DÉCLARATION CONJOINTE RELATIVE AU PROJET DE LOI C-31

  1. Nous regrettons le discours « dur » adopté par le gouvernement pour présenter le projet de loi et les annonces politiques qui l’accompagnent. Par sa façon d’aborder la question, le gouvernement renforce les préjugés envers les réfugiés et les immigrants. Il suscite ainsi la division et exacerbe les sentiments xénophobes et racistes au sein de la société canadienne.

Nous demandons au gouvernement de s’abstenir d’utiliser un discours négatif en parlant de la politique en matière d’immigration et de réfugiés.

  1. Les normes internationales en matière des droits de la personne devraient inspirer la législation. Nous nous félicitons des références dans le projet de loi à la Convention contre la torture et à l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, le projet de loi ne respecte pas complètement toutes les obligations contractées par le Canada en vertu de ces conventions.

La Convention contre la torture interdit de refouler quiconque vers la torture (Article 3) alors que le projet de loi prévoit le refoulement de personnes vers la torture dans certaines circonstances.

La Convention relative aux droits de l’enfant oblige les gouvernements à faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale (Article 3) dans toutes les décisions qui concernent les enfants. Le projet de loi, par contre, ne propose que de « tenir compte » de l’intérêt supérieur de l’enfant.

En outre, le projet de loi n’est pas à la hauteur des normes établies par la Convention relative au statut des réfugiés. Cette Convention interdit le refoulement des réfugiés vers la persécution (Article 33). Cependant, le projet de loi refuse l’accès au système de reconnaissance du statut de réfugié à certains revendicateurs, ce qui signifie que certains réfugiés ne seront pas reconnus et le Canada pourra les refouler vers la persécution. Par exemple, le projet de loi exclut toute personne ayant déjà déposé une demande de statut de réfugié, même s’il y a eu des changements dramatiques dans sa situation personnelle ou dans les circonstances du pays d’origine.

Nous demandons au gouvernement d’amender le projet de loi afin qu’il soit à la hauteur des normes internationales en matière des droits de la personne.

  1. Nous nous félicitons de l’introduction d’un appel sur le fond dans le système de reconnaissance du statut de réfugié. L’absence de recours constitue une des failles fondamentales du système actuel, lacune qui a été soulignée récemment par la Commission interaméricaine des droits de l’homme.

Nous constatons, cependant, que l’appel proposé n’offre qu’une protection très limitée aux revendicateurs du statut de réfugié, vu qu’il se fonde sur dossier, en général devant un seul commissaire. De surcroît, aucune garantie n’est offerte en ce qui concerne l’expertise des commissaires de la Section d’appel des réfugiés dans le domaine de la reconnaissance du statut de réfugié.

Le projet de loi n’aborde pas non plus le processus de leur nomination, processus qui est souvent critiqué comme relevant du patronage politique et source d’une grande inégalité dans la qualité des commissaires.

Nous demandons au gouvernement de renforcer l’appel proposé afin d’assurer la protection des réfugiés et d’introduire dans le projet de loi un mécanisme transparent et responsable pour les nominations et pour la reconduction des mandats des commissaires.

  1. Nous nous préoccupons des propositions visant à accroître les pouvoirs de détention. Le droit à la liberté est un droit fondamental : on devrait donc réduire au minimum les cas de détention en vertu de la Loi sur l’immigration. Les revendicateurs du statut de réfugié en particulier ne devraient pas être détenus en règle générale. Nous nous préoccupons de l’élargissement des dispositions visant la détention pour motif d’identité. Les réfugiés sont souvent obligés de fuir sans leurs documents, car c’est précisément leur identité qui les expose à la persécution.

Nous demandons au gouvernement de réduire les motifs de détention.

  1. Nous nous félicitons de l’engagement du gouvernement à faciliter la réunification des familles. Cependant, aucune des modifications proposées relatives à la réunification des familles ne se trouvent dans le projet de loi : elles sont réléguées aux règlements. Nous recommandons que le gouvernement enchâsse dans la loi elle-même son engagement envers la réunification des familles.

Nous nous objectons à la proposition du gouvernement d’interdire aux bénéficiaires de l’aide sociale de parrainer leur conjoint et leurs enfants mineurs. Il s’agit d’une entrave au droit à l’unité familiale, pour motif de statut économique.

  1. Nous nous félicitons de l’annonce que les réfugiés demandant la réinstallation seront évalués plus en fonction de leur besoin de protection et moins en fonction de leur capacité de s’établir avec succès, et que l’inadmissibilité pour motif de fardeau excessif pour les services de santé ne leur sera pas appliquée ( ces modifications devront se trouver dans les règlements ).

Nous recommandons au gouvernement d’éliminer carrément le critère d’établissement avec succès et d’intégrer les modifications dans la loi ( plutôt que dans les règlements ).

  1. Nous nous inquiétons des mesures dans le projet de loi qui priveront certaines personnes du droit à l’application régulière de la loi pour motif de grande criminalité ou de sécurité. Nous croyons que toute personne mérite un traitement équitable, quels que soient les soupçons qui peuvent peser à son égard. Le projet de loi propose, entre autres mesures, d’interdire des demandes de statut de réfugié de la part de personnes ayant été condamnées à l’étranger pour crime grave. Or, des personnes victimes de persécution peuvent être condamnées sur la base de fausses accusations fabriquées pour les rendre coupables de crimes qu’elles n’ont pas commis. Le projet de loi prive d’appel les résidents permanents déclarés coupables de crime grave, même si l’intéressé a vécu au Canada depuis son enfance. De même, les personnes soupçonnées de représenter un risque pour la sécurité se retrouvent en grande mesure abandonnées au bon vouloir de la discrétion des fonctionnaires.

Nous demandons au gouvernement d’apporter des modifications afin de s’assurer que toute personne reçoive un traitement juste et équitable.

  1. Nous nous préoccupons aussi du fait que de nombreuses règles cruciales seront réléguées aux Règlements, et non intégrées à la loi, ce qui signifie que le gouvernement les soustrait au droit de regard parlementaire. On ouvre ainsi la porte aux modifications des règles au gré du gouvernement, sous la pression populaire ou face à son mécontentement devant une décision de la cour.

Nous demandons au gouvernement d’accorder aux Canadiens suffisamment de temps pour comprendre les modifications importantes proposées dans le projet de loi et pour faire connaître leurs commentaires.

Étant donné l’importance pour le Canada de se conformer à ses obligations internationales en matière de droits de la personne, nous pressons le gouvernement de demander un avis sur le projet de loi de la part des instances internationales appropriées, notamment le Comité contre la torture de l’ONU, le Comité des droits de l’homme de l’ONU et la Commission interaméricaines des droits de l’homme.