De nombreux pays dans le monde ont essayé ce que le ministre Kenney propose : une première décision rapide par un agent d’immigration, suivie d’un appel auprès d’un tribunal. Ceci mène souvent à de piètres premières décisions, qui bien des fois doivent être annulées en appel.

Le Canada a choisi une autre approche : investir dans des décisions de première instance de qualité, par un tribunal indépendant, appuyées par une bonne documentation.

Œuvrer à prendre la bonne décision en première instance est la meilleure manière de rendre la détermination du statut de réfugié juste et efficace.

L’expérience britannique l’illustre bien : un fort pourcentage des décisions de première instance des agents de l’UK Border Agency sont annulées en appel. Ceci augmente les dépenses, tout en ébranlant la confiance dans le système. En 2007 et 2008, 23% des décisions négatives portées en appel par des demandeurs d’asile refusés ont été renversées, augmentant à 26% pour le premier trimestre de 2009. Pour certains pays, le taux d’appel accueilli favorablement est nettement plus élevé : 56% pour les Zimbabwéens et 40% pour les Somaliens pour le premier trimestre de 2009.1

Les problèmes liés à la qualité des décisions en première instance ont suscité l’inquiétude du HCR, qui dirige le Quality Initiative Project, dans un effort pour remédier à leurs manquements. Le HCR a à de nombreuses reprises souligné de « très graves et considérables inquiétudes face à l’approche de l’évaluation de la crédibilité. »2 En 2008, il a constaté des problèmes particuliers propres aux décisions accélérées pour les détenus : une approche incorrecte de l’évaluation de la crédibilité, une forte prépondérance des arguments spéculatifs, un manque d’attention aux éléments matériels de la demande et le fait que certains fonctionnaires démontrent une « compréhension limitée des concepts liés au droit sur l’asile ».3  Une année plus tard, ces inquiétudes demeuraient vives.4

Confier la détermination du statut de réfugié à des agents d’immigration, plutôt qu’à un tribunal tel que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), est foncièrement problématique pour plusieurs raisons, y compris parce que :

  • Les agents d’immigration n’ont pas l’indépendance institutionnelle nécessaire. En tant qu’employés ministériels, il est probable qu’ils soient influencés par des objectifs ministériels tels que la réduction du nombre de demandeurs. De plus, puisqu’ils relèvent du Ministre, ils peuvent être partiaux à cause de considérations politiques.
  • En pratique, les agents d’immigration chargés de ce niveau de prise de décision sont nettement plus novices que ceux de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.5
  • Les agents d’immigration n’ont pas accès au même niveau de formation, de soutien juridique, de la recherche et de la documentation fournis aux membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.6
« Les réfugiés doivent pouvoir faire entendre leur demande de protection par un organisme de prise de décision indépendant des pressions politiques et de l’hostilité publique à l’égard des demandeurs d’asile et des réfugiés. Le modèle canadien de décision indépendante est très respecté dans le monde et reconnu comme un modèle de bonnes pratiques. » Gemma Juma, British Refugee Council

Ironiquement, alors que le Ministre Kenney se tourne vers le Royaume-Uni en quête d’inspiration, certains Britanniques recommandent que le Royaume-Uni restructure son système en fonction du modèle canadien. Le Social Justice Centre a récemment affirmé qu’il était « très impressionné par le système d’asile canadien où les décisions sont prises par des « membres » indépendants bien formés ».7 En proposant un système inspiré du Canada, ils soutiennent qu’ « un plus grand investissement et plus de temps au début assureraient que des décisions de meilleure qualité soient prises, avec moins d’appels, ce qui ne serait pas plus coûteux à long terme ».8

Le système d’asile canadien a également souvent reçu les éloges du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et a été vanté comme un modèle sur la scène internationale.

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1. Ministère de l’Intérieur, contrôle de l’immigration : résumé statistique trimestriel, Royaume-Uni – Premier trimestre 2009, http://www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs09/immiq109.pdf (en anglais) et tableaux Excel complémentaires, http://www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs09/immiq109supp.xls (en anglais). L’Australie a également  une décision en première instance effectuée par un fonctionnaire, suivie par un appel devant un tribunal. En 2007-2008, 18% des décisions initiales ont été annulées devant le Refugee Review Tribunal, en baisse par rapport aux 30% de 2005-2006, mais les taux pour certains pays étaient nettement plus élevés (par exemple 31% pour le Sri Lanka et 47% pour le Népal). Migration Review Tribunal et Refugee Review Tribunal, rapport annuel, 2007-2008, tableau 4.8, http://www.mrt-rrt.gov.au/annrpts/mrt-rrt/ar0708/MRTRRTAR0708.pdf (en anglais)

2. HCR, projet Initiative Qualité, cinquième rapport, juin 2008, pour la période février 2007-mars 2008, par. 2.4, http://tinyurl.com/ndcurq (en anglais)

3. Ibid., par. 2.3.

4. HCR, Quality Initiative Project, sixième rapport, avril 2009, pour la période avril 2008-mars 2009, chapitre 3, conclusions, http://tinyurl.com/m2wffd (en anglais). Ce rapport met l’accent sur les demandeurs d’asile mineurs et constate qu’une attention inadéquate est consacrée aux éléments propres aux enfants dans l’évaluation des demandes faites par des enfants. Le Bureau national de vérification a également souligné des problèmes dans la qualité des décisions en première instance, constatant que « bien que les vérifications montrent le besoin d’améliorations dans certains aspects de la prise de décision, l’Agence ne donne pas suite à ces conclusions afin d’identifier et de renverser des décisions incorrectes. » National Audit, Management of Asylum Applications by the UK Border Agency, janvier 2009, par. 6 (g), http://www.nao.org.uk/publications/0809/management_of_asylum_appl.aspx (en anglais)

5. Ceci est certainement le cas des agents de Citoyenneté et Immigration Canada qui se chargent actuellement des examens des risques avant renvoi, qui demandent de déterminer le statut de réfugié.

6. Pour des inquiétudes liées au niveau de formation des agents d’examens des risques avant renvoi, voir le rapport du Comité permanent de la citoyenneté et l'immigration. La Protection du droit d’asile- Maintenir les engagements du Canada envers les réfugiés, mai 2007, http://tinyurl.com/exqys.

7. Asylum Matters, par. 7.2.3,  supra.

8. Ibid.