Le Conseil canadien pour les réfugiés est un organisme de regroupement voué à la protection des réfugiés au Canada et dans le monde et à l’établissement des réfugiés et des immigrants au Canada. Le Conseil regroupe quelque 180 organisations membres de tout le Canada.
Le CCR s’oppose en principe à l’accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis relatif aux demandes d’asile à un point d’entrée frontalier (l’accord) et à la désignation des États-Unis comme « tiers pays sûr ». Le Conseil canadien pour les réfugiés estime que les États-Unis ne constituent pas un pays sûr pour tous les réfugiés. De plus, le Canada, qui compte parmi les pays privilégiés du monde, ne devrait pas fermer ses portes aux réfugiés, mais plutôt se demander ce qu’il pourrait faire de plus pour garantir la protection des réfugiés.
Alors que l’objectif de l’accord est de fermer la porte aux réfugiés et d’obliger un grand nombre d’entre eux à faire leur demande d’asile aux États-Unis, nombreux sont ceux qui croient qu’en réalité, l’accord aura pour effet de mettre les réfugiés à la merci des passeurs et des trafiquants, qui vont exploiter ces nouvelles possibilités qui s’offrent à eux. Nous craignons que les réfugiés, dans des efforts désespérés pour trouver asile au Canada, vont utiliser des moyens dangereux d’entrer au pays alors qu’en l’absence de l’accord, ils ont la possibilité de se présenter à un point d’entrée en utilisant des voies sûres et structurées.
Nos craintes quant au renvoi de réfugiés aux États-Unis ont augmenté au cours des dernières semaines. Nous avons tous constaté que des citoyens et des résidents permanents du Canada, désireux d’entrer aux États-Unis, ont fait l’objet de traitements discriminatoires et humiliants, allant même jusqu’à la déportation, comme Maher Arar, déporté en Syrie, où il est maintenant emprisonné. Si des citoyens canadiens, qui jouissent de la protection du gouvernement du Canada, peuvent être traités de la sorte, nous pouvons être sûrs que la situation sera pire pour les réfugiés, qui ne sont protégés par aucun gouvernement. Les Arabes, les Musulmans, les personnes originaires du Moyen-Orient et celles qui s’apparentent à l’un ou l’autre de ces groupes sont susceptibles d’être traités de façon discriminatoire par les autorités américaines. Dans ces circonstances, comment le Canada, qui a adopté les principes de non-discrimination, peut-il proclamer que les États-Unis sont un pays sûr ?
Puisque le Canada a décidé malgré tout de reconnaître les États-Unis comme tiers pays sûr, le CCR souhaite que cette situation entraîne le moins d’effets négatifs possible pour les réfugiés. C’est dans cet esprit que s’inscrivent nos présentes observations sur le projet de règlement.
Le règlement prépublié le 26 octobre découle de l’accord paraphé par les gouvernements américain et canadien le 30 août. L’accord établit les circonstances dans lesquelles le demandeur de statut de réfugié au Canada peut être renvoyé aux États-Unis (et vice-versa). Cependant, le projet de règlement ne correspond pas en tous points à l’accord. Par exemple, la définition de « mineur non accompagné » est nettement plus étroite dans le texte du règlement que dans l’accord. De même, tel qu’il est défini dans l’accord, le concept de « demande d’asile » couvre à la fois les demandes de statut de réfugié et les demandes d’évaluation des risque avant le renvoi (ÉRAR), alors que le libellé du règlement exclut les demandes d’ÉRAR. Nous examinerons ces points plus en détail.
Ces divergences font que certains demandeurs qui, aux termes de l’accord, ne seraient pas tenus de retourner aux États-Unis, seraient obligés de le faire en vertu du règlement. Le statut de ces personnes demeure incertain puisque les États-Unis, en vertu de l’accord, n’auraient pas pris d’engagement envers ces demandeurs d’asile.
Recommandation : Amender le projet de règlement afin de le rendre conforme à l’accord conclu entre le Canada et les États-Unis, en particulier au regard des catégories de demandeurs soustraits à l’application de l’accord.
En 1992, au moment où le Parlement discutait de changements qui devaient permettre à des agents d’immigration de déterminer la recevabilité d’une demande de statut de réfugié, de nombreux groupes, dont le Conseil canadien pour les réfugiés, ont dit craindre le fait qu’on accorde un pouvoir de décision aussi important à un seul agent plutôt qu’à un tribunal. Le gouvernement a répondu que le pouvoir de décision des agents en matière de recevabilité se limiterait à la simple détermination des faits. À l’époque, le ministre Bernard Valcourt avait déclaré : « Les personnes qui viennent au Canada pour y demander le statut de réfugié seront entendues par la CISR à moins qu’on puisse facilement établir qu’elles sont visées dans l’une des cinq exceptions expressément prévues. Si cela ne peut être établi facilement, leur revendication sera déférée à la CISR. » (29 octobre 1992) [traduction]
Or, en vertu du règlement proposé, on ne peut certainement pas « établir facilement » qu’une personne qui demande le statut de réfugié à un poste frontière Canada-États-Unis devrait, selon le règlement, être jugée recevable ou renvoyée aux États-Unis. Par exemple, il n’est pas toujours facile de déterminer si une personne jeune est âgée de moins de 18 ans, pas plus qu’on ne peut déterminer sur-le-champ si un enfant d’âge mineur a un parent ou un tuteur légal au Canada ou aux États-Unis. Bien qu’une personne puisse prouver clairement qu’un membre de sa famille vit au Canada ou aux États-Unis en tant que résident permanent ou citoyen, souvent, cette preuve ne peut être produite et il peut être difficile de déterminer si la personne remplit effectivement cette condition.
Sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’enjeu est plus grand que jamais. Une personne qui est renvoyée aux États-Unis par erreur ne peut demander une révision (contrairement au régime américain, qui prévoit un processus de révision devant un arbitre) et ne peut tenter de corriger la décision en déposant une nouvelle demande de statut de réfugié, car la loi n’autorise qu’une seule demande.
Recommandation : Modifier la loi de façon à ce que les décisions concernant les dispositions relatives à un tiers pays sûr soient prises par la Section de l’immigration. À défaut, prévoir un mécanisme de révision interne.
Le paragraphe 159.5 impose clairement au demandeur le fardeau de prouver qu’il est visé par les mesures d’exception. On y fait référence au paragraphe 100(4) de la loi, qui établit que « [la] preuve de la recevabilité incombe au demandeur […] »
Le fait d’imposer aussi catégoriquement le fardeau de la preuve au demandeur soulève des questions quant aux intentions du gouvernement du Canada. L’intention est-elle de réunir les familles des réfugiés ou seulement de réunir les familles des réfugiés qui sont en mesure de faire la preuve de leurs liens familiaux, du statut des membres de leur famille au Canada et de leur présence au pays ? L’intention est-elle de protéger les mineurs non accompagnés ou seulement ceux qui peuvent prouver qu’ils sont mineurs, et de prouver une negation, soit que leurs parents ne vivent pas aux États-Unis ou au Canada ?
Comme nous l’avons mentionné, la question du fardeau de la preuve est particulièrement importante, car le système de détermination du statut de réfugié n’autorise qu’une seule demande de statut de réfugié au Canada.
Exemple :
À la frontière, Amira déclare que son mari est au Canada. Elle n’a aucun document pour le prouver, elle ne connaît pas son adresse exacte et on ne trouve pas son nom dans la base de données de Citoyenneté et Immigration Canada en raison des différentes graphies possibles de son nom. L’agent de l’immigration juge Amira irrecevable et la renvoie aux États-Unis. Une semaine plus tard, elle obtient la documentation établissant que son mari vit effectivement au Canada. Cependant, si elle se présente de nouveau à la frontière, elle sera déclarée irrecevable puisqu’elle a déjà déposé une demande.
Le fait de demander non seulement que la situation du demandeur corresponde à l’une des exceptions mais aussi qu’il en apporte la preuve semble dépasser le cadre de l’accord.
Recommandation : Modifier le règlement afin de signifier que le paragraphe 100(4) de la loi puisse être interprété de façon à tenir compte des difficultés que pourrait éprouver le demandeur à assumer le fardeau de la preuve et à lui accorder le bénéfice du doute.
L’accord 4 de l’accord prévoit une exemption pour le demandeur dont un membre de la famille « a obtenu un statut juridique, autre que celui de visiteur », au Canada. Le règlement proposé ne reconnaît que le statut de citoyen, de résident permanent ou de réfugié reconnu. Selon le CCR, le sens manifeste de l’accord est que les membres de la famille demeurant au Canada en vertu d’un visa de résident temporaire devrait être admissibles, sauf s’ils font partie de la catégorie visiteurs. Autrement dit, les membres de la famille ayant un statut de résident temporaire à titre de travailleurs ou d’étudiants devraient être admissibles.
En outre, il apparaît très clairement qu’un membre de la famille résidant au Canada en vertu d’un permis de résident temporaire possède un statut juridique autre que celui de visiteur. Cela comprend les réfugiés qui ont été réinstallés en provenance de l’étranger en vertu d’un permis.
Recommandation : Modifier le règlement pour y inclure les exceptions concernant le demandeur dont un membre de la famille réside au Canada pour l’un des motifs suivants :
Le libellé du règlement proposé ne prévoit pas d’exception pour la personne dont un membre de la famille a obtenu l’asile en vertu de l’évaluation des risques avant renvoi (ERAR). Dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, « demande d’asile » (claim for refugee protection) est un terme spécialisé qui ne réfère qu’aux demandes faites à la CISR. Une demande de protection formulée en vertu du processus d’ERAR s’appelle une « demande de protection ». Il est clair que, dans l’accord, la définition de « demande d’asile » couvre tant les demandes faites à la CISR et que les demandes d’ERAR.
Il faut donc revoir le libellé (p. ex. « Une personne à qui l’asile a été accordé ») afin de couvrir les personnes acceptées en vertu de l’ERAR.
Recommandation : Modifier le paragraphe 159.5(b) pour inclure les membres de la famille ayant reçu la protection en vertu d’une ERAR.
De même, le paragraphe 159.5(c) réfère à un membre de la famille dont la revendication est en instance, sans inclure les membres de la famille qui ont déposé une demande d’ERAR.
Recommandation : Changer le paragraphe 159.5(c) pour « un membre de sa famille âgé d’au moins dix-huit ans est au Canada et qui a fait une demande d’asile qui a été déférée à la Commission ou qui a fait une demande de protection qui est en instance »..
Le règlement définit le mineur non accompagné comme une personne qui n’est pas accompagnée par une personne de 18 ans ou plus. Cette définition diffère de celle de l’accord, qui définit le mineur non accompagné comme la personne qui n’a ni parent ni tuteur au Canada ou aux États-Unis. Par conséquent, le règlement pourrait signifier le renvoi aux États-Unis de mineurs qui, selon l’accord, devraient être admis au Canada. De plus, le règlement ne définit pas le concept d’accompagnement (au sens du rapport entre l’enfant et la personne de plus de 18 ans). L’adulte pourrait être quelqu’un qui a seulement accepté d’aider l’enfant à franchir la frontière ou d’en prendre soin pour un certain temps. Rien n’indique qu’il faille déterminer si l’adulte qui accompagne l’enfant a l’obligation légale (ou même morale) de continuer à en prendre soin après leur renvoi à la frontière.
Cette question est particulièrement préoccupante puisque les États-Unis n’ont pas ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant et qu’on sait que ce pays a la réputation peu enviable de détenir des enfants ayant demandé l’asile.
Exemple :
Un réfugié de 13 ans, José, se présente à la frontière canadienne pour y faire une demande d’asile. Ses parents sont décédés et il n’a pas de tuteur. Sa sœur de 19 ans l’accompagne. Aux termes de l’accord, sa demande d’asile est recevable au Canada, alors que, selon le règlement, José et sa sœur sont renvoyés aux États-Unis (où ils risquent d’être détenus).
Recommandation : Retirer de l’alinéa 159.5(d)(ii) les mots « et n’est pas accompagné par une personne de dix-huit ans ou plus ».
L’accord énumère les catégories de personnes exemptées de la règle du tiers pays sûr, puis confère à chaque gouvernement le pouvoir discrétionnaire de recevoir un demande, malgré les dispositions de l’accord, si le gouvernement établit qu’il est dans l’intérêt public de le faire.
Le règlement proposé reflète ce pouvoir discrétionnaire lié au concept d’« intérêt du public » en établissant, à 159.6, certaines catégories de personnes pouvant faire l’objet de cette discrétion. Cependant, on ne prévoit aucune catégorie ouverte au regard de laquelle le ministre pourrait recevoir une demande. Cela signifie que le règlement interdirait l’examen de cas particulièrement impérieux qui ne correspondraient à aucune des catégories établies.
Recommandation : Ajouter une disposition permettant la non-application de l’alinéa 101(1)(e) de la loi lorsque le ministre établit qu’il est dans l’intérêt public de soustraire un demandeur à la disposition concernant le tiers pays sûr.
La catégorie ouverte servirait à exonérer le demandeur lorsqu’il y aurait motif de croire que le renvoi vers les États-Unis pourrait lui être particulièrement néfaste. Cela devrait comprendre les demandeurs pour qui l’absence de pièces d’identité pourrait entraîner des conséquences (l’étude d’impact de la réglementation ayant établi que le demandeur pourrait se trouver particulièrement désavantagé par un renvoi aux États-Unis). Une catégorie ouverte pourrait aussi permettre au gouvernement canadien de réagir rapidement à des indications voulant que certains groupes seraient traités de façon inéquitable aux États-Unis.
De plus, une catégorie ouverte offrirait la latitude voulue pour régler des situations imprévues, dans lesquelles il apparaîtrait évident que le demandeur devrait être reçu au Canada. Par exemple, une famille peut se présenter à la frontière en compagnie d’un membre de la famille âgé et à la santé fragile. Si toutes les familles peuvent être admises au Canada pour demander asile, il serait certainement inacceptable de renvoyer le parent âgé aux États-Unis.
Le Conseil canadien pour les réfugiés approuve les catégories de personnes susceptibles d’être admises pour des motifs d’intérêt public, énoncées au paragraphe 159.6. Ces catégories témoignent de différences distinctives qui caractérisent les politiques et la réalité canadiennes et celles des États-Unis.
Nous demandons instamment au gouvernement canadien d’aller plus loin en reconnaissant d’autres catégories. Notamment, il conviendrait d’examiner le cas de ceux qui sont susceptibles d’être traités de façon discriminatoire aux États-Unis, des personnes dont les chances d’obtenir l’asile seraient diminuées du fait de devoir déposer une demande aux États-Unis plutôt qu’au Canada, des personnes pour qui le Canada est un pays d’asile plus logique du fait qu’elles parlent français et des cas où l’intérêt supérieur d’un enfant requiert l’acceptation du demandeur.
Recommandation : Modifier le paragraphe 159.6 en y ajoutant les catégories d’exemption suivantes :
La portée de l’alinéa 159.4(2)(b) dépasse les dispositions de l’accord. L’accord 5 de l’accord ne couvre que les personnes renvoyées, alors que le règlement proposé couvre tout demandeur en transit au Canada en provenance des États-Unis et dont la demande d’asile a été rejetée par ce pays. Si la personne n’a pas fait l’objet d’une mesure de renvoi aux États-Unis, il n’y a pas de raison de croire que les États-Unis considèrent que cette personne n’a pas besoin de l’asile à ce moment (par exemple, la personne pourrait s’être vu refuser l’asile aux États-Unis il y a 10 ans, dans des circonstances totalement différentes).
Recommandation : Modifier l’alinéa 159.4(2)(b) pour en restreindre l’application aux personnes visées par une mesure de renvoi des États-Unis.
Le Conseil canadien pour les réfugiés s’inquiète vivement des conséquences des dispositions concernant le tiers pays sûr pour les réfugiés. L’application de dispositions de même nature en Europe n’a pas donné nécessairement les résultats escomptés. Il est donc nécessaire d’en contrôler les conséquences réelles. Les ONG ont un rôle important à jouer comme témoins de l’application concrète de ces dispositions.
L’accord se fonde sur la prémisse que les États-Unis sont un pays sûr pour les réfugiés. Rien n’est moins sûr. Le système de détermination du statut de réfugié présentement appliqué aux États-Unis fait l’objet de bien des critiques. De plus, ce système pourrait empirer. Le gouvernement américain s’apprête à créer un Département de la sécurité intérieure, qui constituerait la nouvelle autorité responsable des agents chargés d’examiner les demandes d’asile. Il y a lieu de se demander si les déterminations de statut de réfugié exécutées par une entité ayant pour mission première l’application de la loi seront équitables. Si le gouvernement décide d’aller de l’avant avec l’accord sur le tiers pays sûr, il faudra prendre des mesures pour établir si les États-Unis ne deviennent pas progressivement une destination moins sûre pour les réfugiés au cours des mois à venir.
Recommandation : Ajouter une disposition requérant un suivi parlementaire six mois après que le règlement aura été mis en application et évaluer son influence sur les demandeurs d’asile dont la demande est jugée irrecevable au Canada.