Proposition pour des amendements législatifs visant à assurer la protection des personnes victimes de la traite

OBJECTIF

L’objectif de cette proposition est de présenter des modifications législatives afin de s’assurer qu’il y ait des changements permanents et fondamentaux aux politiques canadiennes visant la protection des personnes victimes de la traite.

Actuellement les dispositions prévues dans les lois relatives à la traite de personnes soutiennent deux objectifs : a) criminaliser le phénomène de la traite ; b) promouvoir la détention des personnes victimes de la traite. Il n’y a pas de dispositions législatives visant spécifiquement la protection des droits des victimes de la traite.

Les Directives provisoires sur le permis de séjour temporaire annoncées par le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en mai 2006 s’avèrent insuffisantes pour protéger les personnes victimes de la traite. En particulier, les directives prévoient un fardeau de preuve déraisonnable sur la personne qui doit convaincre l’agent d’immigration qu’il ou elle est une victime de la traite de personnes. De plus, l’implication obligatoire des agences d’exécution de la loi dissuade les personnes victimes de la traite de déposer une demande, à cause de leurs préoccupations concernant d’éventuelles conséquences reliées à une telle implication.

Si l’objectif primordial est la protection des victimes, ces recommandations poursuivent également des objectifs plus larges concernant la lutte contre la traite. Offrir des solutions de rechange aux personnes victimes de la traite irait à l’encontre des intérêts des trafiquants qui dépendent en large mesure de l’exploitation des victimes. D’autre part, ne fournissant aucune protection aux personnes victimes de la traite, les politiques du gouvernement canadien servent les intérêts des trafiquants. Ceci s’explique par le fait que ces politiques ne donnent pas aux personnes victimes de la traite d’autres possibilités viables que de demeurer en situation d’exploitation. Ceci confère une certaine crédibilité aux menaces des trafiquants quant aux conséquences de ne pas s’y conformer.

Finalement, la proposition encourage également l’égalité entre les sexes, compte tenu de la féminisation de la traite et des impacts différents vécus par les femmes et les filles, reliés  à leur vulnérabilité au sein de la société, au Canada et partout dans le monde.

PROPOSITION

  1. Ajouter aux objectifs de la Loi (article 3) la protection des droits des personnes victimes de la traite.
     
  2. Définition : La définition de la traite sera celle qui est internationalement acceptée et qui figure dans le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite de personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme).
     
  3. Enfants : On peut compter des enfants parmi les victimes de la traite. En plus des dispositions générales pour assurer la protection des personnes victimes de la traite, des mesures spécifiques reflétant la vulnérabilité et les besoins des enfants sont nécessaires.
     
  4. Protection non-conditionnelle : Les mesures visant la protection des droits personnes victimes de la traite ne doivent être d’aucune manière conditionnelles à ce qu’elles témoignent, coopèrent ou fournissent toute autre forme d’assistance lors de la poursuite.
     
  5. Protection temporaire : Lorsqu’un agent d’immigration aura des raisons de soupçonner que la personne a été trafiquée au Canada ou sur le territoire canadien, il délivra un permis de protection temporaire spécial, valide pour une période de 6 mois. Le permis donnera au détenteur les mêmes bénéfices accordés aux revendicateurs du statut de réfugiés (y compris l’accès au Programme fédéral de santé intérimaire, permis de travail, permis d’étude). Si la personne décide de demander une protection permanente, le permis de protection temporaire spécial sera valide jusqu’à ce que la décision sur le statut permanent soit rendue.

Les facteurs suivants seront pris en considération pour décider s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que la personne a été trafiquée :

A. Les allégations de la personne sur le traitement vécu pouvant correspondre à la définition de la traite ;

B. Les faits à propos de l’arrivée de la personne au Canada ou concernant sa situation au Canada qui suggèrent que la personne puisse avoir été trafiquée ;

C. Les représentations d’une organisation non-gouvernementale crédible qui croit que la personne a pu être trafiquée;

D. Le fait que la personne ne croie pas qu’elle a été victime de la traite ne doit pas contredire d’autres preuves suggérant qu’elle est une victime de la traite (souvent les personnes victimes de la traite nieront le fait qu’elles aient été trafiquées);

E. Dans le cas où la preuve, selon la prépondérance des probabilités, établirait que cette personne est un enfant, toute preuve suggérant l’existence de la traite sera suffisante pour établir des motifs raisonnables de soupçonner que cet enfant a été trafiqué.

Le test des « motifs raisonnables de soupçonner » est un standard peu élevé et ne requière pas que toute la preuve soit évaluée, malgré qu’il doive y avoir de la preuve crédible pour établir qu’une personne puisse avoir été victime de la traite. Une seule pièce de preuve doit être suffisante pour atteindre le standard, à moins que celle-ci soit manifestement contredite par d’autre preuve. En ce qui a trait à la protection temporaire, l’intention est de donner le bénéfice du doute à la personne susceptible d’être victime de la traite. Le cas échéant, le statut temporaire établit les conditions pour qu’une évaluation plus compète soit effectuée.

Dans le cas d’un enfant, l’agent d’immigration doit être responsable de s’assurer que cet enfant sera immédiatement placé sous la garde des autorités de la protection de la jeunesse et qu’il ait accès aux services essentiels, y compris l’assistance psychologique.

Si les circonstances le justifient, l’agent d’immigration aura la discrétion de prolonger la durée du permis temporaire pour une période additionnelle de six mois. (C’est-à-dire, s’il y a toujours des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a été une victime de la traite et que cette personne n’a pas pu, au cours des premiers six mois, pour quelque raison que ce soit, prendre de décision quant à son avenir.)

  1. Entrevue par les agents d’exécution de la loi : Lors du processus d’évaluation pour obtenir un permis de séjour temporaire, les personnes victimes de la traite ne doivent pas être interrogées par les agents d’exécution de la loi, sauf pour des motifs spécifiques reliés à l’exécution de la loi. Dans l’éventualité où une entrevue s’avère nécessaire, des directives claires quant au déroulement de telles entrevues doivent être élaborées pour guider les agents d’exécution de la loi. Ces directives doivent prévoir la nécessité d’être sensible à la situation vécue par les personnes victimes de la traite. Celles-ci doivent inclure la condition que les agents d’exécution de la loi affirment de façon explicite que d’obtenir une protection temporaire n’est pas conditionnelle à une coopération pendant l’entrevue. Ces directives vont également guider les agents afin qu’ils s’assurent que la personne soit accompagnée par un représentant d’un ONG si elle le désire. Les agents menant de telles entrevues vont devoir recevoir une formation sur comment interviewer des personnes victimes de la traite.
     
  2. Protection permanente : les personnes victimes de la traite sont admissibles à recevoir la résidence permanente par le biais d’une catégorie spéciale. Pour être éligible, une personne doit établir :
  • selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a été victime de la traite au Canada, y compris en transit ;
  • qu’elle subira des difficultés si elle est renvoyée du Canada, compte tenu de l’intérêt supérieur de tout enfant touché par un tel renvoi.

Les facteurs à prendre en considération pour évaluer si de telles difficultés existent sont :

A. le risque de préjudices physiques causées par les trafiquants ;

B. le risque d’être trafiqué à nouveau ;

C. les impacts psychologiques et/ou physiques reliés au fait d’avoir été victime de la traite (y compris les conséquences reliées à la santé physique et mentale) ;

D. l’isolement social ou la stigmatisation causé par le fait d’avoir été trafiqué (par exemple : la marginalisation des femmes qui ont fait de la prostitution) ;

E. les enfants qui ont été victimes de la traite doivent recevoir une protection permanente, à moins qu’il soit démontré que ce soit contraire à leur intérêt supérieur de demeurer au Canada ;

F. lorsque des raisons impérieuses existent, tenant à de l’abus atroce subi par une personne victime de la traite, il y aura une présomption qu’elle subira des difficultés, si la personne exprime sa volonté de demeurer au Canada ;

G. les personnes qui coopèrent avec les autorités canadiennes concernant la poursuite de leurs trafiquants sont présumées avoir un risque plus élevé si elles sont renvoyées du Canada, et par conséquent de faire face à des difficultés. La coopération signifie donner toute l’information demandée par les autorités, sauf lorsque la divulgation de celle-ci mettrait la personne victime de la traite ou toute autre personne en danger. Le résultat découlant de la poursuite n’est pas pertinent à l’évaluation de la coopération de la personne. Le fait qu’une personne décide de ne pas coopérer dans la poursuite ne sera pas etenu contre elle lors de l’évaluation de sa demande pour obtenir la résidence permanente.

Les demandes pour obtenir une protection permanente ne devraient pas être refusées sans que les demandeurs aient pu passer une entrevue et avoir bénéficier du droit à un conseiller.

Les membres de la catégorie des personnes victimes de la traite seront, au même titre que les personnes protégées, exemptées de payer les Frais relatifs au droit de résidence permanente et des mêmes catégories d’inadmissibilité.

  1. Réunification familiale : Les membres de la catégorie des personnes victimes de la traite, comme les personnes protégées, détiendront le droit d’inclure les membres de leur famille se trouvant au Canada ou à l’étranger.
     
  2. Non-poursuite d’infractions : Modifier l’article 133 pour protéger les personnes victimes de la traite de la poursuite pour des infractions reliées à leur entrée au Canada (tel que présentement pour les réfugiés).
     
  3. Détention : Modifier les articles 245 (risque de fuite) et 249 (considérations spéciales pour les mineurs) des Règlements afin d’enlever la référence à une connexion à la traite comme étant un facteur pouvant justifier la détention.

 

Résumé

Cette proposition présente des modifications législatives afin de s’assurer qu’il y ait des changements permanents et fondamentaux aux politiques canadiennes visant la protection des personnes victimes de la traite. Fiche de 2 pages, 2007.