Introduction

En octobre 2006, le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) était invité à faire une présentation au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration dans le cadre de son étude des questions touchant les réfugiés.  Le temps disponible étant limité, nous n’étions pas en mesure de présenter en détails nos préoccupations relatives à l’Entente sur les tiers pays sûrs.  Puisque le Comité a décidé d’entendre des témoignages spécifiquement sur l’impact de l’Entente, nous désirons profiter de l’occasion pour fournir des commentaires écrits sur ce sujet, afin de s’assurer que le Comité a devant lui les préoccupations principales du CCR.

En vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs, les É.-U. et le Canada se considèrent mutuellement comme des pays sûrs pour les réfugiés et ont établi comme principe général que les demandeurs d'asile devraient faire leur demande dans le premier de ces pays où ils arrivent.  Ainsi, les réfugiés qui sont aux É.-U. doivent faire leur demande aux É.-U., plutôt que de demander la protection au Canada.  De la même façon, ceux qui sont au Canada doivent faire leur demande au Canada. Or, dans les faits il y a peu de demandeurs qui voyagent du Canada aux É.-U. pour faire une demande : l'entente vise surtout à empêcher les personnes qui se trouvent aux É.-U. de faire une demande d'asile au Canada.

Le Conseil canadien pour les réfugiés s'oppose vigoureusement à l’Entente, parce que les États-Unis ne sont pas un pays sûr pour tous les réfugiés. Le CCR dénonce également le but et l’effet de la réduction du nombre de réfugiés qui peuvent demander la protection du Canada.

Les États-Unis ne sont pas « sûrs » pour tous les réfugiés

Le Conseil canadien pour les réfugiés estime que le gouvernement canadien se trompe en désignant les États-Unis comme un tiers pays sûr, étant donné que les É.-U. ne sont pas un lieu sûr pour tous les réfugiés.

Avant l’entrée en vigueur de la désignation de tiers pays sûr, le CCR avait soulevé des préoccupations relatives à plusieurs aspects de la loi et des pratiques états-uniennes à l’égard des réfugiés.  Ces préoccupations incluent :

  • Le risque de détention. Des milliers de demandeurs d’asile, y compris des enfants, sont détenus aux États-Unis pendant des mois, voire même des années, souvent dans des prisons où ils côtoient des criminels. Ceux qui sont détenus ont moins de chance de se voir accorder le statut de réfugié parce qu’il leur est difficile d’obtenir l’assistance dont ils ont besoin pour présenter leur revendication adéquatement. Des abus commis à l’endroit des détenus dans les prisons d’immigration aux États-Unis ont été largement divulgués.
  • Le processus de reconnaissance du statut de réfugié.  Les États-Unis ne donnent pas toujours la protection à ceux qui en ont besoin. Plusieurs revendicateurs ont été reconnus réfugiés au Canada après avoir été refusés aux États-Unis, à cause des règles et de l’interprétation de la définition de réfugié plus restrictives. Les règles d’éligibilité aux États-Unis stipulent que les revendicateurs qui font leur demande après un séjour de plus d’une année ne seront pas entendus. À la différence du Canada, la loi états-unienne n’offre pas de protection aux personnes exposées à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. 

    Qui plus est, aux É.-U. le droit relatif aux demandes fondées sur le genre manque de clarté, ce qui fait que certaines femmes sont privées de la protection dont elles ont besoin.

  • Les pratiques discriminatoires.  Les politiques et les pratiques des États-Unis sont discriminatoires envers certains réfugiés et immigrants sur la base de leur nationalité, ethnicité ou religion. Par exemple, les États-Unis placent en détention les revendicateurs haïtiens sur la base de leur nationalité.  Les personnes en provenance des pays majoritairement musulmans sont aussi particulièrement vulnérables aux risques de détention.

Depuis sa désignation comme tiers pays sûr, la situation aux É.-U. s’est détériorée de façon importante.

La loi canadienne oblige le Conseil fédéral des ministres à assurer le suivi de l’examen du statut des É.U. comme tiers pays sûr, en tenant compte d’une série de facteurs.  Le Conseil des ministres ne semble pas avoir effectué un tel examen jusqu’à maintenant.

En novembre 2006, le CCR a présenté un mémoire au Conseil des ministres qui présentait des preuves que, depuis la désignation des É-U. comme tiers pays sûr, une série de développements fait en sorte que les É-U. ne répondent pas aux critères du tiers pays sûr, selon la définition et les facteurs prescrits par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.  Parmi les preuves étudiées, le mémoire a souligné :

  • Le Real ID Act. Signé en mai 2005, le Real ID Act a exacerbé de façon importante les problèmes systémiques relatifs à l’accès au statut de réfugié aux États Unis. La loi notamment exclut des personnes de la protection sur la base d’une définition extrêmement large de « soutien matériel » à un organisme terroriste, d’une manière incompatible avec la Convention sur les réfugiés.
  • Le Rapport de la US Commission on International Religious Freedom. Le rapport de février 2005 de cette commission gouvernementale a vivement critiqué le système de détermination du statut de réfugié aux États-Unis. (Depuis la soumission du mémoire du CCR, la Commission a marqué le deuxième anniversaire du rapport en rendant publique sa préoccupation quant au fait qu’aucune suite n’a été donnée à ses recommandations.  Selon la présidente, Felice Gaer, « nous ne voyons aucune différence significative entre les situations à l’époque et aujourd’hui – à l’exception du fait que le processus ‘Expedited Removal’ a été élargi en dépit de notre recommandation explicite de ne pas le faire pour l’instant »1)
  • Les pratiques états-uniennes de refoulement vers la torture en violation de l’article 3 de la Convention contre la Torture.  En septembre 2006, dans son rapport dans le cadre de la Commission d’enquête sur les événements concernant Maher Arar, le juge O’Connor a conclu que les États-Unis ont renvoyé M. Arar vers la torture en Syrie. D’importantes preuves de la part des groupes de droits humains, de l’ONU et du Conseil de l’Europe attestent de l’utilisation d’ « assurances diplomatiques » peu fiables, de cas de refoulement vers la torture à partir de Guantánamo et des pratiques de restitutions (“extraordinary rendition”) vers la torture.

Selon la Loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés, untiers pays sûr se conforme à ses obligations de non-refoulement, c’est-à-dire à ses obligations de ne pas renvoyer des réfugiés vers la persécution ni toute personne vers la torture (article 33 de la Convention sur les réfugiés et article 3 de la Convention contre la torture).  Les preuves attestent du fait que les É.U. ne se conforment pas à leur obligation en vertu de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés d’offrir à tous les réfugiés la protection contre le refoulement.  Il y a également d’abondantes preuves à l’effet que les É.U., par leurs pratiques de renvoi vers la torture (« rendition »), ont systématiquement violé leur obligation en vertu de la Convention contre la torture de ne refouler personne vers la torture.  Sur ce seul fondement, les É.U. ne peuvent continuer d’être correctement désignés un tiers pays sûr.

Le mémoire du CCR, Less safe than ever, Challenging the designation of the US as a safe third country for refugees, se trouve ci-joint en Annexe 1.2

Le CCR note que le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, dans son rapport de décembre 2002, a soulevé une série de préoccupations relatives aux impacts de l’Entente sur les tiers pays sûrs, dont une relative aux femmes fuyant la violence fondée sur le genre.

RECOMMANDATION 1 : Le CCR prie le Comité permanent d’appeler le Conseil des ministres à retirer la désignation des États-Unis comme tiers pays sûr, étant donné qu’ils ne se conforment pas aux exigences statutaires d’un tiers pays sûr.

Impact sur les réfugiés de l’Entente sur les tiers pays sûrs

En décembre 2005 le CCR a rendu public un rapport sur la première année de l’Entente, montrant que plusieurs des pires craintes que l’on entretenait sont devenues réalité.  La frontière canadienne étant fermée à la plupart des réfugiés, ils sont nettement moins nombreux à pouvoir trouver la protection dont ils ont besoin au Canada. Au lieu de cela, certains sont détenus et déportés par les États-Unis; d’autres sont forcés de vivre sans statut aux États-Unis, craignant d’être arrêtés; d’autres encore ont recours à des passeurs pour trouver une voie vers la sécurité. Le nombre de gens ayant demandé le refuge au Canada en 2005 était le plus bas depuis le milieu des années 80. La chute des demandes déposées à la frontière était particulièrement dramatique, avec seulement 51% du nombre de demandes déposées l’année précédente. Les Colombiens ont été plus particulièrement touchés.

Le rapport du CCR se trouve ci-joint en Annexe 2.3

Nous sommes vivement préoccupés par le fait que le gouvernement canadien n’a fait aucun effort pour rechercher et analyser l’impact de l’Entente sur les réfugiés.  Tel qu’exigé par l’Entente, le gouvernement canadien a participé avec le gouvernement états-unien et le HCR à un processus tripartite de surveillance de la première année de mise en oeuvre.   Le rapport de ce processus, dû pour publication depuis longtemps, a finalement été rendu public en novembre 2006.  Ce rapport n’abordait pas la question fondamentale de l’impact de l’Entente sur les réfugiés.  Il étudiait la façon dont l’Entente était appliquée et non pas ce qui est arrivé aux réfugiés refoulés à la frontière ou à ceux qui ont appris que la frontière leur était maintenant fermée.  Le rapport négligeait également d’analyser les changements dans les politiques et les pratiques états-uniennes et si ceux-ci signifient que les É.-U. ne peuvent plus être correctement considérés un tiers pays sûr.

Nous notons qu’en décembre 2002 ce Comité a adopté un rapport faisant état d’une série de préoccupations relatives au tiers pays sûr.  Parmi les nombreuses recommandations, la dernière se lit comme suit : « Le Comité recommande que, lorsque le ministère procédera à un examen complet de l’Entente un an après sa mise en oeuvre, il en fasse rapport au Comité.  Le rapport devrait comprendre les renseignements suivants » – et il s’en suit une longue liste de renseignements demandés, dont des références aux indications que l’Entente sur les tiers pays sûrs a provoqué une augmentation de la traite et des entrées clandestines dangereuses.  Ces renseignements n’ont pas été fournis par le gouvernement.

RECOMMANDATION 2: Si, pour quelque raison que ce soit, le Comité permanent n’est pas prêt à aller de l’avant avec la Recommandation 1 ci-dessus, le CCR prie le Comité permanent d’appeler le gouvernement à commander une analyse détaillée de l’impact sur les réfugiés de l’Entente sur les tiers pays sûrs.


Notes

1. Notre traduction.  U.S. Commission on International Religious Freedom, Communiqué, le 8 février 2007, USCIRF Finds Disappointing Response from Departments of Justice and Homeland Security to its Recommendations on Expedited Removal Process, http://www.uscirf.gov/mediaroom/press/2007/february/20070208ERS.htmls.  Voir également Expedited Removal Study Report Card: 2 Years Later, http://www.uscirf.gov/reports/ScoreCards/02062007_ScoreCard_long.html

2. Il est également disponible à http://www.ccrweb.ca/Lesssafe.pdf.  Un résumé en français se trouve à http://www.ccrweb.ca/moinssurres.html

3. Il est également disponible à http://www.ccrweb.ca/closingdoordec05.pdf.  Un résumé en français se trouve à http://www.ccrweb.ca/resTPSdec05.html