Les mesures de sécurité adoptées
aux lendemains du 11 septembre 2001 ont changé la vie des réfugiés
et des immigrants.
En tant que Canadiens, nous devons décider si nous avons répondu
d’une manière appropriée aux défis de la sécurité.
Quelle est votre position sur cette question ?
Il n’y a pas de lien entre l’immigration et le terrorisme. À
vrai dire, on peut soutenir qu’un programme d’immigration positive décourage
en fait la violence par la promotion d’une société ouverte,
diversifiée, dynamique, tolérante et qui offre les mêmes
chances à tous.
Les immigrants viennent au Canada à la recherche d’une meilleure
qualité de la vie et une possibilité d’élever leurs
enfants dans la paix et la liberté. Comme les Canadiens nés
ici, les immigrants veulent la sécurité pour eux-mêmes
et pour leur société.
Le fait de lier l’immigration au terrorisme produit un effet très
nuisible sur les immigrants, leur faisant sentir qu’ils sont toujours considérés
comme suspects. Ceci est particulièrement vrai pour les immigrants
musulmans et arabes qui ont été les principales cibles de pareils
soupçons.
Le Canada a mis en place un système rigoureux d’immigration qui accorde
la priorité à l’exclusion de toute personne susceptible de représenter
une menace pour la sécurité.
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contient toute une série de dispositions rendant des personnes inadmissibles
pour cause de criminalité et de sécurité. Elles couvrent
toutes les menaces à la sécurité que l’on peut imaginer.
Le problème n’est pas que ces dispositions soient trop restreintes,
mais plutôt qu’elles soient trop larges et qu’elles pénalisent
donc beaucoup de personnes innocentes. Par exemple, tous les membres,
anciens et actuels, du parti de Nelson Mandela, le Congrès National
Africain (ANC), sont inadmissibles au Canada sur base de la sécurité
et peuvent seulement entrer au Canada avec une dérogation spéciale.
En été 2003, la loi sur l’immigration a permis l’arrestation
et l’étiquetage public de 23 immigrants de l’Asie du Sud comme des
« suspects terroristes » sur base du plus dérisoire des
témoignages, dans le cadre de l’Opération « Thread »
(fil)). Il s’est vite avéré évident que les soupçons
étaient dénuées de fondement et les accusations relatives
au terrorisme ont été abandonnées. Mais le fait
d’être publiquement associé au terrorisme a eu un impact dévastateur
sur la vie de plusieurs membres du groupe.
Les processus de sécurité canadienne pour les immigrants incluent
l’usage du « certificat de sécurité ». Selon
beaucoup d’experts, cette mesure sacrifie inutilement les droits individuels.
Le certificat de sécurité permet au gouvernement d’arrêter,
de détenir et de déporter les immigrants pour les motifs de
sécurité sans jamais leur fournir la preuve qui pèse
contre eux.
Les lois canadiennes sur l’immigration sont très strictes en ce qui
concerne l’exclusion des terroristes mais faibles en ce qui concerne la protection
des droits des non-citoyens.
C’est une erreur de penser que la sécurité peut se réaliser
par la construction des murs de plus en plus solides. Le Canada fait partie
de la communauté internationale et nous devons oeuvrer collectivement
à la promotion de la sécurité mondiale. Puisqu’il n’y
a pas de lien entre immigration et terrorisme, le renforcement des contrôles
d’immigration n’améliorera pas la sécurité; par contre,
il portera préjudice aux immigrants.
Le monde connaît des défis sérieux de sécurité.
On doit les attaquer en visant les vraies menaces, et ne pas nous laisser
distraire par le contrôle de l’immigration.
Les contrôles d’immigration au Canada sont dans certains cas, à
vrai dire, plus sévères que ceux des États Unis. Beaucoup
de personnes trouvent qu’il est plus facile d’entrer aux É.U. qu’au
Canada. Souvent des personnes à qui on a refusé un visa
pour le Canada, l’obtiennent pour les É.U. Un pourcentage significatif
des revendicateurs de statut de réfugié qui viennent au Canada
arrivent via les É.U. (72% des revendications faites à l’aéroport
ou à la frontière en 2003).
On estime à huit millions le nombre de personnes vivant aux É.U.
sans aucun statut, l’équivalent d’un quart de la population du Canada.
L’importance de la population sans papiers aux É.U. laisse supposer
que les contrôles d’immigration dans ce pays ne sont pas particulièrement
serrés. Mais cette forte population sans papiers n’a pas menacé
la sécurité des É.U. : en dépit des programmes
à grande échelle d’arrestations, de détention et d’enregistrement,
aucun terroriste n’a été trouvé caché parmi les
gens sans papiers aux É.U.
Certaines autorités américaines ont accusé le Canada
d’être une « passoire ». Ces accusations semblent se baser
soit sur une mauvaise information, soit sur le désir de trouver quelqu’un
à blâmer.
Il y a beaucoup dans les politiques d’immigration des É.U. dont les
Canadiens devraient se méfier, notamment une série de mesures
draconiennes et injustes. Celles-ci comprennent le recours excessif à
la détention, souvent dans des conditions dégradantes. Les É.U.
ont également des politiques discriminatoires qui imposent des mesures
spéciales à certains immigrants en fonction de leur nationalité,
pratique inacceptable au Canada. Étant donné les rapports des
forces entre les deux pays, l’harmonisation signifierait inévitablement
que le Canada adoptera les politiques des É.U. sans que les représentants
élus du Canada soient capables d’influencer les décisions.
Le cas de Maher Arar est un avertissement clair sur les dangers du système
américain. Quoiqu’il soit un citoyen canadien, M. Arar a été
déporté par les É.U. vers la Syrie où il a été
imprisonné sans inculpation et torturé.
Il est de loin plus difficile d’entrer au Canada comme réfugié
que comme visiteur. Les demandeurs du statut de réfugié représentent
0,1% des visiteurs et immigrants entrant au Canada chaque année. Il
est extrêmement peu probable que les malfaiteurs les plus avertis choisissent
de passer par une demande du statut de réfugié, qui implique
la prise des empreintes digitales, la photographie et les entrevues. Tous
ceux qui étaient impliqués dans les attentats du 11 septembre
semblent être entrés aux É.U. avec un visa de visiteur
ou d’affaires. Ils n’ont pas revendiqué le statut de réfugié.
Beaucoup de réfugiés arrivent sans documents d’identité
parce qu’il aurait été trop dangereux pour eux de porter de
telles pièces pendant qu’ils fuyaient la persécution. D’autres,
comme les Somaliens, viennent des pays où il n’y plus de gouvernement
pour délivrer de tels documents. Depuis 1993, le Canada a demandé
à des réfugiés reconnus au sens de la Convention, de
produire des documents d’identité afin d’obtenir la résidence
permanente. La conséquence a été de laisser dans le vide
juridique des milliers de réfugiés, sans le statut de résident
permanent et tous les droits qui en découlent. Par contre, plusieurs
années plus tard, aucune indication attestant que des criminels ou
des personnes représentant une menace à la sécurité
se soient cachés dans ce groupe, n’a été produite.
Détenir les demandeurs du statut de réfugiés n’est
pas un moyen logique ou éfficace de combattre le terrorisme. Ce serait
comme arrêter toutes les personnes trouvées dans les parrages
du lieu d’un crime dans l’espoir que l’une d’elles serait le coupable.
En 1996, les États-Unis ont adopté des lois qui ont eu pour
conséquence une augmentation massive des détentions d’immigrants
et des demandeurs d’asile. Ces mesures n’ont servi en rien à protéger
ce pays des attentats du 11 septembre. Par contre, beaucoup d’authentiques
réfugiés ont eu à passer des mois et parfois même
des années en détention, souvent dans des conditions déplorables.
Selon les lois actuelles, les fonctionnaires canadiens de l’immigration
sont pourvus de pleins pouvoirs pour détenir les demandeurs du statut
de réfugié et autres migrants qui semblent représenter
un danger pour la sécurité. Détenir en masse les demandeurs
du statut de réfugié ne renforcera pas notre sécurité,
mais sera fondamentalement injuste et non à l’honneur du Canada. Les
réfugiés fuient des graves abus des droits humains et sollicitent
notre protection : devant cette situation, nous avons la responsabilité
de leur éviter de se retrouver derrière les barreaux à
moins que ce soit absolument nécessaire.
Ce n’est pas facile d’être accepté comme réfugié
au Canada. Même avant qu’une demande du statut de réfugié
soit étudiée, le demandeur passe au crible quant à la
sécurité et à la criminalité. Après
avoir satisfait à cette vérification initiale, chaque
revendication est individuellement analysée et chaque demandeur interviewé,
souvent fort longuement, par la Commission de l’immigration et du statut de
réfugié (CISR). Le centre de documentation de la CISR jouit
d’une excellente réputation internationale et se trouve parmi les meilleurs
au monde. Les demandeurs du statut de réfugié doivent répondre
à toute preuve contradictoire et à toute prétendue incohérence
dans leur témoignage.
Quoique le système de détermination du statut de réfugié
soit conçu pour identifier qui est un réfugié, et non
pas pour dépister les terroristes, la Convention sur les réfugiés
exclut explicitement de la définition du réfugié les
personnes qui ont commis des crimes graves. Quand une telle preuve existe,
ces revendicateurs se voient refuser leur demande.
Les demandeurs du statut de réfugié refusés ne représentent
pas en soi une menace à la sécurité, pas plus que n’importe
quel groupe de citoyens canadiens. Beaucoup de ces demandes refusées
proviennent de familles avec enfants. Quand un cas individuel soulève
des questions de sécurité, le gouvernement canadien peut le
traiter selon des mesures spéciales, entre autres en détenant
la personne. Beaucoup de demandeurs viennent des pays en guerre, ou des pays
où il y a des troubles ou des atteintes à l’ordre public (tel
que l’Afghanistan, l’Irak ou la République Démocratique du Congo).
Parce que renvoyer des personnes vers ces pays imposerait de dures épreuves,
le gouvernement surseoit au renvoi de ces personnes, à moins qu’il
n’y ait des inquiétudes au niveau de la sécurité ou
de la criminalité.
Les attentats du 11 septembre 2001 n’ont absolument rien à voir avec
les réfugiés et pourtant, depuis cette date, nos politiques
d’asile et les réfugiés eux-mêmes sont devenus une cible.
Il faut se demander pourquoi. Est-ce parce que les réfugiés
sont une cible facile et à cause des craintes nourries par les stéréotypes
et le racisme? Les réfugiés comptent parmi les personnes
les plus vulnérables de la société : leurs propres gouvernements
n’ont pu ou n’ont pas voulu les protéger et à leur arrivée
au Canada comme demandeurs du statut de réfugié, ils n’y ont
aucun statut. Ils comptent sur le sens de justice et d’hospitalité
des Canadiens pour s’assurer que les droits fondamentaux des réfugiés
soient respectés.
Au cours de la seconde guerre mondiale, des Canadiens d’origine japonaise,
internés en masse, furent victimes du désir de sécurité
des Canadiens. Les mauvais traitements qu’ils ont subis étaient indéniablement
alimentés par des préjugés racistes. Ce chapitre de notre
histoire est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus honteux. Comment s’assurer
de ne plus répéter les mêmes erreurs maintenant dans
notre façon de traiter les réfugiés?