du matin jusqu’à 2 heures du matin, c'est un emploi résidant ainsi mon temps de travail quotidien dépend du moment où mes employeurs vont dormir. J'ai deux frères dans un camp de réfugiés en Éthiopie et les autres membres de ma famille, ma mère, mon père et ma sœur sont en Érythrée. Je dois soutenir ces cinq personnes à partir d'ici. (Azeb, 32 ans)
Il est extrêmement stressant de prendre soin de mes enfants, sans la sécurité d'un revenu régulier et sans aucune perspective de jamais en avoir un. Je suis veuve et je ne peux compter que sur moi-même. (Jimieya, 36 ans)
Depuis un an, je suis mère célibataire et je ne suis pas en mesure de travailler ici en Égypte afin de subvenir aux besoins de mon fils. Je dépends de l'aide financière de mes amis, mais il n'est pas sûr ou durable, je ne sais pas s’ils vont continuer à m'aider et je ne sais pas quoi faire. (Teberh, 32 ans)
- La discrimination raciale quotidienne, incluant des cas d'agression
Au Caire, je n’ai aucun sens de sécurité, puisque je fais face continuellement au harcèlement dans la rue à cause de la couleur de ma peau. (Mussie, 27 ans)
Il y a du harcèlement partout, une de mes amies venait chez moi et elle a été sévèrement battue dans la rue par les Égyptiens sans aucune raison. Cela me fait très peur. (Teberh, 32 ans)
Les Égyptiens battent mes enfants sur le chemin du retour de l'école et ils les insultent en raison de la couleur de leur peau – c’est arrivé à plusieurs reprises – c’est même allé jusqu’au sang une fois et maintenant ils ont très peur d'aller seuls à l'école. Mes enfants ont 11 et 12 ans ... Je suis une adulte qui a su s’adapter à la vie de réfugiée, mais je m’inquiète vraiment pour mes enfants et de leur réaction à long terme à la vie dans un environnement aussi hostile. (Jimieya, 36 ans)
- Le harcèlement et la violence sexuels
Mes deux filles ne peuvent pas circuler librement en raison du harcèlement sexuel dans la rue. (Simret, 37 ans)
Parce que je suis une femme, quand je sors de la maison il y a le harcèlement, et sur le chemin du retour, aussi – je vis dans un quartier pauvre – nous avons pris un tuk-tuk pour rentrer chez nous, le conducteur du tuk-tuk nous a amenées dans un endroit isolé et il a sorti un couteau et nous a menacées afin que nous l'embrassions. Nous avons sauté du tuk-tuk et couru aussi vite que nous le pouvions, nous avions très peur. (Saliem, 27 ans)
- Le manque d'accès aux soins de santé
J'ai un problème dans ma poitrine qui n'a pas été traité de manière adéquate et mon bras droit est aussi affecté. Cela me rend inapte à travailler autant que j'en ai besoin. (Jimieya, 36 ans)
- Arrestation et harcèlement de la part des autorités, et des droits légaux limités
Une fois, alors que j'étais assis dans un café, environ six ou sept hommes égyptiens agissant en tant que membres des forces de sécurité ont arrêté leur voiture juste devant le café. Ils sont venus vers moi et trois autres Érythréens, ils nous ont giflés et nous ont ordonnés de monter dans la voiture. Nous avions peur parce que notre statut juridique n'était pas encore finalisé, alors ils nous ont emmenés à une certaine distance et dans la voiture, ils nous ont frappés et nous ont volé notre argent et nos téléphones, puis ils nous ont jetés dans la rue. (Mussie, 27 ans)
Peu importe ce qui m’arrive, il n'y a pas d'autorité vers laquelle me tourner et si on me prend dans la rue je pourrais être arrêtée et renvoyée en Érythrée, où j'ai été injustement punie et torturée. (Hiwet, 44 ans)
La carte de réfugié du HCR ne me permet pas de postuler pour des emplois, d’avoir accès à l'éducation supérieure ou de me déplacer en toute liberté. Être un réfugié au Caire, c'est comme être prisonnier, vous n'avez pas la possibilité de voyager, et vous ne pouvez donc pas aller nulle part, mais vous ne pouvez rien faire ici parce que vous n'avez pas vraiment de documents légaux. (Tedros, 32 ans)
Je suis très inquiet, il n'y a aucun espoir pour moi ici, sans accès à l'éducation ou à l’emploi, je n'ai pas le droit de parler pour moi-même ou des choses auxquelles je dois faire face ici, alors je suis vraiment désespéré et sans espoir, vivant toujours dans la peur et l'anxiété. Il est très difficile de vivre comme ça. (Mussie, 27 ans)
- La vulnérabilité accrue depuis les troubles en Égypte
Durant les manifestations en Egypte au mois de janvier, je ne me sentais pas en sécurité, car tout était fermé, l'ONU et toutes les organisations humanitaires dans le pays, nous nous sentions donc tous impuissants et abandonnés. Toutes les nations ont envoyé des avions pour prendre leurs citoyens, mais il n'y avait personne pour prendre soin des réfugiés, cela a donc été très pénible. Nous nous sommes enfermés à la maison et nous avons attendu pour voir ce qui allait arriver. Aucun de nous ne savait ce qui allait arriver, si quelqu'un allait essayer de s’introduire chez nous pour nous voler, nous battre, nous mettre en prison et nous accuser de crimes que nous n'avions pas commis, tout était possible parce que nous n'avions absolument aucune institution ni organisme pour nous protéger . Donc tout ce que je pouvais faire, c'était attendre la suite des événements, peu importe leur gravité, sans aucune capacité de l’éviter ou de l'arrêter, c’était terrifiant de vivre cela. Je ne l'oublierai jamais. (Tedros, 32 ans)
Maintenant, j’ai encore plus peur parce qu'il n'y a aucune stabilité en Égypte, qui sait ce qui va arriver ici et ce qui va nous arriver à nous, réfugiés. (Saliem, 27 ans)
Maintenant, l'armée contrôle l'Égypte, et l'armée n'a aucune expérience dans le domaine des réfugiés ni dans les documents de réfugié émis par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au Caire, ce qui me met à risque d'être arrêté et détenu de façon arbitraire. Cela ne fait qu’ajouter à la peur et la pression que nous subissions déjà. (Mussie, 27 ans)
- Le manque d'espoir pour l'avenir
Ici, au Caire, je ne vis pas vraiment, je ne suis qu’en attente. (Azeb, 32 ans)
Le seul espoir que j’avais, c’était le parrainage canadien et l'espoir d'aller au Canada, mais j'ai été refusée. J'essaie de garder courage en allant à l'église, mais je suis devenue encore plus stressée quand je suis tombée enceinte, sans aucun soutien et avec une personne de plus à s'occuper. (Teberh, 32 ans)
Je ne comprenais pas pourquoi j'avais survécu à la détention et à la torture dans mon pays pour venir en Égypte et vivre des difficultés et le rejet ici aussi. (Tedros, 32 ans)