Énoncé de politique
Le 4 avril 2024 – Journée des droits des réfugiés
Le Canada est fier de son leadership et de son savoir-faire en matière d’accueil et d’installation des réfugiés dont les demandes sont approuvées à l’étranger. Cependant, les demandeurs d’asile, qui arrivent à nos frontières en quête de protection, sont qualifiés à tort de « crise » et l’approche actuelle du gouvernement consiste à les conduire vers des hôtels sans aucun service de soutien. Nous soutenons que des infrastructures d’hébergement communautaire qui existent déjà au pays peuvent être étendues et que des services d’aide juridique et d’établissement peuvent être offerts aux demandeurs d’asile, le tout pour une fraction du coût des mesures d’urgence actuelles. Par le biais de quelques ajustements clés des infrastructures en place et d’une approche proactive, les gouvernements et la société civile peuvent collaborer pour rediriger des ressources qui existent déjà, réorienter les dépenses inutiles et reproduire des modèles dont l’efficacité est reconnue, de sorte que les personnes fuyant la persécution soient traitées équitablement et aient toutes les chances de réussir.
Un plan national pour l’asile dans la dignité : cinq piliers clés
Le Canada est un leader mondial en matière de réinstallation des réfugiés approuvés par les Nations unies avant leur arrivée au Canada. Même s’il n’est pas parfait, notre vaste système d’accueil à l’échelle nationale permet à ces réfugiés de réussir leur intégration en leur fournissant des renseignements, des services et du soutien logistique pour qu’ils puissent trouver un logement, du travail et une communauté.
Malheureusement, il n’y a pas de système similaire pour les demandeurs d’asile arrivant sans cette approbation préalable – qui étaient plus de 140 000 l’an dernier, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2022. Le droit de demander l’asile dans un autre pays est protégé par les conventions internationales pour la protection des droits humains, dont le Canada est signataire. La grande majorité des personnes qui demandent le statut de réfugié après leur arrivée au Canada (plus de 70 % en 2023) sont finalement considérées comme des réfugiés fuyant la persécution. Cependant, ils doivent naviguer dans un labyrinthe bureaucratique pendant deux ans ou plus, souvent sans conseils juridiques, en continuant leur parcours avec peu de ressources d’orientation et d’aide. Pour trouver un logement à court ou à long terme, un emploi, un avocat, voire pour inscrire leurs enfants à l’école, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes, transformant l’expérience déroutante de leurs premiers jours, mois ou années au Canada en cauchemar.
Malgré des sommes importantes, quoique sporadiques, de fonds fédéraux alloués à court terme pour le logement temporaire dans des hôtels ou des refuges pour personne sans-abri, malgré les efforts des gouvernements municipaux et provinciaux et malgré le travail des organisations non gouvernementales et des organismes communautaires, trop de demandeurs d’asile – des personnes qui ont survécu à des parcours souvent périlleux pour trouver la sécurité au Canada – passent à travers les mailles du système.
Ne pas planifier, c’est planifier l’échec – tout le monde en sort perdant
L’approche du Canada en matière de demandes d’asile comporte plusieurs atouts importants, notamment le processus de détermination du statut de réfugié, qui est admiré partout dans le monde, ainsi que l’accès aux permis de travail et la couverture de soins de santé au moyen du Programme fédéral de santé intérimaire. Toutefois, le nombre croissant de personnes qui sont chassées de leur foyer dans le monde entier et qui arrivent à nos portes exige plus que des mesures bouche-trous. Dépenser des centaines de millions en chambres d’hôtel, comme le fait présentement le gouvernement fédéral, peut permettre de masquer le problème pendant quelque temps, mais cela ne sert ni les demandeurs d’asile ni le public. L’absence de réponse coordonnée des trois paliers de gouvernement laisse tomber ceux qui ont droit à l’asile, place les gouvernements locaux et les groupes communautaires en mode de réaction à court terme, et laisse les Canadiens choqués et bouleversés par le fait qu’autant de demandeurs d’asile se retrouvent en situation d’itinérance dans un pays qui se dit pourtant fier de son ouverture aux réfugiés.
Les gens au Canada entendent de plus en plus souvent dire que les demandeurs d’asile provoquent une « crise » – une situation que le Canada serait incapable de gérer. Ce n’est absolument pas le cas. Notre pays dispose des infrastructures, du savoir-faire et des ressources nécessaires. Grâce à quelques ajustements clés aux infrastructures déjà en place et à une approche proactive, les gouvernements et la société civile peuvent rediriger des ressources qui existent déjà, réorienter les dépenses inutiles et reproduire des modèles dont l’efficacité est reconnue afin que les personnes fuyant la persécution soient traitées équitablement et puissent vivre en toute sécurité.
Cinq piliers clés d’action à l’échelle fédérale
Les mesures que nous proposons permettront aux réfugiés de réussir leur intégration dans la société canadienne pour une fraction du coût actuellement consacré aux mesures d’urgence.
#1 Créer des centres d’accueil dans les villes où se trouve un grand nombre de demandeurs d’asile pour les orienter lors de leur arrivée et coordonner les services, en collaboration avec les gouvernements provinciaux et municipaux ainsi que la société civile.
Tout en étant adaptés aux besoins locaux, tous ces centres offriront des services d’orientation et de référence aux demandeurs d’asile qui viennent d’arriver, qu’ils aient besoin d’un endroit où rester ou qu’ils l’aient déjà trouvé. Ces centres peuvent trier les besoins des demandeurs et les mettre en contact avec des fournisseurs de services adéquats. Le travail en cours pour établir un centre d’accueil dans la région de Peel avec des fonds fédéraux est un exemple positif de collaboration sur lequel il faut s’appuyer. À Ottawa, par exemple, des ONG et des groupes communautaires s’organisent avec le soutien des autorités municipales pour un projet similaire et sont prêts à s’engager avec le gouvernement fédéral.
Par ailleurs, ces centres peuvent faciliter les déplacements des demandeurs d’asile à l’intérieur d’une ville et vers des régions qui ont la capacité de les accueillir et de les installer. Enfin, les centres peuvent fournir un hébergement d’urgence en cas de besoin et offrir un accès immédiat à des services de répit.
Le fait d’avoir un lieu unique pour recevoir des conseils d’experts dès le départ réduira considérablement le stress des demandeurs d’asile épuisés et dépassés. Cela les aidera à bien faire le suivi de leur demande, ce qui se traduira par des résultats plus positifs pour les réfugiés et par des économies pour le gouvernement. Enfin, cela facilitera le travail des organismes d’aide aux réfugiés. Un centre chargé de la coordination peut également jouer un rôle essentiel en veillant à ce que les services soient appropriés et complémentaires.
#2 Allouer des fonds fédéraux durables pour l’hébergement à court terme et le logement de transition des demandeurs d’asile, en se fondant sur des expériences concluantes au sein de la société civile, de la diaspora et des groupes communautaires, afin de compléter les mesures mises en place par les provinces et les municipalités.
La société civile a, de sa propre initiative, développé un réseau de 35 centres d’hébergement à travers le pays qui offrent de l’hébergement d’urgence à court terme et des logements de transition aux demandeurs d’asile. Ceux-ci ne coûtent qu’une fraction du prix des hôtels ou des refuges pour sans-abri, mais répondent bien mieux aux besoins des demandeurs. Ce réseau est essentiel puisqu’il fournit également de la nourriture et de l’aide pour trouver un avocat et pour demander un permis de travail. Ce qui est peut-être encore plus important est le fait que ce réseau offre aussi une communauté de soutien qui est essentielle au bien-être et à la santé mentale. Ces foyers aident également les résidents à trouver un logement à long terme, ce qui permet de réduire la durée des séjours dans des logements de transition et d’alléger la pression sur les centres d’hébergement pour sans-abri.
Les organismes communautaires de la diaspora et les associations religieuses ont également trouvé des moyens novateurs d’offrir des ressources d’hébergement d’urgence et de soutien social.
S’il était soutenu par des fonds gouvernementaux prévisibles à long terme, ce réseau de logements pour les réfugiés pourrait être étendu à un plus grand nombre de demandeurs d’asile qui ont besoin d’un logement et de soutien lors de leur arrivée. Un tel financement encouragerait les provinces et les municipalités à reproduire ce modèle efficace pour les demandeurs d’asile, tout en investissant dans des logements abordables pour tous.
#3 Rendre les demandeurs d’asile admissibles aux services de soutien offerts aux autres nouveaux arrivants dans le cadre du Programme d’établissement mené par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).
Un réseau très développé d’organismes offrant des services spécialisés aux nouveaux arrivants existe déjà à travers le pays, mais ils disposent de peu de marge de manœuvre puisqu’ils ne sont pas autorisés à servir les demandeurs d’asile. Étendre le Programme d’établissement d’IRCC aux demandeurs d’asile, une mesure qui a fait ses preuves, serait un moyen rapide et rentable de leur offrir des services de qualité. Ce programme propose une évaluation des besoins et des biens, des services de référence, d’information et d’orientation, des cours de langue, des services liés à l’emploi et des liens avec la communauté. Il y a déjà un précédent : en 2022, l’accès aux services d’aide à l’établissement a été exceptionnellement (mais de manière légitime!) étendu aux Ukrainiens fuyant la guerre, qui n’auraient autrement pas été admissibles en raison de leur statut temporaire. Les demandeurs d’asile ne méritent pas moins.
Il faut noter que la grande majorité des demandes d’asile sont finalement approuvées – environ trois sur quatre en 2023 –, ce qui signifie que la plupart des demandeurs d’asile finiront de toute façon par être admissibles à ces services. L’approche proposée permettrait simplement de s’assurer qu’ils y aient accès au moment où ils en ont le plus besoin. L’aide à l’établissement permettrait aux demandeurs de mieux naviguer dans leur processus de demande d’asile et de respecter les échéances importantes, contribuant ainsi à un système de détermination du statut de réfugié plus équitable et plus efficace. En 2023, l’Examen stratégique de l’immigration d’IRCC a reconnu la nécessité d’« améliorer les services aux demandeurs d’asile afin d’offrir une approche humaine ».
#4 Veiller à ce que les demandeurs d’asile bénéficient d’une aide juridique adéquate dans toutes les régions du pays grâce à des fonds pluriannuels.
La représentation par un conseiller juridique est nécessaire du début à la fin du processus de demande d’asile pour que les demandes soient déposées rapidement et correctement et pour qu’une audience équitable ait lieu. Des fonds fédéraux à l’aide juridique sur plusieurs années sont essentiels pour éliminer les obstacles majeurs à la représentation juridique auxquels sont confrontés les demandeurs d’asile. Ce financement permettrait de suppléer la grave pénurie d’avocats spécialisés dans le domaine de l’aide juridique en encourageant les provinces à fixer des taux compensatoires qui permettraient d’intégrer plus de professionnels dans le système. Les fonds fédéraux devraient être déterminés avec les organismes d’aide juridique, basés sur le coût par demande et liés au nombre réel de demandes.
Il est essentiel que le gouvernement fédéral finance des organismes diversifiés pour veiller à ce que les demandeurs d’asile aient accès à des services d’aide juridique dans les provinces où le programme provincial ne couvre pas les demandes d’asile (au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard). L’expérience concluante de la Halifax Refugee Clinic, par exemple, qui reçoit des fonds fédéraux pour offrir des services juridiques en Nouvelle-Écosse, pourrait être reproduite dans d’autres provinces.
#5 Rationaliser l’étape initiale du processus de demande d’asile et éliminer l’arriéré dans le processus de détermination subséquent grâce à des ajustements mineurs mais significatifs.
Une solution complète aux longs délais et aux coûts inutiles du processus de demande d’asile pourrait exiger une révision globale des critères d’admissibilité, y compris des changements sur le plan législatif. Toutefois, le processus pourrait être considérablement simplifié par des ajustements mineurs qui pourraient être faits dès maintenant, en particulier lors de l’étape initiale. Les questions inutiles pourraient être identifiées et éliminées, les renseignements pourraient être recueillis dans la langue du demandeur et les délais pourraient être plus réalistes.
Le processus pourrait prendre en compte les nombreux demandeurs d’asile qui n’ont pas le niveau d’alphabétisation et l’accès à l’équipement requis pour utiliser le portail en ligne. (En théorie, des exceptions peuvent être autorisées, mais en pratique, elles ne sont presque jamais accordées). De plus, les demandeurs pourraient recevoir immédiatement des documents les identifiant comme tels pour qu’ils puissent avoir accès à des services essentiels, comme l’ouverture d’un compte de banque.
Ces mesures simplifiant l’étape initiale raccourciront la période pendant laquelle les demandeurs ont besoin d’aide sociale et de logement d’urgence. Pour l’étape subséquente de la détermination du statut, un financement adéquat lié au nombre de demandes reçues permettra d’éliminer les retards et de préserver notre modèle respecté au niveau international, tout en réduisant la période d’attente pour les demandeurs.