Protéger les réfugiés contre le projet de loi C-31 : déclaration conjointe

PROTÉGER LES RÉFUGIÉS CONTRE LE PROJET DE LOI C-31

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Les organisations qui veulent endosser cette déclaration devraient envoyer un courriel à cfrench@ccrweb.ca.

La coalition Justice pour les immigrants et les réfugiés (formée d’Amnesty International, de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, de l’Association canadienne des libertés civiles, et du Conseil canadien pour les réfugiés) se prononce en faveur d’un système d’immigration juste, abordable et indépendant. Le projet de loi C-31, en plus d’être anticonstitutionnel, est en opposition avec notre tradition humanitaire et viole nos obligations internationales – il doit être retiré.

Le projet de loi C-31 est une mauvaise politique. Il met en place un système d’octroi de statut de réfugié manifestement injuste et donne au ministre des pouvoirs élargis et une possibilité d’action sans précédent. Cette concentration de pouvoirs vaguement définis entre les mains du ministre, sans aucun mécanisme de surveillance judiciaire, s’éloigne des principes de primauté du droit et de gouvernance démocratique et responsable.

Le projet de loi omnibus inclut les projets de loi C-4 et C-49, des éléments du projet de loi C-11, Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés et d’autres dispositions. Le projet de loi C-31 qui en résulte permettra la détention de groupes de réfugiés, nuira à la réunification familiale, ébranlera le processus de demande d’asile et de protection, introduira l’usage de la biométrie et autorisera la révocation du statut de résident permanent de réfugiés.

Le manque de temps pour fins d’examen et de discussion ainsi que la nature complexe du projet de loi C-31 ne permettent pas son analyse en profondeur afin d’évaluer son respect de la Constitution et des obligations internationales. Le court délai empêche aussi un débat public sur ce qui constitue un changement de cap dramatique dans les politiques canadiennes d’immigration. Le gouvernement précipite le projet de loi C-31 sans laisser le temps nécessaire à la réalisation d’analyses et aux débats.

La législation proposée aura un impact négatif sur notre système d’immigration et de demande d’asile.

  1. Des échéanciers rapprochés nuisent à la possibilité des réfugiés d’émettre les preuves sur lesquelles sont basées leurs demandes.

Le projet de loi C-31 impose des délais irréalistes pour tous les demandeurs d’asile. Le non-respect de ces délais peut engendrer un retrait de leur demande sans leur avoir donné une réelle opportunité de présenter une demande d’asile complète.

  • Les demandeurs d’asile auront 15 jours pour fournir, par écrit, les raisons de leur demande. Ce délai ne suffit pas aux nouveaux arrivants pour chercher une aide légale, répondre à de nombreuses exigences légales et rassembler les preuves sur lesquelles se base leur demande.
  • Les demandeurs confrontés à une décision négative auront 15 jours pour compléter un formulaire afin de faire appel de la décision. Ce délai est extrêmement court et rend illusoire la possibilité de faire appel des erreurs commises par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

Le projet de loi C-31 permet au gouvernement de renvoyer des demandeurs d’asile dont la demande a été refusée sans effectuer un Examen des risques avant renvoi au préalable. Contrairement à ce qui était proposé dans le projet de loi C-11, Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, la possibilité d’avoir accès à un appel permettant de corriger les erreurs faites au premier niveau n’est pas assurée. Le processus de demande d’asile sera maintenant injuste et la possibilité de faire appel, peu fiable. Le risque de déporter des réfugiés menacés de persécution en sera grandement augmenté.

  1. Le processus révisé de désignation des pays « sûrs » ne se base pas sur une analyse effectuée par un organe spécialisé et indépendant et laisse la place à la prise en compte de considérations politiques ou économiques erronées ou sans pertinence.  

Le projet de loi C-31 donne au ministre le pouvoir de désigner les pays producteurs de réfugiés comme des pays « sûrs ». L’opinion du ministre ne se base pas sur des avis experts concernant les conditions dans ces pays. De plus, il n’a pas à se soucier du risque auquel font face certaines minorités, mais pas d’autres, dans ces mêmes pays. Le processus risque de devenir davantage un outil politique qu’un processus visant la reconnaissance et la protection des réfugiés. Si le pays d’où ils proviennent est considéré comme « sûr », les demandeurs n’auront droit qu’à un processus d’évaluation accéléré de leur demande sans réelle opportunité d’en prouver les raisons. De plus, ils pourront être déportés sans avoir la possibilité de faire appel augmentant ainsi le risque que des personnes qui sont réellement menacées dans leur pays d’origine y soient renvoyées.

  1. Le projet de loi C-31 donne aux ministres de la Citoyenneté et de l’immigration et de la Sécurité publique les pouvoirs étendus de détenir les demandeurs d’asile, d’empêcher la réunification familiale des réfugiés et de leur retirer leur statut légal.  De plus, la loi fait fi de l’impact que peuvent avoir les erreurs judiciaires résultant de l’exercice de ces pouvoirs extraordinaires.

La loi permettrait au ministre de la Sécurité publique de désigner des nouveaux arrivants (à partir de deux personnes) comme un groupe « d’arrivées irrégulières » en se basant sur des soupçons de passage clandestin ou sur des considérations purement administratives. Les conséquences en seront les suivantes:

  • Une année de détention obligatoire, automatique, sans possibilité de révision et sans aucune garantie pour toutes les personnes âgées de 16 ans et plus;
  • Le pouvoir discrétionnaire de détenir les enfants de moins de 16 ans ou de les séparer de leurs parents durant un an;
  • Les personnes « arrivées irrégulières » dont la demande d’asile est acceptée n’auront pas accès à la résidence permanente avant 5 ans. Pendant cette période minimale de 5 ans, les réfugiés:
    • ne pourront appliquer pour permettre à leur conjoint(e) et à leurs enfants de les rejoindre au Canada, ce qui signifie que la réunification familiale ne sera possible que 6 à 8 ans après avoir obtenu le statut de réfugié;
    • devront se rapporter régulièrement aux autorités pour répondre à des interrogatoires et pour produire des documents – l’étendue, l’usage et le but de ces rapports ne sont toujours pas clairement définis;        
    • seront sous l’interdiction stricte de voyager à l’extérieur du Canada.

Cette détention obligatoire d’un an proposée dans le projet de loi C-31 est manifestement anticonstitutionnelle. La décision rendue à ce sujet par la Cour Suprême du Canada est très claire. De plus, le ministre de l’immigration pourrait, tout au long de cette période minimale de 5 ans, révoquer le statut de réfugié dans certaines circonstances, prolongeant ainsi l’insécurité vécue par les demandeurs d’asile et créant la crainte que le gouvernement puisse utiliser cette période afin de trouver des raisons de leur refuser la protection.

  1. Le projet de loi C-31 rend le statut de résident permanent précaire, en plaçant ainsi des centaines de milliers de réfugiés devant le risque d’être déportés.

Le projet de loi C-31 octroie au ministre le droit de révoquer le statut de réfugié à un individu à tout moment jusqu’à ce qu’il obtienne la citoyenneté canadienne permettant donc l’abrogation automatique de sa résidence permanente et sa déportation du pays.

Le projet de loi C-31 ne respecte pas notre engagement qui vise à favoriser la réinstallation des réfugiés et de leur assurer une certaine stabilité découlant du statut de résident permanent. Même si un réfugié détient la résidence permanente, le ministre pourra effectuer une vérification à tout moment afin de prouver qu’il ou elle ne court plus de risque dans son pays d’origine.  Si le ministre obtient gain de cause, le réfugié perd, du même coup, son statut de réfugié et sa résidence permanente et risquera la déportation. Cette disposition s’applique autant pour ceux ou celles qui ont fait leur demande au Canada ou pour ceux ou celles dont la réinstallation au Canada a été permise par le gouvernement ou par des groupes de parrainage privés comme des associations religieuses ou culturelles.
Quelqu’un qui est arrivé grâce à un programme de réinstallation de réfugiés il y a plus de dix ans, qui a refait sa vie et  qui a fondé sa famille au Canada pourrait voir son statut lui être retiré et risquerait de se faire déporter sans avoir droit de faire appel de cette décision.

Aucun critère ne limite l’utilisation de ce pouvoir par le ministre. Peu importe le nombre de fois que cette disposition sera utilisée, la menace de perte de statut et de déportation planera au-dessus des réfugiés qui ont la résidence permanente, mais qui ne sont toujours pas citoyens. Les réfugiés n’auront plus droit à la stabilité et à la sécurité traditionnellement offerte par le Canada. De plus, cette disposition viole les obligations internationales du Canada.
Cette disposition va à l’encontre d’un objectif fondamental de la tradition du Canada concernant la politique de protection des réfugiés qui favorisait leur intégration rapide afin qu’ils puissent refaire leur vie et contribuer à la société canadienne.

  1. Les références du ministre aux « faux » demandeurs d’asile est une déformation monumentale de la réalité.

Le ministre a souvent utilisé l’expression « faux demandeurs d’asile » pour caractériser ceux à qui le statut a été refusé. Cette affirmation est fausse. La définition de ce qu’est un refugié est très technique. Plusieurs demandeurs d’asile peuvent avoir une crainte réelle d’être persécutés sans toutefois correspondre à la définition de réfugié. Leur recherche de protection est fondée et réelle. L’utilisation constante des termes « abuseurs », « fraudeurs » et « faux » demandeurs nuit à l’indépendance du système canadien de protection des réfugiés.  Elle ébranle aussi la confiance en la capacité du système à prendre les bonnes décisions d’une manière juste.

  1. Le filet de sécurité humanitaire du Canada est grandement affaiblit.

Le Canada a toujours reconnu l’importance des considérations humanitaires au sens large dans la préservation de la flexibilité de notre système de protection. Un accès plus difficile est contraire à notre tradition humanitaire.

En tant que coalition, nous reconnaissons l’importance de mettre en place un système de protection des réfugiés rapide, équitable et efficace. Nous insistons pour que le gouvernement :

  1. Retire le projet de loi C-31
  2. Mette en application la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, laquelle a été adoptée à l’unanimité par le Parlement, avec les modifications énoncées ci-dessous.   
  3. Élimine l’entrevue dans 15 jours qui, selon tous les partis et même le gouvernement, serait dispendieuse et inefficace.  
  4. Impose des délais raisonnables pour déposer l’information expliquant les raisons de la demande et l’application pour faire appel. Des délais de 30 jours, contrairement aux 15 jours proposés actuellement, n’auront pas d’impact majeur sur le traitement des demandes et permettra aux juges de la Cour fédérale, aux Canadiens et aux observateurs internationaux de voir que le système canadien de protection des réfugiés est en mesure de rendre des décisions fiables rapidement.
Résumé
La coalition Justice pour les immigrants et les Réfugiés (formée d’Amnesty International, de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, de l’Association canadienne des libertés civiles, et du Conseil canadien pour les réfugiés) se prononce en faveur d’un système d’immigration juste, abordable et indépendant. Le projet de loi C-31, en plus d’être anticonstitutionnel, est en opposition avec notre tradition humanitaire et viole nos obligations internationales – il doit être retiré.