PERSPECTIVES D'AVENIR
POUR DÉPASSER UNE VISION DÉFENSIVE
DE L'IMMIGRATION ET DE LA PROTECTION
Intervention sur le projet de loi C-11
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ AU COMITÉ PERMANENT SUR LA CITOYENNETÉ ET L'IMMIGRATION
PAR
LE CENTRE JUSTICE ET FOI
Secteur Vivre ensemble
Avril 2001
Présentation
Le Centre justice et foi (CJF) est un centre d'analyse sociale fondé en 1983 à Montréal et qui s'intéresse de près aux questions liées à l'immigration, à la protection des réfugiés, ainsi qu'à l'accueil et l'intégration des nouveaux arrivants dans la société canadienne et québécoise.
À cet égard, le CJF a mis sur pied, depuis 1985, un secteur où des personnes telles que Julien Harvey, Thérèse Benguerel, André Lamothe et plusieurs autres collaborateurs ont développé une expertise reconnue, qui s'est manifestée par le passé, tant par la publication d'un bulletin régulier (Vivre ensemble ) que par des activités publiques et de nombreux mémoires, consultations et représentations auprès des gouvernements canadien et québécois.
C'est ainsi que le CJF a participé de très près à tout le processus d'études et de consultations qui a conduit au dépôt du projet de loi C-11: démarches du Groupe consultatif sur la révision de la législation présidé par M. Robert Trempe, consultations publiques organisées sur le rapport Au-delà des chiffres , rencontres régionales sur les grandes orientations proposées par l'ex-ministre de l'immigration, Madame Lucienne Robillard, de même que l'étude du projet de loi C-31.
De plus, le CJF bénéficie de l'expertise accumulée depuis 1997 par le Groupe de travail sur les réfugiés (GTR): celui-ci a étudié les mesures à prendre, dans le contexte international actuel, pour assurer une meilleure protection des réfugiés (1), et il se penche maintenant, depuis près de deux ans, sur la façon de relever les défis posés par les migrations internationales croissantes qui caractérisent notre époque. Le GTR est actuellement composé de l'équipe interne du secteur Vivre ensemble et de sept collaborateurs externes: le professeur François Crépeau, spécialiste en droit international, l'éthicien Guy Bourgeault, deux anciens commissaires de la CISR, MM. Fernand Gauthier et Joseph-Arthur Bergeron, M. Jean-Marc Éla, sociologue et théologien, ainsi que M. Dominique Boisvert, membre du Comité consultatif sur le statut de réfugié de 1985 à 1989 et qui a participé de près à tous les débats entourant l'adoption de la loi actuelle de l'immigration dans la deuxième moitié des années 70.
C'est pourquoi nous avons cru utile de comparaître devant le comité parlementaire afin de faire connaître notre analyse du projet de loi C-11 et contribuer, nous l'espérons, à en améliorer le contenu avant son adoption finale.
Remarques préliminaires
Disons tout d'abord que l'adoption d'une nouvelle «Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger» est une initiative bienvenue. Nous considérons, comme le gouvernement canadien, que le contexte international des migrations et de la protection des réfugiés a profondément évolué depuis l'adoption de la loi actuelle en 1977-78, et que les nombreuses modifications apportées depuis ne suffisaient plus à apporter une réponse adéquate aux défis de ce début de 21 ième siècle, tant au niveau du Canada qu'au niveau international.
De façon sommaire, disons que la mobilité internationale des personnes n'a cessé de croître, de façon importante, au cours des vingt dernières années, en même temps que ce qu'on a appelé « la mondialisation » favorisait de plus en plus la libre circulation des capitaux, des biens et du commerce, du travail et de la propriété des entreprises, de l'information et des connaissances, etc. Bien que la libre circulation des personnes soit encore une utopie lointaine et sera sans doute l'une des dernières «libres circulations» à s'imposer, nous sommes forcés de reconnaître qu'elle découle directement de l'évolution de nos choix actuels, économiques, politiques et technologiques, qui font de plus en plus de la planète Terre un seul et même grand Village. De plus, cette libre circulation des personnes commence déjà à s'expérimenter, de manière concrète, dans certaines régions du monde : qu'on pense à «l'espace Schengen» pour la libre circulation à l'intérieur de la Communauté européenne, ou à la libre circulation en vertu du «visa touristique entente» établi par les pays du Conseil de l'Entente, en Afrique de l'Ouest. À long terme, il est facile de voir qu'on ne pourra pas, d'un côté, continuer à favoriser la libre circulation de presque tout (argent, savoir, biens matériels, propriété, etc.) et, de l'autre côté, essayer éternellement d'empêcher les personnes de faire de même.
De plus, les disparités intolérables qui existent (et qui, malheureusement, ont même tendance à s'accroître) entre les pays et les régions du monde, particulièrement entre le Nord et le Sud, créent de plus en plus une pression migratoire irrépressible. Ces disparités intolérables concernent non seulement la «richesse» et la «pauvreté» matérielles, mais aussi l'accès au travail, à la santé, à l'éducation, le respect des droits humains fondamentaux, la démocratie, la paix et la sécurité physique, etc. Or non seulement tous ces droits et besoins fondamentaux sont très injustement répartis entre les humains de la planète, mais ceux qui y ont peu ou pas du tout accès forment l'immense majorité numérique : le poids démographique des démunis ou des laissés-pour-compte pèse inéluctablement -et va peser de plus en plus- en faveur d'un meilleur partage, volontaire ou forcé, des ressources et du mieux-être.
Sans compter qu'avec l'accès quasi universel à l'information, ces disparités deviennent sans cesse plus conscientes et intolérables, et qu'avec les moyens de transport diversifiés, chacun peut espérer, moyennant argent et persévérance, sortir d'une situation intolérable et accéder à une situation meilleure, pour soi-même et surtout pour ses enfants. En ce sens, les réseaux criminels et clandestins de «passeurs» ou de «faux papiers» ne sont pas la cause du problème, même s'il faut combattre le «trafic des êtres humains» et leur exploitation éhontée. Ces réseaux se sont développés essentiellement en réponse à la fermeture de plus en plus marquée des frontières de nos pays du Nord et au besoin impérieux ressenti par de plus en plus de personnes d'accéder quand même à nos pays malgré des coûts et des risques accrus.
Ce que nous venons de dire de l'immigration en général s'applique, à plus forte raison, aux réfugiés et à toutes les personnes qui ont besoin, pour une raison ou l'autre, de protection humanitaire. À mesure que le respect des droits et de la démocratie progresse comme norme universellement reconnue, la violation de ces droits et l'absence de démocratie paraissent de plus en plus intolérables et justifient le recours à la protection (on en a un exemple quand le Canada reconnaît que la politique chinoise «d'un seul enfant» peut constituer un des motifs pour reconnaître le statut de réfugié à une revendicatrice d'origine chinoise). De plus, les formes de persécution prises en compte dans l'application de la Convention de Genève sur les réfugiés se sont beaucoup multipliées et diversifiées depuis l'adoption de la Convention dans le contexte de l'immédiate après-guerre. Si bien que de plus en plus de personnes se sentent forcées de quitter leur pays d'origine, pour des motifs valables les plus divers, afin de chercher protection soit dans les pays limitrophes, soit dans les pays plus désirables du Nord. Et que tout indique que ces situations ne vont pas aller en diminuant au cours des prochaines années, bien au contraire, quelles que soient les mesures d'interdiction, d'interception ou de renvoi que prennent les pays riches.
Enfin, nous voulons situer notre réflexion globale sur les questions d'immigration et de protection dans le contexte plus général d'une vision non utilitariste des humains et de la vie en société. Même si l'immigration joue évidemment un rôle important dans les politiques démographiques, économiques et sociales d'un pays comme le nôtre, nous refusons de voir dans l'immigration la seule ou même la première solution aux problèmes que nous devons affronter comme nation. Nous ne voulons pas considérer les immigrants (qu'ils viennent comme indépendants, entrepreneurs-investisseurs, membres de la famille ou réfugiés) comme des moyens ou des outils permettant de relever les défis auxquels nous devons faire face comme pays. Si nous avons des problèmes de dénatalité, de main d'œuvre spécialisée ou de dépeuplement des régions par exemple, nous estimons qu'il est de notre responsabilité , comme population canadienne, de trouver nous-mêmes d'abord des réponses satisfaisantes à ces questions, et non pas de nous décharger à priori de cette responsabilité sur le dos des immigrants que nous ferons venir ou que nous refuserons en fonction de nos seuls besoins et intérêts.
Certes, les politiques d'immigration pourront faire partie, avec d'autres mesures, de la panoplie des solutions envisagées; mais il serait irresponsable de négliger nos défis de formation de la main d'œuvre sous prétexte que nous pouvons faire venir des travailleurs étrangers déjà formés, ou d'exiger des immigrants ou réfugiés qu'ils aillent vivre dans des régions que nos propres concitoyens trouvent de moins en moins satisfaisantes pour eux-mêmes. Agir autrement équivaut à considérer l'immigration comme une denrée strictement utilitaire et justifie qu'on puisse «ouvrir ou fermer le robinet» en fonction de nos seuls besoins, sans égards aux besoins des autres, et «sélectionner» de façon élitiste les candidats, dans la seule logique de compétition entre pays riches et sans préoccupation de l'exode des cerveaux ou du plus juste partage des ressources.
Les réflexions du Groupe de Travail sur les Réfugiés
Dans ce nouveau contexte international, et avec la perspective du moyen et du plus long terme, le Groupe de travail sur les réfugiés (GTR) a cherché, depuis 1997, à développer une approche de l'immigration et de la protection qui soit plus juste, plus efficace pour le plus grand nombre et plus adaptée aux nouveaux défis internationaux que nous devons relever.
Disons, de façon forcément schématique et trop succinctement résumée, que le GTR en est venu à la conclusion que les mécanismes actuels de protection, tant au niveau national qu'international, sont loin d'être satisfaisants et qu'ils n'utilisent pas, au mieux, les ressources trop limitées qui lui sont consacrées. Le GTR, après avoir étudié l'évolution des causes, l'augmentation du nombre de réfugiés et leur diversification, la répartition des budgets, les problèmes de délais et de confusion entre immigration et protection, s'est penché attentivement sur les questions suivantes : l'opposition entre l'autodétermination des personnes et la souveraineté des États; les droits que nous voulons ou pas protéger; les protections que nous voulons ou pas accorder; et le partage des coûts et des responsabilités au plan international. Sur la base de cette réflexion, le GTR en est venu à la conviction qu'une meilleure protection des réfugiés demandait une plus grande implication politique, financière et humaine au plan international de la part des pays du Nord. Et ceci, afin de favoriser autant que possible une protection temporaire et régionale comme étant la solution permettant de mieux protéger un plus grand nombre de personnes, et particulièrement celles qui en ont le plus besoin. C'est dans le cadre de la mise en oeuvre de cette nouvelle compréhension de notre responsabilité internationale envers les réfugiés que devrait se poursuivre et s'ajuster graduellement la protection accordée en sol canadien (2) .
Disons aussi qu'en matière de migrations internationales, le GTR considère que malgré la pression croissante exercée par la plus grande mobilité des personnes, il n'est pas encore réaliste d'envisager une véritable ouverture des frontières à l'échelle internationale, même si c'est sans doute vers cette direction qu'il faut évoluer. Par contre, le GTR est convaincu, comme un grand nombre d'autres analystes, que les «mesures de contrôle et de fermeture» auxquelles ont de plus en plus recours les pays du Nord pour tenter de juguler la pression migratoire sont, et seront toujours, globalement inefficaces : même si elles peuvent, à court terme, sembler ralentir le nombre des nouveaux arrivants, elles sont toujours, à moyen terme, contournées de multiples façons (sophistication des faussaires, nouveaux itinéraires ou moyens de transport clandestins, risques plus élevés pour les voyageurs, etc.).
Si bien qu'en bout de ligne, ces mesures répressives ont, dans tous les pays du Nord, surtout pour fonction de rassurer l'opinion publique et de protéger la fonction symbolique importante du «contrôle des frontières». Or quelles que soient les mesures répressives envisagées (interception des voyageurs sans documents valides à l'étranger, imposition de visas, patrouilles et surveillance technologique des frontières, etc.), on ne pourra jamais arrêter de manière efficace une pression migratoire alimentée par des motivations et des nombres aussi importants que ceux que nous avons décrits ci-dessus. Aucune mentalité de «forteresse» ne peut efficacement nous «mettre à l'abri» : l'exemple des migrations mexicaines et latino-américaines à travers la frontière sud des États-Unis en est l'exemple le plus probant !
C'est donc à partir de ces analyses et de ces réflexions préliminaires que nous avons étudié le projet de loi C-11, ainsi que les documents gouvernementaux qui l'accompagnaient, et en particulier ceux qui annonçaient des transformations qui n'apparaîtront que dans les règlements. Nous le ferons en cinq parties principales, d'inégales longueurs :
- les principaux points positifs du projet de loi;
- une vision défensive de l'immigration et de la protection;
- les conditions pour des mesures de contrôle acceptables;
- des moyens pour développer une approche positive de l'immigration et de la protection;
- commentaires et recommandations sur certains points précis du projet de loi(3).
Les principaux points positifs
En plus de la pertinence d'introduire une refonte complète de la loi actuelle sur l'immigration et la protection des réfugiés, nous reconnaissons qu'un certain nombre d'innovations vont dans le sens des valeurs que nous cherchons à défendre : une plus grande ouverture et générosité à l'égard de l'étranger, une plus grande justice et solidarité au niveau international, un meilleur partage des responsabilités à l'égard des enjeux et défis internationaux, et une juste préoccupation pour la sécurité collective, tant au Canada que dans le monde.
Nous avions demandé, à plusieurs reprises, que les questions d'immigration et de protection soient clairement distinguées, au point de recommander d'en faire deux lois distinctes. Même si cette recommandation n'a pas été acceptée, nous avons l'impression que le projet de loi C-11, tel qu'il a été pensé et rédigé, fait davantage la distinction entre les deux domaines que par le passé (partie 1 et partie 2 du projet de loi), et exprime plus clairement la différence de logique et de perspective qui doit présider dans chacun. Cette claire distinction entre immigration et protection devrait, à notre avis, se refléter partout dans le projet de loi et surtout dans son application. Et les agents canadiens chargés d'appliquer la loi, tant au Canada qu'à l'étranger, devraient garder clairement à l'esprit leur responsabilité de mettre en pratique la double finalité de la loi : régir l'immigration au Canada et protéger les personnes qui ne peuvent l'être dans leur pays d'origine.
En matière d'immigration, nous nous réjouissons particulièrement des améliorations apportées au processus de réunification des familles et à l'élargissement de cette catégorie qui se concrétisent, entre autres, par :
- l'augmentation de l'âge des enfants à charge, passant de moins de 19 ans à moins de 22 ans;
- la possibilité pour les conjoints de faire une demande à partir du Canada;
- l'élimination de la notion de non-admissibilité pour motif de fardeau excessif pour les services sociaux et de santé pour le parrainage du conjoint et des enfants à charge;
- la réduction de 10 à 3 ans de l'engagement de parrainage pour les conjoints;
- etc.
Le Canada est, en ce sens, cohérent avec les engagements internationaux qu'il a contractés au cours des dernières années sur les questions liées à la famille. Malheureusement, cette importance accordée à la famille nous est davantage promise dans les futurs règlements qu'assurée dans le texte du projet de loi lui-même, où cette dimension est plutôt absente. Il nous semblerait donc souhaitable que cette priorité soit inscrite dans les objectifs même de la loi (Art.3) et que certaines mesures visant à faciliter la réunification des familles soient intégrées dans la loi elle-même. De plus, dans cette perspective d'accorder priorité à la famille, il nous semble inacceptable et incohérent que ce droit de vivre en famille ne soit plus reconnu aux personnes bénéficiaires de l'assistance sociale.
En matière de protection, des améliorations importantes ont été apportées, dont plusieurs vont dans le sens de demandes et de recommandations qui avaient été maintes fois exprimées par le passé. Soulignons en particulier l'instauration d'un droit d'appel interne pour assurer l'équité, la qualité et la cohérence des décisions de première instance. L'introduction de cette nouvelle mesure rend possible et beaucoup plus acceptable le recours habituel à un seul commissaire pour entendre les demandes de statut en première instance. Par contre, le contenu et les modalités de ce droit d'appel, comme beaucoup d'autres aspects du projet de loi, ne seront précisés que dans les futurs règlements, ce qui empêche de porter un jugement éclairé sur la réforme proposée. Il est, entre autres, essentiel que les règlements assurent à la section d'appel toute l'indépendance requise pour l'exécution de son mandat. De plus, nous présumons et souhaitons que la CISR réserve ses meilleurs commissaires pour remplir cette capitale fonction de l'appel(4) . Ces nouvelles mesures rendent par ailleurs encore plus importante la révision du mode de la nomination et la formation, initiale et continue, des commissaires. Nous y reviendrons plus loin.
Parmi les autres améliorations, signalons :
- la tenue d'une audience unifiée pour traiter tous les besoins de protection;
- une définition élargie de la protection incluant à la fois la persécution selon la définition du réfugié dans la Convention de Genève, mais aussi les risques de torture, de menace à la vie, ou de traitements cruels;
- le délai de 72 heures pour rendre une décision sur la recevabilité de la demande;
- la réduction du délai d'attente de 5 à 3 ans pour l'octroi du droit d'établissement aux réfugiés sans documents permettant d'établir leur identité;
- l'accent mis, du moins dans le discours accompagnant C-11 et possiblement dans les règlements à venir, sur la sélection plus importante et plus rapide des réfugiés à l'étranger, y compris en partenariat avec les ONG;
- la facilitation, par diverses mesures, de la réunification des familles de réfugiés au Canada;
- l'élimination du critère médical pour la réinstallation des réfugiés;
- etc.
Dans les règlements annoncés, on semble vouloir accorder une importance moins grande à «la capacité de s'établir au Canada» pour l'octroi de la protection à un réfugié de l'étranger. Mais le changement proposé, qui fait passer de trois à cinq ans la période accordée pour réussir à s'établir, nous semble par contre peu significatif : nous demandons plutôt que la nouvelle loi abolisse totalement le critère d'établissement.
Le choix de remplacer la loi actuelle par une sorte de loi-cadre a l'avantage de simplifier le texte de loi et de le rendre plus accessible à de nombreux égards. Le renvoi dans les règlements de certains aspects facilitera dorénavant leur ajustement rapide aux changements importants de la conjoncture. Par contre, les règlements ont l'inconvénient de ne pas faire l'objet, en général, d'un suivi attentif par la Chambre des Communes et de ne pas offrir, par essence, de garanties aussi stables qu'un texte de loi.
Malheureusement, nous ne disposons pas, au moment d'étudier le projet de loi C-11, de la plupart des projets de règlements (contrairement à ce qui avait été le cas lors de l'étude du projet de loi C-24, l'actuelle loi de l'immigration, en 1976-77) qui nous permettraient de porter un jugement éclairé sur l'ensemble de la réforme proposée. Nous nous inquiétons également de constater que plusieurs dimensions importantes de la loi feront dorénavant partie des règlements, dont un grand nombre des innovations positives mentionnées précédemment. Nous attendons donc du comité permanent une étude très attentive des règlements afin de s'assurer qu'ils soient cohérents avec les objectifs annoncés dans le projet de loi et les documents explicatifs qui l'accompagnent. De plus, nous demandons au comité permanent de recommander la réintégration dans le texte de la loi de certains éléments actuellement prévus pour les règlements : en particulier les articles touchant l'élimination du critère médical et du critère d'établissement dans le cadre de l'acceptation et du réétablissement des réfugiés au Canada ainsi que les éléments facilitant la réunification familiale.
Une vision défensive de l'immigration et de la protection
La principale critique que nous devons faire au projet de loi C-11 et à la façon dont la ministre et le Ministère ont choisi de le présenter est l'accent prioritaire (et par moments quasi exclusif) mis sur la «protection du Canada» et sa lutte contre «la criminalité en matière d'immigration» .
Même si le projet de loi a été préparé dans la foulée d'événements comme l'arrivée de quelques centaines de Chinois en quête d'un statut de réfugié, cela ne suffit pas à expliquer - et justifie encore moins - que le gouvernement canadien ait choisi de présenter la nouvelle loi dans cet éclairage essentiellement négatif et défensif (voir en particulier les discours de présentation, de C-31 et de C-11, de la ministre, Madame Caplan, les 6 avril 2000 et 21 février 2001, et les Communiqués du ministère, no. 00-09 et no. 01-03, accompagnant les projets de loi).
Or cette perspective constitue, selon nous, une double et grave perversion de toute Loi sur l'immigration et sur la protection des réfugiés. D'abord parce que c'est situer l'immigration générale (qui est un «bien», un «plus» pour une société, et même une «nécessité» démographique dans le cas du Canada) dans une perspective négative, défensive : à priori, il s'agit de se protéger contre une menace. Ce qui a inévitablement pour effet d'encourager une façon de voir arriver les gens à nos frontières avec méfiance, avec une sorte de présomption de dangerosité potentielle.
C'est également une perversion parce que c'est déplacer la fonction de protection des gens dans le besoin (qui fait partie du titre de la loi) vers la protection des Canadiens contre les risques ou les abus éventuels des nouveaux arrivants (criminalité, entrées illégales, réseaux de passeurs, etc.). D'autant plus que cette protection des Canadiens contre la criminalité (qui pourrait être compréhensible) cache souvent, en fait, la protection des Canadiens contre la nécessité, inhérente à l'immigration et à la protection des réfugiés, d'un partage plus grand de leur bien-être.
Car il faut reconnaître, avec lucidité, que globalement les biens nécessaires ou désirables (toit, nourriture, eau, travail, santé, éducation, paix, respect des droits, liberté, démocratie, ressources, biens matériels, etc. : ensemble de biens que nous avons familièrement appelés «la tarte») sont très largement accaparés par la minorité des gens qui vivent dans le Nord, au détriment de l'immense majorité des humains qui vivent dans le Sud. Et que l'arrivée dans nos pays du Nord de personnes qui viennent du Sud, comme immigrants ou comme réfugiés, entraîne généralement une forme quelconque de partage de la «tarte».
L'accent «défensif» mis sur la présentation du projet de loi a principalement pris la forme de la «lutte contre la criminalité en matière d'immigration» : lutte contre les réseaux de passeurs clandestins, bien sûr, mais aussi lutte contre les étrangers entrant sans documents ou avec de faux documents, les «fraudeurs», les personnes ayant commis des infractions criminelles, etc. L'insistance a été mise sur les peines plus lourdes, les détentions plus nombreuses, les mesures d'interception augmentées, les possibilités d'appel ou de révision réduites, etc. Bref, sur une véritable «criminalisation» de l'approche en matière d'immigration et de protection.
Or il faut en priorité, au Canada comme ailleurs, sortir le débat sur l'immigration et la protection des réfugiés de l'ornière de la criminalisation. Et cela, pour au moins trois raisons essentielles :
1. d'abord pour une raison de principe : parce que l'immigration et la protection des réfugiés sont des choses positives et que nous les pervertissons, aux yeux de nos concitoyens, en les présentant comme des choses négatives (voir ci-dessus);
2. ensuite, parce que la logique de répression que nous voulons instaurer dans le but de protéger le Canada et les Canadiens contre les abus potentiels est une dynamique sans issue et sans fin (car à plus de fermeture et de répression correspondent toujours de nouvelles formes d'esquive et d'illégalité); mais aussi parce que cette logique de répression, qui vise d'abord les immigrants et les réfugiés «abuseurs» risque inévitablement de déteindre peu à peu sur tous les immigrants et les réfugiés (exactement comme la majorité des revendicateurs sont maintenant perçus, a priori, comme des «faux réfugiés», même quand les taux d'acceptation sont de plus de 50%); et enfin parce que cette logique de répression (ce climat défensif de méfiance) va aussi finir par atteindre la société canadienne elle-même (par analogie, de la même façon qu'un bourreau est lui-même atteint et dégradé par l'utilisation de la torture, et pas seulement sa victime) en affaiblissant les protections garanties par les droits et les tribunaux, et en renforçant le climat de «protection des acquis» au détriment de l'ouverture, de la confiance, du partage et de la solidarité;
3. et enfin, parce que même quand des gens ont recours à des moyens illégaux ou illicites pour entrer ou rester au Canada, on peut sanctionner , mais on ne devrait pas délégitimer ou criminaliser, au niveau du vocabulaire et de l'opinion publique, un tel comportement , surtout quand un nombre important des personnes qui ont recours à ces moyens le font par absence d'autres mécanismes permettant de leur fournir la protection dont ils ont besoin ou pour fuir des situations que nous jugeons inacceptables; il faut ici faire la nette distinction entre le «smuggler» et le «smugglé», entre le «passeur» et le «passé» (le smuggler ou le passeur qui le fait «pour un profit intéressé» pouvant être criminalisé et poursuivi pour abus de personnes). Il faudrait alors s'inspirer des recommandations du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, préparé par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés(5) , et remplacer partout dans le projet de loi C-11 les expressions «criminalisantes» (comme «entrées illégales ou clandestines») par les expressions neutres recommandées par le HCR (comme «entrée sans autorisation» ou «entrée/séjour irrégulier»). Sur cette question, nous recommandons d'ailleurs de préciser, au paragraphe 117 (1), qu'une personne qui organise l'entrée irrégulière au Canada de personnes ayant l'intention d'y chercher refuge ne commettra une infraction que si elle pose ce geste en vue d'en tirer elle-même profit ou de permettre à d'autres d'en tirer profit.
Nous croyons profondément en cette priorité de sortir le discours et le débat publics sur l'immigration et la protection de la logique de criminalisation dans laquelle on les a de plus en plus enfermés depuis quelques années. Et cela, même si nous sommes parfaitement conscients des trois réalités suivantes: le désir (légitime) d'améliorer son sort, les réseaux (souvent criminels) de passeurs, et le recours croissant à la revendication du statut de réfugié pour tenter de venir au Canada.
Il est exact qu'il existe un nombre significatif de gens qui cherchent à venir au Canada d'abord et avant tout pour «améliorer leur sort» (on pense à plusieurs Chinois de la province de Fujian, à plusieurs Témoins de Jehovah du Portugal, à plusieurs revendicateurs de Turquie à la fin des années 80, etc.). D'ailleurs, la plupart d'entre nous, placés dans les mêmes situations, voudrions, nous aussi, améliorer notre sort et surtout celui de nos enfants: mais en aurions-nous le courage et la détermination nécessaires ? Nous pouvons, comme société, décider que nous n'accueillerons pas ici tous ceux qui veulent améliorer leur sort (y compris prendre les moyens légitimes pour les en empêcher): mais nous ne pouvons certainement pas leur reprocher de vouloir le faire!
Il est vrai qu'il existe bel et bien des «réseaux» (plus ou moins criminels selon le cas) qui, devant cette situation, cherchent à en tirer le plus grand profit. La plupart du temps, ces réseaux ne créent pas le «besoin», même s'ils peuvent souvent l'encourager ou l' «actualiser» en faisant croire à la possibilité de le combler. Ces réseaux répondent en général à un besoin déjà existant : des gens qui cherchent, par tous les moyens, à entrer (au besoin illégalement) dans un pays donné, en leur fournissant une «expertise» (plus ou moins réelle ou frauduleuse) pour y arriver : faux documents, conseils sur l'itinéraire et les procédures à suivre, passeurs et consultants, etc. Plus nous resserrons les contrôles, et plus nous poussons les gens dans l'illégalité (par l'exigence de visas, par exemple, par la généralisation des pratiques d'interception ou par nos documents «infalsifiables»), pénalisant davantage les plus vulnérables et les plus pauvres.
Et contrairement à ce que nos gouvernements affirment souvent, on s'attaque encore très peu à ces réseaux eux-mêmes . Et ce n'est pas d'abord parce que la loi actuelle n'est pas assez sévère ou répressive, mais beaucoup plus par manque de véritable volonté politique (les immigrants clandestins ont, dans beaucoup de pays occidentaux, une fonction économique cachée mais fort importante) et de moyens matériels consacrés à l'application de la loi (entre autres parce que les gouvernements sont conscients qu'il s'agit d'une «guerre perdue d'avance» et qu'il s'agit davantage de rassurer l'opinion publique sur «la protection de nos frontières» que de mettre fin, dans les faits, à l'immigration illégale). Il faut cependant admettre, à la décharge de nos gouvernants, qu'il n'est souvent pas facile de remonter jusqu'aux dirigeants de ces réseaux, que les «victimes» ne se sentent pas toujours libres de coopérer aux enquêtes et qu'il est toujours beaucoup plus facile et tentant de pénaliser les «victimes» que les responsables.
Enfin, il est également vrai qu'un nombre important de ceux et celles qui viennent pour «améliorer leur sort» (mais qui n'auraient pas besoin de «protection» au sens de la Convention de Genève, ni même au sens des critères de protection élargis) ont recours au mécanisme de la «revendication du statut de réfugié». Mais cela est malheureusement la conséquence de nos propres politiques canadiennes puisque depuis 1972, il est devenu de plus en plus difficile (sinon carrément impossible) de s'établir au Canada autrement (à moins d'avoir un très bon dossier d'immigrant -langue, scolarité, métier, etc. -et d'être prêt à attendre dans son pays d'origine, parfois pendant quelques années, la réponse éventuellement positive). Au fond, quand on ferme toutes les portes d'entrée, il ne faut pas s'étonner de voir les gens chercher à entrer par la seule fenêtre restée ouverte!
Mais aucune de ces trois réalités ne modifie l'importance et la priorité de «décriminaliser» l'approche de C-11 et de resituer l'ensemble du projet de loi dans une perspective positive, ouverte et généreuse pour l'exercice de nos fonctions d'accueil, de protection et d'assistance. Car c'est seulement à l'intérieur d'une telle perspective que les nécessaires mécanismes de contrôle peuvent trouver leur juste place.
Les conditions pour des mesures de contrôle acceptables
Car s'il est légitime de vouloir, par des contrôles adéquats, protéger notre population en matière de santé et de sécurité publique, par exemple, il est tout aussi important de protéger collectivement les acquis politiques, juridiques et humanitaires essentiels de notre société canadienne. Or notre tradition humanitaire canadienne, à l'égard aussi bien des migrants que des réfugiés ou des personnes déplacées, s'appuie essentiellement sur trois piliers fondamentaux:
1. la Déclaration universelle des droits de l'Homme, adoptée en 1948, et qui prévoit, à son article 13, le droit pour toute personne de circuler librement et de quitter son pays, et à son article 14, le droit pour toute personne, devant la persécution, de chercher et de bénéficier de l'asile en d'autres pays;
2. la Convention de Genève de 1951 et son Protocole de 1967 qui prévoient les divers droits garantis aux réfugiés;
3. et la Charte canadienne des droits, telle qu'interprétée par la Cour suprême du Canada, entre autres dans les arrêts SINGH de 1985 et WARD de 1993, qui prévoient en particulier que tout demandeur de refuge devrait, face à un agent du Canada, savoir ce qu'il doit prouver, pouvoir être entendu par la personne qui décidera de sa demande, être informé des critères et motifs de la décision prise, et être protégé en cas de besoin, à titre supplétif, dans la mesure où son État d'origine est incapable de le faire.
Les contrôles de nos frontières ont donc pour but d'assurer notre protection dans toutes ces dimensions: aussi bien pour maintenir notre sécurité que pour perpétuer nos valeurs collectives et notre héritage.
Et pour rendre acceptables les contrôles, les refus ou les renvois qui sont nécessairement impliqués dans toute politique d'immigration, il importe avant tout que les mécanismes de décision et d'application soient crédibles et suscitent la confiance tant de la population canadienne que des groupes concernés (comme c'est le cas, par exemple, des gouvernements, des tribunaux ou des forces policières : on accepte d'autant mieux leurs décisions ou leur comportement, même exigeants, quand on leur fait globalement confiance).
Pour que les mécanismes de contrôle, et leur application, suscitent une confiance méritée, il faut minimalement assurer les cinq conditions suivantes : la qualité des décisions rendues, l'application cohérente des mêmes critères par tous les décideurs, la supervision possible des décisions par les tribunaux, le caractère public et transparent des procédures, et l'existence concrète de mécanismes de protection alternatifs satisfaisants.
Il faut d'abord assurer la qualité des décisions rendues . Pour cela, il est essentiel que la sélection des décideurs se fasse uniquement en fonction de leur compétence reconnue, et qu'elle soit suivie par une formation adéquate et continue de ceux-ci. Cela est vrai aussi bien du personnel chargé d'appliquer la partie «immigration» de la loi que celle de la «protection», aussi bien ici au Canada qu'à l'étranger.
Mais s'il est un domaine où cette compétence est cruciale, tant pour les personnes touchées par les décisions que pour la confiance de la population canadienne en ses institutions, c'est bien celui des revendicateurs du statut de réfugié. Malheureusement, malgré de très nombreuses représentations faites à ce sujet depuis la création même de la CISR, et malgré la mise en place de mécanismes de sélection supposément indépendants et garants de la qualité du processus, la sélection des commissaires, leur formation adéquate et le renouvellement ou non de leur mandat continuent de se faire en très grande partie en fonction des liens politiques avec le parti au pouvoir et avec le bureau du Premier ministre. Certaines de ces nominations « politiques » peuvent aussi avoir la compétence nécessaire, alors que d'autres ne l'ont pas du tout. Mais ce qui est encore plus grave, c'est que plusieurs commissaires reconnus par tous comme hautement compétents voient leur mandat ne pas être renouvelé, malgré la recommandation favorable de leurs supérieurs et du Comité consultatif sur les nominations et renominations, uniquement parce qu'ils n'ont pas les « appuis politiques » nécessaires! En ce sens, nous ne pouvons que réitérer l'importance des recommandations soumises dans un mémoire antérieur du professeur François Crépeau et de Me France Houle ainsi que des propositions, découlant d'une récente recherche, concernant le processus de nomination des commissaires de la CISR, leur compétence et leur indépendance. Il nous semble inacceptable que la nouvelle loi, qui régira l'immigration et la protection pour de nombreuses années, ne donne pour l'instant aucune suite sérieuse aux nombreuses demandes faites depuis des années au sujet de la dépolitisation des nominations et des renominations, de la compétence et de l'indépendance des membres de la CISR.
Deuxièmement, tous les décideurs impliqués dans le processus, ici comme à l'étranger, devraient appliquer les mêmes critères et les mêmes valeurs. Même s'il n'est pas évident que la Charte canadienne des droits s'applique légalement aux décisions prises, au nom du Canada, à l'étranger (par des agents d'immigration, de visa, de la GRC, ou même par des agents de bord de transporteurs aériens), il nous semble infiniment souhaitable que l'esprit de la Charte s'applique à toutes ces décisions.
Deux préoccupations majeures devraient toujours prévaloir : l'équité dans toutes les décisions et le souci d'assurer la protection à toute personne qui n'est pas protégée par son État d'origine (que cette protection soit accordée à l'étranger, par le HCR ou avec l'aide des autorités canadiennes, ou en permettant à la personne de venir au Canada). Il est inconcevable que l'on ait «deux poids, deux mesures» selon que l'on est en sol canadien ou à l'étranger. Et il est tout à fait inacceptable que l'on puisse refuser de se préoccuper de la protection d'une personne dans le besoin pour la seule raison qu'elle n'a pas de «papiers en règle» (or c'est précisément ce que fait présentement notre programme d' «interception»). Nous croyons que le Canada doit se préoccuper, même dans son programme d' «interception», de ne pas priver une personne dans le besoin de la protection nécessaire. Car c'est la seule façon, pour le gouvernement canadien, de respecter l'esprit autant que la lettre de la Convention de Genève qu'il a signée, et de ne pas être accusé, avec justesse, de vouloir minimiser ses responsabilités internationales de protection en empêchant les gens d'atteindre le sol canadien.
Troisièmement, il est essentiel d'assurer la surveillance possible des divers mécanismes par les tribunaux canadiens. Il ne s'agit évidemment pas d'engorger les tribunaux, ni de rendre inopérant tout système de contrôle en soumettant chaque décision à la révision judiciaire. Mais les mesures de contrôle (interceptions, refus ou renvois, par exemple) seront d'autant plus acceptables (tant pour les intéressés que pour l'opinion publique) et «fiables» qu'elles ne sont pas soumises au seul arbitraire du décideur, mais que le système permet une saine vérification du droit par les tribunaux autorisés.
Quatrièmement, l'ensemble du système de contrôle a d'autant plus de chance de mériter la confiance publique qu'il opère dans toute la transparence publique possible. De la même façon que c'est le caractère public des procédures judiciaires qui en assure la crédibilité, il importe que le maximum de transparence publique s'applique aux diverses mesures de contrôle (entre autres par des rapports annuels détaillés des mesures de contrôle appliquées, des mesures de contestation -administratives ou judiciaires- entreprises et du résultat de celles-ci, etc.).
Finalement, il est également essentiel, dans le cas des mesures d'interception à l'étranger, que des mécanismes de protection adéquats soient en place à l'étranger (par le biais du HCR, des autorités canadiennes en poste, ou des autorités locales dans les cas de transit par un tiers pays) pour être en mesure d'accorder une protection efficace à la personne dans le besoin si on ne veut pas l'autoriser à venir au Canada. En ce sens, la Déléguée du HCR au Canada rappelait l'an dernier que les pays du Nord ont de plus en plus tendance à référer au HCR les cas d'interception à l'étranger sans lui donner les moyens financiers ou matériels de répondre à ces demandes, ce qui est à notre avis proprement irresponsable.
Des moyens pour développer une approche positive de l'immigration et de la protection
Il ne suffit pas de sortir d'une approche défensive face à la nouvelle loi. Il importe au plus haut point de revenir aux axiomes de base, essentiels tant pour le Gouvernement canadien que pour sa population tout au long de son histoire : nous avons besoin d'une immigration importante. Cela est un facteur de progrès et de dynamisme. C'est d'ailleurs ainsi que notre pays s'est bâti presque depuis le début. Et ce besoin d'immigration est à la fois démographique, économique et culturel.
En ce sens, nous encourageons l'intention du Gouvernement fédéral actuel d'appliquer son propre programme politique libéral et de viser une immigration annuelle nette qui équivaudrait à 1% de la population canadienne, soit 300 000 personnes par année. Nous croyons que l'augmentation annoncée lors des récents niveaux d'immigration est un pas dans la bonne direction mais nous croyons qu'il faut préparer l'opinion publique à des augmentations plus importantes dès les prochains niveaux afin de se rapprocher plus rapidement de l'objectif visé. Nous proposons par contre que, de ce nombre, 20% (soit 60 000 personnes) soit réservé pour l'immigration humanitaire : cela comprendrait à la fois les réfugiés choisis à l'étranger (à la demande du HCR ou non, avec ou sans parrainage privé ou public), les revendicateurs de statut acceptés au Canada, et toute autre personne acceptée pour des motifs humanitaires. À court terme, une récente proposition du Inter-Church Committee for Refugees de revenir, pour l'accueil des réfugiés, aux niveaux de 1994, soit 13 000 personnes au lieu des 7 300 et 7500 actuellement proposées, nous semble une suggestion fort pertinente. D'ailleurs, les règlements accompagnant le projet de loi devraient prévoir la nécessité d'un véritable débat public sur les niveaux d'immigration au lieu de la simple consultation restreinte qui est réalisée présentement. Une planification pluriannuelle, envisagée dans C-11 et déjà amorcée avec les niveaux déposés en février dernier, est certainement plus adéquate pour permettre une meilleure application des objectifs poursuivis et une meilleure implication de la population dans ce processus de décision.
Comme le Canada ne réussit même pas, depuis plusieurs années, à atteindre ses objectifs d'immigration pourtant beaucoup plus modestes, cet objectif d'immigration accrue signifie donc que le gouvernement devra consacrer des budgets beaucoup plus importants pour favoriser l'immigration au Canada (plutôt que d'augmenter les budgets essentiellement pour des objectifs de contrôle et de répression, tel qu'annoncé avec le projet de loi C-11).
En faisant une telle proposition, nous voulons :
- desserrer l'étau de la répression et la mentalité de forteresse qui accaparent de plus en plus les débats (et les budgets!) en matière d'immigration et de réfugiés;
- fournir un cadre précis et un objectif mesurable aux bonnes intentions formulées par le Ministère, dans les documents accompagnant le dépôt du projet de loi C-11, en matière de priorité à la protection des gens qui en ont le plus besoin (situés le plus souvent à l'étranger);
- situer clairement nos mécanismes de contrôle (dont il est beaucoup question dans le projet de loi) dans un contexte d'ouverture et de générosité;
- atténuer la seule approche «élitiste» de l'immigration (bien que l'expression «attirer au Canada les meilleurs et les plus brillants» de la présentation accompagnant C-31 a été retirée dans la version C-11, l'esprit du projet de loi demeure le même) en fixant des objectifs numériques élevés qui ont plus de chance de rassembler, en plus de la «crème» que tous les pays s'arrachent, des immigrants «ordinaires» comme la plupart de ceux et celles qui ont bâti le Canada et qui, ayant été accueillis généreusement, ont à leur tour généreusement contribué au Canada;
- mais aussi demander au gouvernement canadien de prendre un leadership politique en cette matière, au plan international, à un moment où les migrations internationales croissantes sont à l'ordre du jour partout (et où même les pays européens, qui n'étaient pas traditionnellement des pays d'immigration, commencent à songer à une politique d'immigration active par besoin de renouveler leur démographie).
Dans ce même esprit, et parce que le défi de la plus grande mobilité des personnes va se poser de plus en plus à mesure que la libre circulation de tout le reste (capitaux, biens et services, information, savoir, etc.) cherche à s'imposer partout, nous voulons lancer l'idée exploratoire d'une libre circulation des personnes entre le Canada et l'Australie. Bien que cela puisse sembler, pour l'instant, hautement théorique ou même un peu farfelu, cette proposition tient compte :
- de notre objectif à plus long terme qui est de favoriser une plus grande ouverture des frontières (déjà de plus en plus ouvertes à la libre circulation des biens, de la finance, de l'information, etc., mais qui résistent toujours à la libre circulation des personnes);
- de la nécessité d'expérimenter d'abord la libre circulation des personnes entre des pays de niveaux économiques assez semblables, comme l'expérimentent déjà, depuis quelques années, les pays de l'Union européenne avec l' «espace Schengen»;
- des similitudes entre le Canada et l'Australie comme pays d'immigration et membres du Commonwealth;
- de la nécessité de commencer par des expérimentations à impact minimum (par opposition à commencer un tel projet avec, par exemple, l'Angleterre ou les États-Unis) afin d'en mesurer graduellement les effets et les conditions de succès.
Commentaires et recommandations sur certains points plus précis
Nous n'avons pas l'intention d'aborder, dans le détail, tous les points du projet de loi qui pourraient poser problème ou qui gagneraient à être améliorés : d'autres groupes ont, plus que nous, développé cette analyse et cette expertise liées soit au droit, soit aux expériences terrain d'accueil et d'intégration des immigrants et des réfugiés. Nous sommes d'ailleurs membres du Conseil Canadien pour les Réfugiés et de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, et en contact avec plusieurs groupes oeuvrant dans des domaines complémentaires aux nôtres.
Mais nous tenons cependant à attirer votre attention sur quelques points touchant la protection que nous n'avons pas encore abordés et qui nous semblent particulièrement importants :
- tout d'abord, nous voulons demander que tout ce qui touche la sélection, l'accueil et l'intégration des réfugiés et autres personnes accueillies pour des motifs humanitaires, et qui se trouve présentement traité dans la partie 1 du projet de loi («Immigration au Canada») soit repris ou rapatrié explicitement dans la partie 2 («Protection des réfugiés»), afin de marquer encore plus clairement combien ces deux dimensions de notre politique, malgré les liens qui les unissent, sont deux volets tout à fait distincts et autonomes qui obéissent à des finalités et à des critères différents l'une de l'autre. Ainsi la sélection des réfugiés (art.12-3) la réinstallation des réfugiés est traitée dans la partie 1 alors que cela devrait être abordée dans la partie 2 de même que certains éléments touchant les demandeurs d'asile. Il faudrait aussi modifier le point 3 de la Table analytique qui devrait se lire "Objet en matière d'immigration et de protection des réfugiés"
- l'article110 (3) prévoit que la section d'appel des réfugiés procède sans tenir d'audiences; or l'arrêt SINGH (1985) confirme l'importance d'entendre la personne concernée, en particulier quand il est question de crédibilité; c'est pourquoi nous recommandons que la section d'appel, plutôt que d'entendre elle-même le revendicateur ou d'autres témoins en appel, renvoie la cause pour une audition de novo en première instance devant un nouveau commissaire (qu'on espère choisi parmi les plus qualifiés) chaque fois qu'elle considère qu'une question importante de crédibilité a été mal évaluée dans la décision étudiée.
- les articles168 (1), 110 (3) et 101 (1c) prévoient les cas de désistement et l'impossibilité d'en appeler; or l'expérience concrète montre qu'il est possible qu'une absence puisse être due à autre chose qu'une négligence ou une volonté d'abus de procédure; compte tenu des graves conséquences d'une telle décision (la personne ne sera pas entendue), nous recommandons de maintenir la pratique actuelle qui permet, à certaines conditions, de justifier les causes de son absence et de permettre ainsi à un revendicateur d'être entendu sur le fond de sa demande.
- les articles 106 (crédibilité en cas d'absence de papiers en règle) et 55(2b) -possibilité d'arrestation en cas d'incapacité d'établir son identité- nous semblent inutilement répressifs et mal avisés; nous n'arrivons pas à imaginer quelle conséquence utile ces articles pourront entraîner (par exemple, une augmentation réelle des étrangers avec des papiers en règle; ou une meilleure protection du public canadien); alors que nous imaginons sans peine les conséquences inutilement négatives que de tels articles peuvent entraîner (par exemple, une diminution de la crédibilité du seul fait de l'absence de papiers d'identité; ou encore une augmentation de la méfiance du public à l'égard des étrangers due à l'augmentation de leur taux détention); d'ailleurs, le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (HCR; 1979, paragraphe 196), tout comme la pratique généralisée de la CISR depuis 1989 prennent en considération que «dans la plupart des cas, une personne qui fuit la persécution arrive dans le plus grand dénuement et très souvent elle n'a même pas de papiers personnels»; c'est pourquoi nous recommandons que ces deux articles soient supprimés.
- Il nous semble important que la loi rappelle que la détention de mineurs ne peut être qu'une mesure de dernier recours. Par contre, l'article 60 nous semble être trop imprécis pour que l'on puisse s'y appuyer. Il nous semble important de préciser des solutions de rechange qui baliseront le sens du dernier recours.
- enfin, bien qu'elles soient peu nombreuses et que le projet de loi C-11 n'en parle pas pour le moment, nous souhaitons que la nouvelle loi reconnaisse les personnes apatrides comme personnes ayant besoin de la protection du Canada.
Conclusion
Nous tenons à souligner l'importance de veiller à ce que la future loi de l'immigration et de la protection des réfugiés respecte les engagements qu'a pris le Canada en matière de droits de la personne. Ainsi, nous invitons la Commission à proposer des modifications à l'actuel projet de loi afin de mieux respecter la Convention contre la torture qui interdit de refouler toute personne vers la torture (Art.115(2)). De même, bien que C-11 rappelle à quelques endroits la considération primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant, selon la Convention relative aux droits de l'enfant, nous croyons que l'ensemble des décisions prises par cette loi devrait être lié par cette norme.
La Commission interaméricaine des droits humains a rendu public un important rapport sur le système canadien de protection des réfugiés: Le respect des droits des demandeurs d'asile au sein du système canadien de détermination du statut de réfugié (28 février 2000). Plusieurs recommandations importantes y étaient faites sur différents aspects de notre système de protection afin de le rendre conforme aux engagements internationaux pris par le Canada. Quelques-unes furent relevées par le projet de loi C-11 mais d'autres éléments ne semblent pas pris en compte par le projet de loi actuel. Nous souhaitons donc que le comité permanent étudie attentivement le projet de loi C-11 à la lumière des commentaires et recommandations formulés par la Commission interaméricaine et qu'il s'assure à son tour, dans ses propres recommandations à la Chambre des communes, que le projet de loi C-11 corresponde, le plus possible, aux exigences rappelées par la Commission.
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Recommandations
Nous voulons ici brièvement rappeler les principales recommandations formulées, ici ou là, dans notre mémoire. Celles-ci ne visent aucunement à résumer notre mémoire. Certaines de nos recommandations sont plus générales et découlent de notre analyse globale de la conjoncture internationale des migrations et des besoins de protection. Tandis que la plupart des recommandations sont davantage collées à l'un ou l'autre aspect précis du projet de loi C-11.
R1: Nous demandons au comité permanent de tenir compte attentivement des recommandations du rapport de la Commission interaméricaine des droits humains de février 2000 dans son analyse du projet de loi C-11. Des modifications devraient aussi être apportées afin de demeurer cohérent avec la signature du Canada à la Convention contre la torture et à la Convention relative aux droits de l'enfant.
R2: La distinction claire entre immigration et protection devrait se refléter partout dans le projet de loi et surtout dans son application. Et les agents canadiens chargés d'appliquer la loi, tant au Canada qu'à l'étranger, devraient garder clairement à l'esprit leur responsabilité de mettre en pratique la double finalité de la loi : régir l'immigration au Canada et protéger les personnes qui ne peuvent l'être dans leur pays d'origine.
R3: Dans cet esprit, nous demandons que soit repris ou rapatrié explicitement dans la partie 2 («Protection des réfugiés») tout ce qui touche la sélection, l'accueil et l'intégration des réfugiés et autres personnes accueillies pour des motifs humanitaires, et qui se trouve présentement traité dans la partie 1 du projet de loi («Immigration au Canada»), afin de marquer encore plus clairement combien ces deux dimensions de notre politique, malgré les liens qui les unissent, sont deux volets tout à fait distincts et autonomes qui obéissent à des finalités et à des critères différents l'une de l'autre.
R4: Il faut en priorité, au Canada comme ailleurs, sortir le débat sur l'immigration et la protection des réfugiés de l'ornière de la criminalisation, en décriminalisant l'approche de C-11 et en resituant l'ensemble du projet de loi dans une perspective positive, ouverte et généreuse dans l'exercice de nos fonctions d'accueil, de protection et d'assistance.
R5: Nous encourageons au Gouvernement fédéral actuel d'appliquer son propre programme politique libéral et de viser une immigration annuelle nette qui équivaudrait à 1% de la population canadienne, soit 300 000 personnes par année. De ce nombre, nous proposons que 20% (soit 60 000 personnes) soit réservé pour l'immigration humanitaire : cela comprendrait à la fois les réfugiés choisis à l'étranger (à la demande du HCR ou non, avec ou sans parrainage privé ou public), les revendicateurs de statut acceptés au Canada, et toute autre personne acceptée pour des motifs humanitaires.
R6: Le gouvernement devrait en conséquence consacrer des budgets beaucoup plus importants pour favoriser l'immigration au Canada, plutôt que d'augmenter les budgets essentiellement pour des objectifs de contrôle et de répression.
R7: Les règlements accompagnant le projet de loi devraient prévoir la nécessité d'un véritable débat public sur les niveaux d'immigration au lieu de la consultation restreinte telle qu'elle se pratique présentement.
R8: Pour que les mécanismes de contrôle, et leur application, suscitent une confiance méritée, il faut minimalement assurer les cinq conditions suivantes : la qualité des décisions rendues, l'application cohérente des mêmes critères par tous les décideurs, la supervision possible des décisions par les tribunaux, le caractère public et transparent des procédures, et l'existence concrète de mécanismes de protection alternatifs satisfaisants.
R9: La qualité des décideurs étant essentielle pour assurer que les mécanismes de contrôle et leur application suscitent une confiance méritée, et particulièrement en matière de détermination du statut de réfugié, nous demandons donc au comité permanent de s'assurer que la version finale du projet de loi C-11 tiendra vraiment compte des nombreuses recommandations (et en particulier celles du mémoire Crépeau-Houle) concernant le processus de nomination et de renouvellement de mandat des commissaires de la CISR, leur compétence, leur formation et leur indépendance.
R10: Tous les décideurs impliqués dans le processus, ici comme à l'étranger, devraient appliquer les mêmes critères et les mêmes valeurs. Même s'il n'est pas évident que la Charte canadienne des droits s'applique légalement aux décisions prises, au nom du Canada, à l'étranger (par des agents d'immigration, de visa, de la GRC, ou même par des agents de bord de transporteurs aériens), il nous semble infiniment souhaitable que l'esprit de la Charte s'applique à toutes ces décisions.
R11: Il est essentiel d'assurer la surveillance possible des divers mécanismes de contrôle par les tribunaux canadiens. Les mesures de contrôle ne doivent jamais être soumises au seul arbitraire du décideur, mais le système doit permettre une saine vérification du droit par les tribunaux autorisés.
R12: Il importe que le maximum de transparence publique s'applique aux diverses mesures de contrôle (entre autres par des rapports annuels détaillés des mesures de contrôle appliquées, des mesures de contestation -administratives ou judiciaires- entreprises et du résultat de celles-ci, etc.).
R13: Nous demandons que le Canada s'assure toujours de ne pas priver une personne dans le besoin de la protection nécessaire. Il est essentiel, dans le cas des mesures d'interception à l'étranger, que des mécanismes de protection adéquats soient en place à l'étranger pour être en mesure d'accorder une protection efficace à la personne dans le besoin si on ne veut pas l'autoriser à venir au Canada.
R14: En matière d'entrée irrégulière, il faudrait s'inspirer des recommandations du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié préparé par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et remplacer partout dans le projet de loi C-11 les expressions «criminalisantes» (comme «entrées illégales ou clandestines») par les expressions neutres recommandées par le HCR (comme «entrée sans autorisation» ou «entrée/séjour irrégulier»).
R15: Il faudrait aussi faire une nette distinction entre le «smuggler» et le «smugglé», entre le «passeur» et le «passé» (seul le smuggler ou le passeur qui le fait «pour un profit intéressé» pouvant être criminalisé et poursuivi pour abus de personnes); en ce sens, il faudrait corriger l'article 117 (1) pour qu'une personne qui organise l'entrée irrégulière au Canada de personnes ayant l'intention d'y chercher refuge ne puisse commettre une infraction que si elle pose ce geste en vue d'en tirer elle-même un profit ou de permettre à d'autres d'en tirer profit.
R16: Dans le cas d'absence de papiers d'identité en règle, cela ne devrait être ni un motif pour mettre en doute la crédibilité d'un revendicateur de refuge (article 106), ni un motif pour une arrestation sans mandat ou une détention (article 55, 2 b); en conséquence, nous demandons la suppression de ces deux articles.
R17: En matière d'appel pour les demandes de protection, nous demandons que les règlements assurent à la nouvelle section d'appel toute l'indépendance requise par son mandat. De plus, nous demandons que la CISR réserve ses meilleurs commissaires pour remplir cette fonction capitale de l'appel.
R18: Pour s'assurer que toute question importante de crédibilité sera toujours décidée après que la personne concernée a été personnellement entendue par le décideur (conformément à l'arrêt SINGH de 1985), nous demandons (en raison de l'article 110 (3)) que de telles causes soient renvoyées par la section d'appel pour être entendue de novo par un commissaire particulièrement compétent de première instance.
R19: Pour s'assurer qu'aucun réfugié ne soit privé de son droit d'être entendu en raison d'un désistement prévu aux articles 168 (1), 110 (3) et 101 (1c), nous recommandons de garder la souplesse actuelle et de permettre, à certaines conditions, à un revendicateur de justifier les motifs de son absence ayant conduit à la décision de désistement.
R20: Nous demandons au comité permanent d'étudier très attentivement les projets de règlements (dont la plupart ne sont malheureusement pas disponibles pour nous permettre de les évaluer) afin de s'assurer qu'ils sont cohérents avec les objectifs annoncés dans le projet de loi et qu'ils réalisent vraiment les promesses intéressantes faites dans les documents explicatifs accompagnant le projet de loi C-11.
R21: Nous demandons que le critère d'établissement réussi au Canada, pour les réfugiés sélectionnés à l'étranger, ne passe pas simplement de trois à cinq ans mais qu'il soit complètement éliminé.
R22: De plus, nous demandons que cette élimination du critère d'établissement réussi, de même que l'élimination promise du critère médical pour les réfugiés, soient inclus non pas dans les règlements mais dans le texte même de la loi.
R23: De même, nous recommandons que la volonté apparente d'accorder une priorité à la famille qui semble se manifester par de nombreux règlements soit reflétée dans le projet de loi lui-même, entre autres par une inscription explicite dans les objectifs de la loi (article 3).
R24: Le droit de vivre en famille devant s'appliquer pour tous, nous demandons au comité permanent de recommander le retrait de l'inadmissibilité des personnes sur l'aide sociale à parrainer leur conjoint et leurs enfants.
R25: Nous souhaitons que la nouvelle loi reconnaisse les personnes apatrides comme personnes ayant besoin de la protection du Canada.
Annexe
EXPERTISE EXIGÉE D'UNE SECTION D'APPEL DES RÉFUGIÉS
Le projet de loi C-11 crée une procédure d'appel, par voie de révision interne des dossiers (Art. 110). Selon les intentions exprimées par la Ministre, lors du dépôt du projet de loi, la création d'une Section d'appel des réfugiés vise à assurer un traitement équitable et un processus de décision uniforme pour tous les revendicateurs du statut de réfugié. Ainsi, tout demandeur d'asile, devant la Section de la protection des réfugiés (à l'exception de ceux qui ont reçu un prononcé de désistement ou de retrait) pourra exiger une révision sur le fond de leur dossier pour correction d'une erreur de droit ou de fait.
Les commissaires qui siégeront à cette Section d'appel auront pour tâche majeure d'éliminer les problèmes de cohérence reconnus depuis longtemps par la CISR (Commission de l'immigration et du statut de réfugié) et soulignés avec force dans le rapport récent de la CIDH (Commission interaméricaine des droits de l'homme : Le respect des droits des demandeurs d'asile au sein du système canadien de détermination du statut de réfugié ; para.105; le 28 février 2000) :
«The IRB itself has recognized that there are identifiable disparities in operational processes and outcomes in cases from the same source countries among its regional offices that are not explained by the inherent variation in decisions by independent decision-makers. Consistency in decision-making is one important indicator that similarly situated persons are receiving equal treatment in the disposition of their rights.»
Les commissaires de la Section d'appel des réfugiés devront avoir les moyens, les ressources et l'expertise pour corriger et rétablir l'intégrité du processus de décision à l'intérieur de la Commission; ils devront donc être sélectionnés en priorité en fonction de leur «expertise supérieure dans le domaine de la reconnaissance du statut de réfugié» (CCR 19/4/00).
Pour juger de cette expertise, il ne suffit pas de considérer la formation académique ou l'expérience professionnelle des candidats à la Section d'appel. Les commissaires à l'appel doivent avoir les qualifications pour juger d'un processus décisionnel fort particulier :
«Refugee status determination is among the most difficult forms of adjudication, involving, as it does, fact-finding in regard to foreign conditions, cross-cultural and interpreted examination of witnesses, ever-present evidentiary voids, and a duty to prognosticate potential risks rather than simply to declare the more plausible account of past events.» (James C. Hathaway in Rebuilding trust, déc. 1993;p.6)
C'est à partir du dossier de la Section de la protection (transcription de l'audience, motifs de la décision et observations écrites des intéressés) que le commissaire de la Section d'appel évaluera la décision rendue, en accordant ou en rejetant la demande d'asile.
L'action de décider et de motiver une décision de première instance vis-à-vis d'une demande d'asile, dans le cadre d'une enquête quasi-judiciaire, exige du commissaire de la Section de protection une séquence d'activités non-routinières qui respectent des règles épistémologiques (au sens où l'utilise Gaston Bachelard) apppropriées à chaque étape. Tout comme l'écoute attentive d'une personne revendicatrice, quand elle relate les incidents qui l'amènent à demander la protection du Canada, la rédactions des motifs de la décision est aussi un geste singulier qui doit être guidé par des règles de justice naturelle appliquées à chaque cas.
Comme juge des faits, le commissaire de première instance doit apprécier chacun des points importants de la preuve et il doit prendre toute mesure nécessaire à une instruction adéquate de la revendication : sans protocole contraignant, il doit recevoir ou divulguer toute la preuve qu'il estime nécessaire à sa décision. En contre partie, il doit aussi communiquer par écrit, à la personne intéressée, l'ensemble des renseignements qui influencent sa décision ; la personne revendicatrice doit pouvoir retrouver, dans les motifs écrits, l'essentiel de la preuve qu'elle a présentée, tout comme les autres éléments de preuve avérés qui vont à l'encontre de ses prétentions. En lisant les motifs de la décision, la personne entendue à l'audience devrait obtenir l'assurance que ses allégations furent comprises, tout comme ses réponses aux doutes exprimés par le commissaire. En définitive, la lecture des motifs doit surtout permettre de vérifier qu'aucune étape n'a été escamotée dans la suite des opérations menant à la décision. De la délimitation des sources crédibles à la description des fondements de la revendication; de l'analyse de la fiabilité de la preuve à celle de sa validité face aux critères des Conventions pertinentes; et, finalement, de la délibération qui jauge les options possibles, à la décision qui choisit et communique un dispositif.
En examinant le dossier de première instance, le commissaire à l'appel doit avoir l'expertise pour déceler des raccourcis ou des obstacles qui entraînent des préjudices :
- Le processus de décision évalué s'appuie-t-il en partie sur une opinion personnelle ou sur une directive extérieure à la cause, avec pour conséquence de délimiter ou de restreindre la preuve considérée ?
- Les motifs sont-ils appuyés sur une proposition générale complétée par des exemples choisis parmi les plus efficaces et les plus attrayants pour faire valoir le point de vue plaidé ?
- Le dossier et les motifs mettent-ils en relief une même idée appuyée sur d'autres causes extérieures, avec référence à un ensemble d'un même pays-source, sans une attention particulière à toute la preuve spécifique à la personne entendue ?
- L'écriture des motifs passe-t-elle directement d'expériences fortes ressenties, lors du témoignage ou lors de la saisie d'une preuve, à la conclusion, en simplifiant ou en écourtant la phase d'analyse ?
- Retrouve-t-on, à l'audience ou dans les motifs, avant même un résumé de la preuve reçue ou une synthèse adéquate du témoignage, l'expression d'une tendance générale des décisions du tribunal dans des causes analogues provenant d'une même période, d'un même regroupement ou d'une même région?
- Les motifs sont-ils structurés autour d'un élément de preuve qui a mené à un choix clair, dans des causes analogues, sans peser une à une les preuves contradictoires ?
- Comment furent appréciées les attitudes du témoin principal ? Qu'en est-il de son allure, de sa contenance, de ses expressions et de ses gestes? Le décideur de première instance y a-t-il décelé de l'arrogance ou de l'assurance, de la désinvolture ou de l'effronterie, de la gêne ou de la modestie ? Le choix d'une dénotation pour caractériser l'attitude du témoin principal a-t-il servi de facteur unifiant dans l'appréciation du témoignage ? Ce choix a-t-il été fait de façon précipitée, sans vérifications d'indices ambigus, sans apprécier l'effet de l'origine étrangère d'un témoin dont les paroles sont filtrées et colorées par un interprète ?
- Le décideur de première instance manifeste-t-il être conscient de passer au-delà d'éléments perçus directement quand il déduit un principe unificateur des comportements de la personne revendicatrice en se fondant sur les valeurs qu'il lui attribue ?
C'est par leur capacité d'utiliser à bon escient des interrogations comme celles qui précèdent que des commissaires, candidats à la Section d'appel, pourront manifester leur expertise supérieure dans le domaine de la reconnaissance du statut de réfugié . Les sciences juridiques peuvent soutenir le développement d'une telle expertise; d'autres champs d'étude et de pratiques professionnelles réfléchies peuvent aussi outiller une personne pour qu'elle devienne experte du processus de décision, dans l'appréciation du fondement des craintes exprimées par des personnes vulnérables.
NOTES
1. « Pour une nouvelle protection des réfugiés » , dossier spécial de discussion préparé par le GTR et publié dans le bulletin Vivre ensemble, volume 7, numéro 26, printemps 1999, 28 pages.
2. Pour une présentation plus détaillée des propositions du GTR en matière de protection, voir «Pour une nouvelle protection des réfugiés», op. cit
3. Pour faciliter la lecture et éviter les répétitions, nous nous permettrons également d'inclure certains commentaires et recommandations dans les sections précédentes.
4. À cet égard, un de nos collaborateurs, Fernand Gauthier, qui fut de 1989 à 1998 un des commissaires les plus respectés de la CISR à Montréal, en plus d'y exercer diverses responsabilités, a produit une réflexion spécifique sur les exigences que devraient rencontrer les futurs membres de cette section d'appel. Il nous a semblé utile de partager le fruit de cette riche expérience en Annexe.
5. H.C.R., Genève, 1979, aux numéros 61 à la page 17, 196 à la page 51 et à la page 174, en référence à l'article 31 de la Convention de 1951.