La réinstallation des réfugiés indochinois au Canada
Vingt ans plus tard

1979: Les images télédiffusées dévoilaient la tragédie vécue par les « boat people », ces réfugiés qui cherchaient désespérément un havre de paix. À travers le Canada les gens se sont manifestés dans un élan spontané pour leur venir en aide. Mobilisant à cet effet leurs communautés religieuses, les groupes de travailleurs, les centres communautaires, et plusieurs autres organismes, des milliers de personnes ont cherché à contribuer à la solution de la crise des réfugiés qui explosait en Indochine. Le gouvernement canadien, pris de court par l'ampleur du mouvement de soutien accordé par le public à cette crise, fut contraint de réviser rapidement et substantiellement l'engagement initial qu'il avait adopté sur cette question.

 
C'est ainsi que, sur les 60 000 réfugiés en provenance du Vietnam, du Laos et du Cambodge qui ont pu entamer une nouvelle vie au Canada entre 1979 et 1980, plus de 34 000 ont été parrainés par le peuple canadien lui-même. Il semble utile que, vingt ans plus tard, on puisse se rappeler cette période exceptionnelle de notre histoire et mettre en lumière son indélébile empreinte.

 

 

En reconnaissance de la manifestation de compassion de milliers de Canadiens face aux besoins des réfugiés d'Indochine et d'ailleurs, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés prit en 1986 une décision sans précédent en décernant au peuple canadien la Médaille Nansen.

La crise des réfugiés en Asie du Sud-Est

Alors qu'en 1978 et 1979 le nombre de réfugiés se trouvant dans des camps de la région augmentait à une allure préoccupante, la communauté internationale prit progressivement conscience du fait que seul un programme massif de réinstallation pourrait permettre à la fois de couvrir les besoins des réfugiés et de tenir compte des intérêts des États qui les recevaient. De toute évidence, ces réfugiés ne retourneraient plus chez eux dans un avenir prochain; il était également évident que les pays d'accueil n'accepteraient pas d'autres réfugiés sans un soutien international important.

 
Dans les années 1970, les conditions politiques, économiques et sociales très précaires au Cambodge, au Laos et au Vietnam provoquaient un exode de plus de 3 millions de personnes entre 1975 et les années 1990. Bien que les causes précises ayant engendré ce flux de réfugiés étaient différentes dans chacun de ces pays, les formes de persécutions se ressemblaient.

 
Les personnes ayant collaboré avec les régimes locaux vaincus, naguère soutenus par les États-Unis, étaient soumises à un traitement cruel, pendant que d'autres -- surtout la communauté d'ascendance chinoise -- étaient ciblées du fait de leur appartenance ethnique. Plusieurs connurent les « camps de rééducation », d'autres furent déplacées de force à l'intérieur du pays ou contraintes à travailler au service des gouvernements au pouvoir. Outre ce climat généralisé de violation des droits de la personne, la violence entre et au sein des pays menaçait la vie de milliers d'autres personnes.

 
À la mi-1979, le nombre de personnes cherchant asile dans la région s'élevait à près de 1,4 million. Plusieurs d'entres elles ont emprunté des voies terrestres, prenant le risque d'être capturées ou refoulées. Pour des centaines de milliers d'autres, la voie maritime représentait leur unique espoir.

 
Connus sous le nom de « boat people », ces réfugiés ont enduré des jours durant des mers démontées avec peu ou pas d'eau et de vivres, à la recherche d'une terre d'asile. Embarqués à bord de rafiots précaires aux ennuis mécaniques fréquents, ils ont affronté tous les dangers. De surcroît, ils devaient éviter les pirates qui les ont assassinés, rançonnés, violés et enlevés. Le nombre de réfugiés qui ont péri avant d'atteindre la terre ferme n'est pas connu. On le situe toutefois à des dizaines de milliers.

 
Une fois la terre ferme gagnée, les réfugiés n'étaient pas pour autant au bout de leur calvaire. Certains pays les refoulaient à la mer, tandis que les camps se sont révélés n'être qu'une solution provisoire. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés oeuvrait en faveur de leur sécurité aussi bien dans les camps qu'en haute mer, et coordonnait leur réinstallation en pays tiers.

 
Si bien qu'à l'été 1979, la réinstallation des réfugiés se présentait comme une solution capitale à la crise. En retour, les pays de la région ne devaient plus refouler ces réfugiés à leurs frontières. Le rôle joué par le Canada a été important : il a réinstallé un plus grand nombre de réfugiés par tête de population qu'aucun autre pays.

 
Une fois,
J'ai traversé la Mer de Chine,
Minée par la peur,
À bord d'un petit bateau,
Deux typhons,
De hautes lames,
Des vents furieux,
La mort était si proche.

Une fois,
J'ai survolé l'Océan Pacifique,
Tant d'appréhensions,
En quête d'une vie nouvelle,
Pleine d'incertitudes,
Pour l'affronter dans une terre nouvelle.

Extrait d'un poème de Nhung Thuy Hoang

Le parrainage privé
 

Un tel élan de générosité est le fruit d'une œuvre bénévole accomplie par les Canadiennes et Canadiens de toutes parts du pays. La plupart se sont retrouvés pour la première fois de leur vie confrontés à la réinstallation des réfugiés. Un grand nombre d'organismes d'aide aux réfugiés ont vu le jour, et beaucoup d'entre eux sont encore actifs aujourd'hui. Cette période a vu également la naissance d'un partenariat entre le gouvernement et le public, que l'on a qualifié d' « âge d'or de politique canadienne en matière de réfugiés, l'apogée de leadership et d'engagement ».

 
Au début de l' année 1979, la situation des « boat people » était omniprésente dans les médias. Pas un seul jour ne passait sans que ne soit rapporté un événement à propos de ces réfugiés qui bravaient tous les dangers pour poursuivre leur quête d'une terre d'accueil. L'ampleur de cette tragédie affecta directement les Canadiens. Ceux qui s'étaient mobilisés pour cette cause se souviennent encore d'avoir pleuré à la vue des images à la télévision. Comme une organisatrice le rappelle justement, « il y avait tout ce capital de compassion qui s'accumulait au point que les gens ne savaient tout juste quoi en faire ».

 

 
 

Sur cette question, le gouvernement a joué entre 1975 et 1978, un rôle plutôt modeste en réinstallant à peu près 9 000 Indochinois. Mais face aux besoins qui ne cessaient de croître, le ministère de l'Immigration s'est appuyé sur le nouveau programme de parrainage privé pour renforcer l'engagement national sur cette question.

 
Ce programme de soutien permettait à des organismes approuvés ou à des groupes constitués d'au moins cinq personnes, de parrainer des réfugiés en prenant en charge durant leur première année au pays, leurs besoins financiers et personnels. Une proportion importante des groupes parrains était composée d'églises. Le gouvernement fut rapidement noyé par une multitude de demandes de parrainage parvenant du pays tout entier.
« En tant que groupe d'humains, nous avons vraiment atteint un niveau d'excellence qui dépasse les objectifs que nous avons l’habitude de nous fixer »
Marion Dewar
En l'espace de quelques semaines seulement, des centaines d'initiatives ont été entreprises afin de distribuer de l'information et appuyer les groupes parrains dans la levée de fonds et les préparatifs en vue de l'arrivée des réfugiés. Dans la « confusion organisée », au sacrifice de leur temps, de leur énergie et de leur argent, des milliers de personnes se sont mobilisées pour répondre à cet appel.
Dans la pratique, le parrainage ne se limitait pas à procurer aux réfugiés un gîte et un travail pour joindre les deux bouts. La tâche était -- et est -- en fait beaucoup plus ample; il faut faire connaître le Canada aux réfugiés, les introduire auprès de leur nouvelle communauté et les aider à s'adapter à une multitude de réalités quotidiennes. Les parrains avaient, eux aussi, des choses à apprendre. Pour un bon nombre d'entre eux, il s'agissait de leur premier contact avec une personne d'une culture autre qu'européenne. De surcroît, en venant en aide à d'autres personnes, les parrains ont à cette occasion, appris à mieux connaître leur propre pays. Ainsi qu'il a été dit, « l'expérience leur a permis de voir leur communauté sous une nouvelle lumière ».
Tout compte fait, en 1979 et 1980, les Canadiens ont parrainés plus de 34 000 personnes originaires de l'Asie du Sud-Est. Le gouvernement quant à lui en a pris en charge 26 000.

 

 

« Ce qui a caractérisé cette époque, c’était la spontanéité des Canadiens face à cette situation. De même, la réponse du gouvernement était remarquable. » Flora MacDonald,  alors Secrétaire d'État aux Affaires extérieures.

Vingt ans au Canada
 

À leur arrivée au Canada, les réfugiés devaient effectuer de nombreux ajustements. Tout ce qui leur restait était le souvenir traumatisant de leur fuite et le désir d'entamer un avenir plein d'espoir. Nombreux sont ceux qui ont dû laisser derrière eux leur famille et vivre dans l'attente de se réunir à nouveau. Mais ils devaient avant tout s'adapter à leur pays d'adoption, processus qui exigeait des changements importants dans leur vie.

 
L'adaptation primordiale à laquelle ils devaient faire face était l'apprentissage de la langue. Plusieurs se souviennent à ce propos d'avoir rencontré leurs parrains pour la première fois, sans pouvoir s'échanger un mot. La vie au Canada représentait un défi qu'il fallait relever. Faire par exemple le marché sur une base hebdomadaire plutôt que quotidienne. Inscrire les enfants à l'école. Ils devaient également s'habituer à la rigueur de nos hivers. « Ce dont je me souviens le plus lorsque je suis arrivé au Canada, c'est surtout ce froid! Après tant d'années ce n'est que maintenant que je commence à m'y habituer! »

 
Et bientôt arrivait le moment de la recherche d'un travail, afin de retrouver leur autonomie, d' assurer la couverture de leurs besoins et de contribuer au développement du Canada. Un réfugié se souvient de cette époque: « la volonté de retrouver leur autonomie et d'épargner pour parrainer leurs familles signifiait qu'ils devaient accepter n'importe quel emploi, souvent malgré une faible rémunération. D'autres ont simultanément suivi une formation afin que leurs qualifications professionnelles soient reconnues au Canada ou tout simplement pour obtenir un meilleur emploi dans le futur ».
« Nous étions tous animés par le désir de donner quelque chose en retour au pays qui nous a accueilli. Nous étions si reconnaissants envers le peuple canadien et nous avons travaillé très dur pour nous trouver des créneaux dans l'économie du pays et de nous accommoder à  la société qui nous a acceptés ». Propos d'un réfugié vietnamien
Cette réadaptation n'a jamais été aussi facile, mais elle était comprise comme le prix à payer pour assurer une vie meilleure aux générations futures. La plupart devinrent citoyens canadiens très tôt. Cet acte signifiait non seulement que ces réfugiés acceptaient qu'ils ne pouvaient plus retourner chez eux, mais aussi que le Canada représentait désormais leur véritable pays d'adoption. C'est la raison pour laquelle la réunification des familles a été -- et continue d'être -- une démarche essentielle.
Vingt ans plus tard, on peut constater la présence dans toutes nos villes de Cambodgiens, de Vietnamiens et de Laotiens. Ils sont devenus actifs sur le plan politique en occupant des fonctions officielles. Ils ont fondé des organismes communautaires et édifié des lieux de culte qui reflètent leur propre origine culturelle. Des centaines d'entre eux font partie de la population active en tant qu'ingénieurs, analystes programmeurs, médecins ou pharmaciens. D'autres se sont mis à leur propre compte dans la restauration, les petits commerces, les agences de voyage, les salons de beauté et de coiffure et les magasins vidéos. Ils sont également actifs dans le commerce international. D'autres travaillent dans des organismes d'établissement qui accueillent les nouveaux arrivants, en mettant à profit leur expérience durement au service de ceux et celles qui arrivent au Canada.
Réfugiés aux besoins spéciaux
Même si le Canada s’est concentré à réinstaller de très nombreux réfugiés, quelques réfugiés aux besoins spéciaux ont été admis au Canada, dont 388 mineurs non-accompagnés (la plupart au Québec), des personnes atteintes de tuberculose et quelques réfugiés aux prises de graves problèmes d’ordre affectif et psychologique.

Conclusion
 

Aujourd'hui, plus de 200 000 Indochinois, arrivés depuis les années 70, font partie intégrante de la société canadienne. Par le biais de la réinstallation, le Canada a pu offrir à ces réfugiés un asile et la chance d'une nouvelle vie.

 

 
« L'accueil chaleureux réservé par les Canadiennes et les Canadiens à la cause des réfugiés leur a fait prendre conscience qu’ils appartenaient à ce pays. Cela a contribué à faciliter leur intégration dans le Canada ». Propos d'un réfugié vietnamien La principale leçon à retenir du programme indochinois, c’est que le parrainage bénévole fonctionne, et cela de façon extraordinaire! Il procure aux réfugiés une base solide et plus personnelle pour leur réétablissement, leur autosuffisance et leur intégration. Il indique aussi clairement à tous les ordres de gouvernement que les Canadiens se préoccupent grandement de la misère des masses et qu’ils sont prêts à donner de leurs biens, de leur temps et de leur coeur pour la soulager.
Les réfugiés indochinois: La réponse canadienne, 1979 et 1980, Emploi et Immigration Canada

Aujourd'hui, les organismes de parrainage et d'établissement, répartis à travers le pays, fournissent une réponse humanitaire aux besoins des réfugiés en provenance de tous les continents. « Renseignez vous à propos des origines des organismes oeuvrant aujourd'hui dans ce domaine, et vous constaterez dans bien de cas qu'ils ont fait leur début en 1979, 1980 ou 1981 ». L'arrivée des réfugiés indochinois a également contribué à faire connaître le parrainage privé qui a à son actif l'accueil de plus de 168 000 réfugiés dans des communautés canadiennes durant les deux dernières décennies.

 
Les bénéfices engendrés ont permis au Canada de réagir face à l'afflux de réfugiés kosovars. Les organismes d'établissement ont promptement été mis en branle et les Canadiens à travers tout le pays se sont précipités pour offrir leur aide et leur soutien. Parmi ces organismes, la communauté vietnamienne a procédé à des levées de fonds et a récolté des dons qu'elle a mis au service de cette cause. Des médecins et des pharmaciens ayant été naguère des réfugiés se sont manifestés pour venir en aide à ces nouveaux réfugiés. Un de ces pharmaciens s'est expliqué ainsi : « Je suis un boat person, donc je connais les peines qu'ils ont dû subir ».

 
Vingt ans après la crise de l'Asie du sud-est, on compte plus de 12 millions de réfugiés dans le monde, la plupart se trouvant dans les pays du Sud. Leur situation, si dramatique qu'elle puisse être, est rarement présentée à la télé.

 
Pour de nombreux réfugiés, la réinstallation représente l'unique possibilité d'une solution durable -- la chance d'être en vie. Le Canada -- et les Canadiens -- peuvent faire de cette dernière chance une réalité.

 

 


Ce document a été réalisé grâce à la généreuse contribution du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de l'Organisation Internationale pour les Migrations
Le mouvement indochinois, qui comptait 3 millions de personnes tout au long de ces 22 dernières années, constitue un des plus grands défis auquel a fait face le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Le HCR a non seulement mis en place des camps de réfugiés, mais il a aussi oeuvré pour assurer aux réfugiés un environnement sécuritaire, aussi bien en haute mer que dans les camps. Il a également organisé leur réinstallation dans des pays tiers et supervisé le retour en sécurité de certains alors que le mouvement indochinois touchait à sa fin.

 
L'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) a joué un rôle important dans la réinstallation des réfugiés indochinois. En étroite collaboration avec le HCR et avec les gouvernements qui offraient la réinstallation, OIM s'est chargé des examens médicaux, de la documentation et de l'organisation des voyages par vols nolisés ou par vols commerciaux dans les pays de l'Asie du sud-est et plus tard au Vietnam lui-même.

 

 



Conseil canadien pour les réfugiés
 

Canadian Council for Refugees
 

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