Au cours de ces dernières années le monde a intensifié de façon significative la discussion sur le problème de la traite. Les abus de droits humains fondamentaux subis par les personnes victimes de la traite, principalement les femmes et les enfants, suscitent une grande inquiétude. Les ONG, les gouvernements, les Nations Unies et autres ont essayé de trouver une réponse à ce problème. Toutefois, beaucoup d’opinions diffèrent à propos de la définition de ce qu’est la traite, sur sa façon de se propager, de la compréhension du problème et de la manière de le résoudre et pour faire face aux restrictions de plus en plus nombreuses à l’encontre des migrations légales et sécuritaires que rencontrent les gens à travers le monde.
Qu’est ce que la traite?
La traite a été définie de plusieurs façons au cours des années et par plusieurs groupes.
Depuis 2000, la définition largement utilisée est celle du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, spécialement des femmes et des enfants (aussi connue sous le nom de Protocole de Palerme). Selon ce document, la traite d’êtres humains signifie le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil des personnes, aux moyens de menace ou d’usage de la force ou d’autres formes de contrainte tels que, l’enlevement, la fraude, la tromperie ou l’abus de pouvoir ou la position de vulnérabilité de la victime ou l’offre ou l’acceptation de paiement ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitations.
La traite et le trafic
Il est utile de distinguer la traite de personnes du trafic des gens. Une personne victime de la traite reste sous le contrôle des trafiquants, tandis que le trafic implique la simple facilitation d’une entrée clandestine dans le pays.
Quelques éléments clés de la définition de la traite
Consentement : La traite se définit généralement par l’absence de volonté de la victime de la traite, c’est-à-dire que les victimes ont été trompées ou enlevées par force. Par contre les personnes trafiquées, sont censées vouloir entrer dans un autre pays. Cette distinction, cependant, n’est pas si simple, puisque plusieurs sinon la plupart des émigrants connaissent à de degrés divers de la contrainte ou de la tromperie. Aussi des individus peuvent-ils accepter sciemment une situation d’exploitation parce que c’est la meilleure option disponible pour eux ou peuvent commencer par accepter une proposition et la refuser plus tard quand ils sont instruits de la situation réelle. Par conséquent la question de leur propre consentement ne nous dit pas si oui ou non la personne est victime de la traite.
Travail forcé : La plupart de définitions de la traite incluent la référence à un genre de travail forcé. Le but visé par les trafiquants est d’exploiter le travail ou les services de ceux qui en sont victimes. Selon le Protocole de Palerme, l’exploitation comprend « l’exploitation de la prostitution d’autrui ou autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. »
Certains groupes sont de l’avis que toute forme de prostitution est nécessairement de l’exploitation. Par conséquent, ils qualifient un très grand nombre de femmes de victimes de la traite. D’autres rejettent une pareille approche, parce qu’elle nie la capacité (limitée) des travailleuses de sexe (migrantes et autres) d’agir et elle présume que les autres formes d’exploitation sont moins odieuses pour les femmes. L’exploitation sexuelle accaparent souvent beaucoup d’attention dans les discussions sur la traite, mais la traite pourrait inclure également d’autres formes de travail forcé, tel que les travaux d’usine, les travaux domestiques, la vente de la drogue, le travail dans les restaurants, fermes ou ateliers, etc.
La migration : Bien que certaines définitions de la traite comprennent des situations où les personnes victimes de la traite demeurent dans leur communauté d’origine, le terme « traite » est très souvent utilisé pour s’appliquer aux personnes qui ont quitté ou sont forcés de quitter leur pays d’origine. Comme la Rapporteuse spéciale des Nations Unies chargée de la questions de la violence contre les femmes l’a dit « la victime est déplacée ou transportée dans un milieu qui ne lui est pas familier et où elle se trouve isolée sur les plans culturel, linguistique ou physique et privée d'identité juridique ou d'accès à la justice. Cette rupture accroît la marginalisation des femmes faisant l'objet de la traite et les risques de sévices, de violences, d'exploitation, de domination ou de discrimination de la part tant des trafiquants que de l'État (police, tribunaux, services de l'immigration, etc.) » (Rapport sur la traite des femmes, les migrations des femmes et la violence contre les femmes, 29 février 2000, para. 15).
Les liens entre la migration et l'exploitation sont évidents. Le plus souvent, c'est à cause de la discrimination à laquelle les migrants font face parce qu'ils ont été catégorisés comme des "illégaux" par les pays de destination et parce que les employeurs sont à la recherche d'une main-d'oeuvre toujours moins chère et moins exigeante.
En clair, il existe de graves abus de droits humains qui se présentent au moment où les femmes, les enfants ou les hommes sont forcés ou amenés par ruse à travailler dans un endroit où ils n’ont que de relations de travaux d’exploitation. La manière dont la situation est comprise influencera quelles solutions sont jugées les plus appropriées pour résoudre ces abus de droits humains.
Le nombre de personnes victimes de la traite
Une question qui se pose très souvent dans les discussions sur la traite concerne son étendue. Les estimations sur le nombre de personnes victimes de la traite varie beaucoup. La différence peut s’expliquer partiellement du fait que, puisque la traite implique de nombreuses activités illégales, il n’existe aucunes statistiques officielles disponibles. Toutefois, les fluctuations sont dues également aux nombreuses interprétations différentes de la traite. À titre d’exemple, ceux qui considèrent que toutes les femmes emmenées dans un autre pays pour travailler comme prostituées sont victimes de la traite proposent un nombre beaucoup plus grand que ceux qui disent qu’une femme peut volontairement chercher à travailler comme prostituée.
Les inégalités universelles
Les nombreuses migrations internationales ont lieu dans un contexte d’inégalités économiques mondiales et de manquement systématique de respect de droits humains fondamentaux d’une grande partie de la population du monde. Un grand nombre de gens se trouvent incapables de se protéger et de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles dans leurs propres pays. En même temps, les efforts faits par les gouvernements pour restreindre la migration empêche le plus grand nombre de gens dans le monde (et spécialement les femmes) à émigrer légalement. Pendant que les contrôles de migrations sont renforcés, il se trouve que dans les pays d’accueil il y a une demande d’une main d’oeuvre exploitable. Les femmes et les filles se trouvent particulièrement prises entre ces pressions conflictuelles, à cause des systèmes sociaux, économiques, culturels et politiques basés sur le sexe.
Ce contexte conduit aux abus très répandus des droits humains de la plupart des gens qui cherchent à quitter chez eux ou qui vivent et travaillent dans des situations d’exploitation de degrés variables. Ces abus et exploitations sont, par conséquent, façonnés non seulement par ces gens que l’on nomme trafiquants mais aussi par les gouvernements, les employeurs et par tous ceux dans les pays d’accueil qui acceptent la discrimination à l’égard des personnes sur base de leur nationalité et de leur statut d’immigration.
Différentes interprétations de la traite
Certains groupes utilisent la traite comme cadre pour voir en très grandes lignes la situation des migrants pauvres. Cette approche fait valoir les pratiques largement partagées de tromperie, de contrainte et d’exploitation (bien que le degré peut varier).
Les autres utilisent la traite pour couvrir la situation du groupe beaucoup plus restreint des migrants qui n’acceptent pas l’état d’exploitation dans lequel ils se trouvent mais qui sont forcés d’y rester généralement par violence ou menace de violence. Cette approche reconnait que certains migrants rencontrent d’extrêmes formes de coércition.
Il en reste d’autres qui cherchent à savoir s’il est utile de se servir du cadre de la traite, en raison du fait qu’il ne correspondrait pas au vécu des migrants et ne donne aucune réponse aux problèmes rencontrés par la grande majorité des migrants sans statut. Ils se préoccupent du fait qu’en présentant les migrants comme des victimes de la traite, le rôle des femmes comme agentes actives est caché et on ne fait pas attention aux forces qui rendent les migrants vulnérables à l’exploitation.
Les mesures choisies pour donner une réponse aux problèmes de la traite dépend évidemment de l’analyse du poblème.
L’approche de la mise en application de la loi et de ses défauts
Les gouvernements impliqués dans la négociation du Protocole de Palerme ont montré qu’ils ont étudié le problème sous l’angle d’un crime international et leur proposition de solution venait du domaine de l’application de la loi. Il s’agit d’un Protocole à la Convention contre la criminalité transnationale organisée. Même si le Protocole inclut des mesures visant à protéger les personnes victimes de la traite, ces mesures ne sont pas présentées comme des exigences et l’objectif est plutôt de criminaliser les traffiquants.
Les gens qui traffiquent les êtres humains méritent d’être traduits en justice. Toutefois une approche visant des mesures punitives contre les traffiquants laisse de côté le rôle joué par les autres parties dans les violations des droits des émigrants. Cela comprend le rôle de l’état et ses représentants officiels dans les restrictons de mouvement des femmes à travers les frontières et les politiques d’immigration discriminatoires ainsi que le rôle des employeurs et ceux qui acceptent la discrimination subie par les migrants.
Une autre critique de l’approche axée sur l’application de la loi est qu’elle fait fonction d’une extension des efforts des états de restreindre les migrations. Ce point de vue s’appuie sur l’accentuation faite aux mesures de répression pendant que les droits des victimes reçoivent une priorité négligeable. Dans plusieurs programmes contre la traite, les personnes qui en sont victimes sont renvoyées dans leur pays même si dans beaucoup de cas les femmes avaient des raisons importantes de quitter leur pays. Combattre la traite sans résoudre le besoin des femmes de pouvoir émigrer en sécurité ne s’attaque pas au fond du problème.
Les programmes offrant de statut aux personnes victimes de la traite
Une autre approche est de permettre aux personnes victimes de la traite de régulariser leur statut dans le pays où les traffiquants les ont conduites. Certains pays, y compris les É.U., ont de tels programmes. Toutefois, certains pays conditionnent l’octroi de statut à la dénonciation des traffiquants. Les victimes de la traite ne sont pas disposées à le faire parce qu’elles craignent que cela soit dangereux pour elles-mêmes ou pour leurs familles.
Dans certains cas, les personnes victimes de la traite pourraient être reconnues réfugiées. Le HCR a émis des principes directeurs sur l'application de la définition de réfugié aux victimes de la traite et aux personnes risquant de l'être.
Le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) demande des mesures qui assureront une protection adéquate des droits des personnes ayant subi la traite au Canada, notamment par le biais d'un amendement législatif (également en version PDF). Le CCR encourage les Canadiens à s'informer sur les réalités de la traite et à passer à l'action en faveur des droits des personnes victimes de la traite.
Le CCR a identifié les principes suivants pour guider les réponses à la traite.
- Pas de sanction: les mesures ne doivent pas pénaliser les victimes.
- Les droits humains: les mesures doivent être prises dans le strict respect des droits des victimes de la traite.
- Les droits économiques: les mesures doivent être prises dans le strict respect des droits économiques des victimes de la traite.
- Les services de soutien: des services de soutien sont nécessaires pour les victimes de la traite.
- La prise en considération du sexe et de la race: une analyse du genre et de la race devrait être prise en considération dans les enjeux de la traite.
- Inclusion des victimes de la traite: les discussions relatives aux victimes de la traite devraient inclure ces dernières.
La question de la traite des femmes est suivie depuis plusieurs années par le Conseil canadien pour les réfugiés, et notamment son Groupe coordonnateur l'égalité entre les sexes. En décembre 2001, le CCR a adopté une résolution qui reconnaissait les besoins des femmes victimes de la traite au Canada et le fait que les ONG ne sont pas nécessairement sensibilisées à leurs besoins. Le CCR a également commenté l'incapacité du projet de loi C-11 (devenu loi en tant que la Loi sur l'Immigration et la Protection des réfugiés) à répondre aux besoins des personnes victimes de la traite.
En février 2000, le CCR a produit un document (en anglais), Migrant smuggling and trafficking in persons, dans le cadre des efforts d'influencer l'élaboration des protocoles des Nations Unies relatives au trafic des migrants et à la traite.
En 2003 le CCR a lancé un projet dans le but de développer la capacité des ONG canadiennes de répondre adéquatement aux besoins des personnes victimes de la traite au Canada, surtout les femmes et les filles, et d’œuvrer pour l’éradication du travail forcé au Canada. Le projet a organisé une série de rencontres, à l’échelle régionale et pan-canadienne, afin de consulter les ONG, de réseauter et d’élaborer des recommandations. Un rapport, La traite des Femmes et des Filles, Rapport des réunions, a été publié en février 2004.
Le CCR ses activités de leadership et de coordinations à travers le Canada, dans le but de faire avancer les recommandations élaborées lors des réunions, surtout en ce qui a trait à la sensibilisation du public et à la promotion de mesures de protection des personnes victimes de la traite.
La dimension internationale de la traite ne doit pas faire perdre de vue que ce problème nous concerne tous. Le travail forcé est une réponse à une demande qui existe au Canada et dans tous les pays industrialisés. La traite d’êtres humains est donc un problème canadien.
La loi canadienne criminalise la traite et, avec raison, la classe parmi les crimes les plus sérieux, en imposant des sanctions sévères aux coupables. D’un autre côté, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés mentionne seulement les victimes de la traite dans un règlement. Ce règlement cite le fait d’avoir été victime de la traite parmi les facteurs pouvant donner lieu à la détention, incluant celle des enfants. Rien dans la loi ne protège spécifiquement les droits des victimes de la traite.
Les permis de séjour temporaire
En mai 2006, le gouvernement canadien a émis de nouvelles directives pour la délivrance des permis de séjour temporaire aux victimes de la traite des personnes (voir le communiqué, Assistance aux victimes de la traite de personnes). Le CCR a salué l'initiative comme un pas positif (voir le communiqué Le CCR accueille favourablement les mesures de protection urgentes à l’intention des personnes ayant subi la traite).
Cependant, ces directives se sont avérées inadéquates, selon le CCR : elles sont discrétionnaires et ne sont pas toujours offertes aux victimes de la traite; elles imposent un fardeau de preuve déraisonnable aux victimes de la traite; et finalement, le fait qu’elles requièrent la participation des autorités chargées de l’exécution de la loi a découragé plusieurs victimes d’en faire la demande.
En 2007, après l'émission des nouvelles directrices, une femme est arrêtée à la frontière Canada – États-Unis. Les autorités canadiennes lui font passer une entrevue et concluent qu’elle est une victime de la traite. Toutefois, aucune protection ne lui est offerte – elle est plutôt détenue et rapidement déportée, sans avoir la possibilité de rencontrer un avocat.
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Le protocole de Palerme
- La Convention des nations Unies contre le crime organisé transnational et ses 2 protocoles additionnels ont été signé par 120 États sur les 148 présents a Palerme, en Italie en décembre 2000.
- Le protocole concernant la traite d’êtres humains reconnaît la nécessité d’une approche qui combinerait à la fois la prévention de la traite, la répression des trafiquants, la protection des droits de l'homme et l’assistance aux victimes.
- 140 ONG ont participé aux négociations. Ces coalitions se sont assurés que les dispositions de la convention et de ses protocoles se conforment aux principes de la protection des droits de la personne.
- Ce Protocole recommande aux États signataire d’adopter des mesures pour:
- Prévenir le trafic d’êtres humains spécialement des femmes et des enfants, ainsi que poursuivre et réprimer les trafiquants
- Favoriser la coopération entre États fin de combattre la traite plus efficacement
- Protéger les victimes de la traite et de les aider à retourner en toute sécurité chez elle ou dans un autre pays
- Informer le public sur la traite et sur ses conséquences pour les ceux qui s’y livrent et ceux qui y sont livrés.
Le Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme)