Conseil
canadien pour
les réfugiés
Déclaration
d’ouverture faite par le CCR à l’occasion de la visite au Canada
du Haut
Commissaire des Nations unies pour les réfugiés,
António Guterres, et de sa
rencontre avec les ONG
le 3 novembre
2006
Monsieur
le Haut
Commissaire Guterres, c’est
un privilège pour moi de vous souhaiter la bienvenue au Canada
au nom du
Conseil canadien pour les réfugiés et de vous exprimer
notre reconnaissance
pour l’occasion que vous nous donnez de vous rencontrer aujourd’hui.
Nous
vous avons entendu
exprimer votre engagement
à renforcer les relations entre le HCR et les ONG.
Nous croyons, comme vous, que les ONG sont des acteurs
essentiels
à la protection des réfugiés, à la
défense des droits des réfugiés et à
faire le lien entre les communautés d’accueil et les
réfugiés qui cherchent
l’asile et la protection permanente ou des solutions durables à
travers la
réinstallation.
Dans
ce contexte,
j’aimerais vous présenter
quelques préoccupations centrales du Conseil canadien pour les
réfugiés.
Certaines sont reliées aux politiques et programmes canadiens et
d’autres font
plutôt partie de la sphère internationale.
Interception/
Entente
sur les
tiers pays sûrs
Canada
– États-Unis
Nous
sommes totalement d’accord avec votre déclaration faite à
l’EXCOM 2006 où vous
avez exposé que pour préserver l’asile, les États
et le HCR doivent s’opposer
fermement à toute forme de refoulement et doivent garantir le
respect de la
législation internationale en ce qui concerne les
réfugiés. La législation
internationale sur les réfugiés ne doit pas être
surpassée par la législation
nationale, les traités d’extradition, ni redéfinie par
des accords bilatéraux.
(Déclaration d’ouverture de l’EXCOM 2006)
Nous
sommes très conscients que la diminution du nombre de demandes
d’asile dans les
pays les plus riches, incluant le Canada, est reliée aux efforts
accrus des
États de rendre leur territoire inaccessible aux demandeurs
d’asile. Parmi ces
efforts on trouve l’affectation d’agents d’interception (appelés
par le Canada
« agents
d’intégrité des
mouvements migratoires ») qui interceptent chaque
année des milliers de
personnes, sans qu’il n’existe aucun processus pour évaluer si
ces personnes
ont besoin et ont accès à l’asile.
Ces
pratiques d’interception représentent une menace importante et
directe à l’institution
de l’asile. Le Conseil canadien pour les réfugiés exhorte
le HCR à confronter
cet enjeu énergiquement. Nous déplorons que les lignes
directrices préparées
par le HCR n’aient jamais été finalisées. Nous
serions ravis d’avoir l’occasion
de collaborer avec le HCR pour trouver des réponses aux
pratiques
d’interception, afin d’assurer aux réfugiés
l’accès à la protection.
Le
CCR s’est toujours opposé à l’Entente sur les tiers pays
sûrs entre les
États-Unis et le Canada et à toute autre forme
d’interception qui empêche
l’accès au statut de réfugié. Comme vous le savez
peut-être déjà, le CCR,
Amnistie internationale, le Conseil canadien des églises et un
demandeur
d’asile aux Etats-Unis, ont lancé devant les tribunaux une
contestation de la
désignation des États-Unis comme tiers pays sûr.
Vous
êtes peut-être au courant des réticences qu’avaient
les ONG quant au rôle de
surveillance attribué au HCR. En participant aux
activités de surveillance, qui
ont été conçues de telle façon qu’elles ne
pourraient pas dévoiler les impacts
sur les réfugiés qui ont besoin de protection, le HCR
signalait une approbation
implicite de l’Entente. Dix mois après la date prévue de
publication du rapport
de surveillance, la crédibilité du HCR est minée
davantage par la non-publication
du rapport. Il semblerait que les deux gouvernements démontrent
leur désintérêt
à se responsabiliser par rapport aux effets de l’Entente sur les
demandeurs
d’asile. Malheureusement, la réputation du HCR en souffre par
son implication.
Des
évènements récents aux États-Unis portent
le CCR à croire avec une conviction
encore plus ferme que ce pays n’est certainement pas sûr pour
tous les
réfugiés. Nous
reconnaissons
que la
question est délicate pour le HCR, mais nous vous exhortons,
Monsieur le Haut
Commissaire, à reconnaitre clairement que les failles dans le
système d’asile
des États-Unis, que vous connaissez très bien, signifient
que ce pays ne peut
pas être considéré sûr pour tous les
réfugiés.
Impact de la
« guerre
contre le
terrorisme » sur l’asile et sur la protection
Une des raisons
qui expliquent la rapide approbation de l’Entente sur les tiers pays
sûr est
l’ère post 11 septembre dans laquelle nous vivons actuellement.
Depuis de
nombreuses années, les Canadiens apprécient et acceptent
de plus en plus les
bienfaits de la diversité culturelle et raciale de notre
société. Or, ces
progrès sont menacés, au Canada et dans d’autres pays,
comme conséquence de la
« guerre contre le terrorisme ». La peur et
l’insécurité, bien des
fois aggravées par une manipulation irresponsable, sont
invoquées pas les États
comme prétexte pour détériorer
le
système d’asile, suspendre des contributions aux organisations
qui oeuvrent en
faveur de la protection des réfugiés, et approuver, voire
inciter à
l’intolérance et à la marginalisation grandissantes des
réfugiés et des
nouveaux arrivants dans les pays d’accueil tels le Canada,
particulièrement
celles des réfugiés musulmans et arabes. Nous citons
comme exemple
l’utilisation des certificats de sécurité au Canada. Cinq
hommes, tous arabes,
tous musulmans, font face actuellement à cette mesure. Les
certificats privent
les personnes du droit de connaître les preuves utilisées
contre elles et
donnent lieu à de longues détentions sans accès
à une révision indépendante.
Le CCR reconnaît
la nécessité de donner priorité à l’analyse
des impacts des enjeux de sécurité
sur les droits des réfugiés et sur l’intégration
des réfugiés et des
immigrants, ainsi qu’à une réaction à celle-ci.
Nous organiserons un atelier
sur ce sujet lors de notre prochaine consultation au mois de novembre.
Récemment, lors d’une conversation avec la Haut
Commissaire assistante en charge de la protection, Mme Erika
Feller,
celle-ci nous a encouragés à la tenir informée sur
notre travail sur cette question
et nous le ferons donc dans l’idée qu’il s’agit aussi d’une
préoccupation pour
le HCR.
Nous avons noté
avec satisfaction que vous avez parlé expressément des
faux liens qui sont
souvent tissés entre réfugiés et terroristes. Nous
vous encourageons à continuer
de faire ainsi et à lutter contre la discrimination
particulière envers les
arabes et les musulmans.
La campagne
« Des
vies en suspens »
La
politique du Canada relative aux moratoires imposés sur les
renvois vers des
pays jugés insécuritaires pour la population
générale est un mécanisme
important pour offrir une autre forme de protection aux personnes
jugées ne pas
être des réfugiés au sens de la Convention.
En partie, le Canada
se base
pour ces moratoires sur les avis du HCR qui conseille de ne pas
renvoyer des
personnes vers certains pays. L’utilisation de cette autre forme de
protection
est la bienvenue, cependant nous nous préoccupons du fait que
les vies des
personnes touchées sont « en suspens »
pendant plusieurs années sans
qu’il y ait un mécanisme efficace leur permettant d’obtenir une
solution
durable et de recommencer leur vie. Qui plus est, nous sommes de l’avis
que
plusieurs de ces personnes qui ont demandé l’asile au Canada ont
été refusées à
tort à cause des failles dans le système de
détermination du statut de réfugié,
notamment l’absence d’un mécanisme d’appel.
Le CCR a
documenté l’impact de la séparation des familles, du
sous-emploi et de
l’exploitation, des obstacles à l’accès à
l’éducation post-secondaire et de
nombreuses autres difficultés vécues par les
ressortissants des pays sous
moratoire sans statut permanent. Nous sommes
à la recherche d’une solution pour
ces personnes dont la vie est en suspens et nous demandons au Canada
d’octroyer
la résidence permanente aux ressortissants des pays sous
moratoire qui sont au
Canada depuis trois ans ou plus.
Nous
voulons entendre votre point de vue sur cette situation, Monsieur le
Haut
Commissaire, puisque les moratoires sont une forme de protection
alternative
inspirée par les préoccupations du HCR pour assurer la
protection des personnes
qui ne peuvent pas être retournées dans des pays dangereux
et fragiles. Nous
espérons que vous
appuierez
nos efforts dans ce domaine et que nous travaillerons ensemble pour
trouver une
solution pour les individus qui sont coincés à cause de
ce problème.
Les apatrides
Malgré
l’étendue du problème à travers le monde, le sujet
des apatrides est négligé
partout, incluant le Canada. Nous vous exhortons à demander au
Canada de
prendre les devants en signant la Convention de 1954 et à
encourager d’autres
pays à en faire autant.
Les
réfugiés
irakiens
Monsieur le Haut
commissaire,
dans votre
message adressé aux ONG lors de
la Consultation annuelle à la fin septembre de cette
année, vous avez noté que
la communauté internationale et le HCR n’ont pas réussi
à venir en aide aux
centaines de milliers de personnes qui ont fui l’Irak,
particulièrement ceux
qui se trouvent maintenant en Syrie et en Jordanie. Qui plus est, vous
avez
mentionné que le HCR mènera une analyse dans les
prochaines semaines qui
aboutira peut-être à la recommandation de changer les
réponses de protection et
de solutions durables que le HCR et les États donnent aux
réfugiés irakiens.
Nous attendons cette révision avec impatience, puisque nous
sommes au courant
de la situation insoutenable dans laquelle se trouve un grand nombre
d’Irakiens
au Moyen-Orient et en conséquence, de l’impératif de
trouver une solution.
Nous
croyons que la réinstallation de réfugiés
irakiens, et d’autres réfugiés, au Canada
devrait être considérée comme une solution durable,
particulièrement pour ceux
qui ont de la famille au Canada. Par contre, la politique actuelle du
HCR est
en train de persuader notre gouvernement de ne pas accepter la
réinstallation
comme une alternative pour ces personnes, malgré le fait qu’ils
aient de la
famille et des amis qui soient prêts à les aider, que leur
situation est
précaire et que dans les faits, la plupart d’entre aux ne
rentreront pas chez
eux dans un futur rapproché.
Pour cette
raison, nous espérons que l’analyse du HCR de la situation
actuelle des
réfugiés dans la région prendra en
considération le besoin d’envisager des
possibilités autres qu’un prochain rapatriement et qu’il
cherchera à trouver
d’autres solutions durables en collaboration avec les États et
les ONG.
Programme de
réfugiés
parrainés par le secteur privé
Comme vous le savez
sûrement, le
programme de
réfugiés parrainés par le secteur privé
permet la réinstallation de plus de 3
000 réfugiés par année au Canada, en plus du
nombre de personnes réinstallées
avec le soutien direct du gouvernement canadien. Il s’agit d’un
mécanisme
dynamique et sensible qui permet au public canadien de s’engager dans
le
processus de réinstallation pour offrir la protection et des
solutions
durables. Les groupes de parrainage sont sensibles aux demandes
transmises par
notre propre gouvernement, qui dans la plupart des cas sont transmises
par le
HCR. Les groupes de parrainage répondent aussi à des
demandes transmises par
d’autres sources, comme des organisations partenaires ou des amis ou
des
parents de réfugiés. Nous croyons que le parrainage
privé joue un rôle
primordial en complétant les efforts que le HCR fait pour
identifier les
réfugiés qui ont besoin d’être
réinstallés et nous espérons pouvoir travailler
ensemble pour augmenter notre capacité collective d’octroyer aux
réfugiés
l’accès à des solutions durables.
Réseau
international
d’ONG
En terminant, Monsieur le Haut
Commissaire, je
voudrais vous annoncer de
bonnes nouvelles.
Le CCR a entrepris
le développement d’un réseau international d’ONG qui sont
préoccupées par les
droits et la protection des réfugiés. Nous reconnaissons
qu’afin d’être
efficaces dans la défense des droits des réfugiés,
les ONG doivent être aussi
efficaces que les États dans la collaboration à
l’échelle internationale.
En juin de cette
année, nous avons organisé un colloque international sur
les droits des
réfugiés. Plus de 500 participants ont assisté en
provenance de plus de 30 pays
dans toutes les régions du monde. La plupart des participants
étaient des
représentants d’ONG.
L’objectif du colloque était d’améliorer la
capacité des ONG de promouvoir les
droits des réfugiés par le réseautage
au-delà des frontières.
Lors
de la séance plénière de clôture, les
participants ont vivement appuyé la recommandation principale
qui était
d’établir un réseau international sur les droits des
réfugiés et les membres
d’un comité directeur ont été identifiés.
Les deux tâches principales du comité
directeur sont : établir une communication
électronique entre les
participants au colloque et d’autres ONG intéressées
à participer au réseau sur
les droits des réfugiés. Deuxièmement, planifier
un colloque qui aura lieu en
2008 dans une autre région du monde. Depuis le mois de juin, le
mandat du
comité directeur a été élaboré et
nous cherchons des ressources financières
pour appuyer cette initiative avec un secrétariat modeste pour
faciliter les
échanges entre les ONG participants.
Le CCR reconnaît
les réseaux d’ONG déjà existants tels la Coalition
sur la détention et le
réseau formé autour des Consultations annuelles
tripartites sur la
réinstallation. Nous reconnaissons aussi le rôle de
coordination des ONG joué
par le Conseil International des Agences Bénévoles (ICVA)
lors des réunions
avec le HCR. Nous espérons que cette nouvelle initiative viendra
appuyer le
travail qui se fait déjà dans ce domaine.
Parmi ces
efforts, une particularité du CCR sera de faire le lien avec nos
collègues en
Amérique latine. Un autre résultat du colloque
international a été la création
du réseau Ibéro-américain, issu du caucus
latino-américain. Nous espérons que
cela nous mènera à des actions très
concrètes en ce qui concerne le réseautage
dans les Amériques, notamment comme suivi du Plan d’action du
Mexique et des
conclusions de la rencontre sur la réinstallation à Quito
en février 2006 qui
complètent les principes du colloque du ICRIRR qui a eu lieu en
avril 2001 pour
appuyer des pays, nouveaux et émergeants, de
réinstallation.
Nous sommes
heureux de l’annonce faite par le gouvernement du Canada d’attribuer 1 million $ pour
venir en aide aux ONG qui travaillent dans le domaine de la
réinstallation de
réfugiés en provenance de l’Amérique Latine. Nous
avons toujours exprimé notre
intérêt de participer à de telles initiatives en
faisant le lien entre les ONG
canadiens et les ONG latino-américains et nous espérons
que le HCR facilitera
cette activité dans le cadre de l’initiative plus large.
Nous espérons
pouvoir développer des nouveaux canaux de communication entre ce
nouveau réseau
international d’ONG et le HCR.
Enfin, nous vous
remercions de nous avoir donné cette occasion de vous rencontrer
aujourd’hui et
nous espérons que nous aurons des discussions dans le futur,
dans le cadre du
dialogue continu avec le HCR.