L’idée d’un examen accéléré des demandes qui semblent non fondées est séduisante. Cependant, cela pose un certain nombre de problèmes :
- Il est difficile d’identifier les demandes sans fondement. Certaines semblent infondées en surface, mais après enquête, s’avèrent être réelles. Au Royaume-Uni, les demandeurs orientés à tort vers l’examen accéléré sont parfois des survivants de la torture, de viol ou autres violences liées au genre. 1 Le système canadien avait auparavant un processus d’examen visant à rejeter les demandes sans « minimum de fondement » mais il a échoué et a été abandonné en 1993.
- Le filtrage selon le pays d’origine n’est pas utile parce qu’il y a très peu de demandeurs de pays pouvant être désignés comme étant sûrs. Ceux qui nous préoccupent maintenant, la République tchèque et le Mexique, ont connu des violations des droits humains importantes et bien documentées et il y a de nombreuses questions sur la capacité ou la volonté de l’État de protéger ses citoyens. Ceci est confirmé par les taux d’acceptation des personnes entendues par la CISR. Depuis un an et demi, plus de 80% des Tchèques et 15% des Mexicains entendus ont été déclarés réfugiés. Si le taux d’acceptation des Mexicains indique bien sûr que de nombreux demandeurs n’ont pas besoin de la protection du Canada, il est également impossible d’affirmer avec certitude que nous pouvons supposer qu’une demande mexicaine est infondée. De plus, on peut se demander si le taux d’acceptation n’est pas injustement faible. La protection est refusée à beaucoup de personnes parce que l’État mexicain devrait pouvoir les protéger. Or, avec la violence croissante au Mexique, l’État n’offre souvent pas de protection, soit parce qu’il est impuissant, soit parce qu’il est complice de la violation commise. Une étude du Pentagone a conclu que le Mexique risque de devenir un État en déroute.2
- Soumettre les demandeurs à une procédure accélérée parce que leur demande est jugée sans fondement constitue souvent une prophétie autoréalisante. Ils n’ont pas assez de temps ou l’occasion de se préparer et de présenter leur cas correctement et les décideurs risquent d’avoir un parti pris à leur encontre parce que leur demande a été fichée comme étant « sans fondement ». La procédure accélérée pénalise en particulier les victimes de viol ou autres violences sexuelles; il est démontré que ces personnes ont souvent besoin de temps avant de faire part de leurs expériences à des décideurs. Dans les systèmes de décision accélérée, ils quitteront le pays avant d’avoir pu expliquer à qui que ce soit ce qui leur est arrivé.
« La procédure accélérée est un système pour refuser les personnes. Personne n’a le temps de vous écouter. Même le juge n’a pas écouté. » N., demanderesse au Royaume-Uni, détenue pendant 11 mois.3 |
La plupart des observateurs font une fixation sur la détermination rapide du statut pour les demandes sans fondement mais, dans les faits, des retards se produisent souvent après le refus de la demande. Les activités de renvoi semblent rarement coordonnées avec le reste du système.
Le Royaume-Uni fait face à un problème similaire. Leur Bureau national de vérification a récemment révélé que la mise en œuvre du New Asylum Model n’a pas débouché sur une hausse des renvois des demandeurs d’asile refusés.4
En fait, des données récentes montrent que les retards dans le système britannique croissent.5 Pire encore, un nombre important de demandeurs sont sans ressources à l’issue du processus.6
Les Canadiens sont fiers à juste titre de leur réputation internationale de leader dans la protection des réfugiés. Notre système d’asile est loin d’être parfait mais, en envisageant certains changements, nous devrions protéger les éléments centraux qui participent à son succès et qui sont enviés à l’étranger. Parmi ces éléments, on compte un engagement à traiter les demandeurs avec dignité et à assurer une procédure juste afin de décider s’ils ont besoin de protection.
1. Bail for Immigration Detainees,
Refusal factory: Women’s experiences of the Detained Fast Track asylum process at Yarl’s Wood Immigration Removal Centre, septembre 2007,
http://tinyurl.com/lbmk5m. Le Bureau national de vérification a constaté que certains demandeurs sont détenus même si leur cas est trop complexe pour l’examen accéléré, parce qu’une entrevue complète de filtrage n’a pas été effectuée.
Management of Asylum Applications by the UK Border Agency, par. 10,
supra.
2. Wall Street Journal, “Mexico’s Instability Is a Real Problem. Don’t discount the possibility of a failed state next door”, Joel Kurtzman, 16 janvier 2009, http://online.wsj.com/article/SB123206674721488169.html. La Cour fédérale du Canada a plusieurs fois cassé des décisions de la CISR où les demandeurs étaient refusés parce que l’État mexicain pouvait les protéger ou qu’ils pouvaient être en sécurité ailleurs au Mexique. Pour des références, voir http://www.ccrweb.ca/viesenjeu4.htm (note 2).
4. Management of Asylum Applications by the UK Border Agency, janvier 2009, para. 6(h) supra.
5. Le Bureau national de vérification, supra à la note 15, a constaté une accumulation croissante de cas en attente d’une première décision (par. 2.14) et un nombre croissant de demandeurs refusés en attente de renvoi (par. 2.23), en plus d’un « retard hérité » de 335 000 cas de 2006, dont presque 90 000 avaient été traités en mai 2008 (par. 5.1 – 5.4). Voir également Comité des comptes publics de la Chambre des communes, 28ème rapport, Management of Asylum Applications, 16 juin 2009, nbsp;http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200809/cmselect/cmpubacc/325/325.pdf
6. Kate Smart, The Second Destitution Tally: an indication of the extent and causes of asylum seekers, people at the end of the asylum process and refugees in the UK, mai 2009, http://tinyurl.com/mmlwu6 (en anglais)