Depuis le 29 décembre 2004, jour où l’Entente sur les tiers pays sûrs entre les É.U. et le Canada est entrée en vigueur, les États-Unis ont été désignés un tiers pays sûr pour les demandeurs d’asile qui arrivent à la frontière canadienne avec les É.U.  Cela signifie que, à quelques exceptions près, leurs demandes sont irrecevables et ne seront pas entendues au Canada : on s’attend à ce que ces demandeurs trouvent la protection, s’ils en ont besoin, plutôt aux États-Unis. 

Le Conseil canadien pour les réfugiés, qui s’oppose farouchement depuis toujours à l’Entente sur les tiers pays sûrs, maintient que les É.U. ne sont pas un pays sûr pour tous les réfugiés.  Qui plus est, la situation aux É.U. s’est détériorée de façon importante depuis sa désignation comme tiers pays sûr.

La Loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés définit comme tiers pays sûr  un pays qui se conforme à ses obligations de non-refoulement, c’est-à-dire à ses obligations de ne pas renvoyer des réfugiés vers la pérsecution ni toute personne vers la torture (article 33 de la Convention sur les réfugiés et article 3 de la Convention contre la torture).

La loi canadienne oblige le Conseil fédéral des ministres à assurer le suivi de l’examen du statut des É.U. comme tiers pays sûr, en tenant compte d’une série de facteurs.  Il ne semble pas que le Conseil des ministres ait effectué un tel examen jusqu’à maintenant.

Le Conseil canadien pour les réfugiés demande instamment au Conseil des ministres de retirer la désignation des É.U. comme tiers pays sûr, à la lumière des nouveaux développements. Les É.U. ne se conforment pas à leur obligation en vertu de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés d’offrir à tous les réfugiés la protection contre le refoulement.  Il y a également d’abondantes preuves que les É.U., par leurs pratiques de renvoi vers la torture (« rendition »), ont systématiquement violé leur obligation en vertu de la Convention contre la torture de ne refouler personne vers la torture.  Sur ce seul fondement, les É.U. ne peuvent continuer d’être correctement désignés un tiers pays sûr.

La loi ordonne au Conseil des ministres de tenir compte des politiques et des usages des É.U. en ce qui touche la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés et les obligations découlant de la Convention contre la torture; ainsi que leurs antécédents en matière de respect des droits de la personne.

La nouvelle preuve relative à ces facteurs, jointe aux failles préalables, dicte la conclusion que les É.U., ne peuvent plus être considérés un tiers pays sûr, si jamais ils l’étaient.

En résumé, les principaux nouveaux éléments, organisés selon les facteurs statutaires à prendre en compte, sont les suivants :

I    Politique et usages des É.U. en ce qui touche la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés

Real ID Act
En mai 2005, le Président Bush signe le Real ID Act, loi qui exacerbe de façon importante les problèmes systémiques relatifs à l’accès au statut de réfugié aux États Unis. La loi élargit de façon dramatique la catégorie des personnes inéligibles au statut de réfugié du fait de leur engagement supposé « dans des activités terroristes ». Ainsi, le statut de réfugié est refusé aux personnes qui apportent un « soutien matériel » aux « organisations terroristes ». Les termes larges de cette loi excluent de la protection de nombreux réfugiés qui ne se sont jamais livrés à des actes « terroristes » ou dont le seul lien avec une « organisation terroriste » était involontaire et forcé.  Par exemple, un fermier colombien, de qui des rebelles armés avaient extorqué de l’argent, s’est vu refuser l’asile aux États-Unis en raison du « soutien matériel » qu’il aurait fourni à un groupe terroriste.  Il a été renvoyé en Colombie après avoir passé une année en détention aux États-Unis.

L’exclusion des personnes de la protection en raison de cette notion de « soutien matériel » est incompatible avec la Convention sur les réfugiés et mène aux situations où des réfugiés font face au refoulement, contrairement à ce qu’exige la Convention.

Le Real ID Act rend également beaucoup plus ardu la tâche des demandeurs d’asile de convaincre les décideurs qu’ils méritent l’asile.  La loi impose de nouvelles exigences aux demandeurs d’asile quant aux motifs de la persécution qu’ils craignent et la preuve qui la corrobore.  De plus, on accorde maintenant explicitement aux décideurs la discrétion de baser la détermination qu’ils font de la crédibilité d’un demandeur d’asile sur des facteurs tels la conduite et les incohérences, même si ces incohérences sont sans rapport avec le cœur de la demande.  Ceci signifie, par exemple, qu’une personne qui demande l’asile peut être déclarée non crédible parce qu’elle n’a pas donné un compte-rendu complet de son expérience lors de sa première rencontre avec un agent d’immigration étasunien (ce qui arrive souvent, particulièrement aux femmes qui ont vécu la violence sexuelle). En introduisant ces nouvelles règles, le Real ID Act rend plus probable le fait que des demandeurs d’asile qui répondent à la définition d’un réfugié selon la Convention se voient refuser injustement un statut et la protection prévue par la Convention, dont la protection contre le refoulement.

Rapport de la US Commission on International Religious Freedom
En février 2005, la Commission gouvernementale étasunienne sur la liberté internationale de religion, a publié un rapport, Asylum seekers in expedited removal, qui a vivement critiqué le système de détermination du statut de réfugié aux États-Unis.

La Commission a trouvé que les demandeurs sont régulièrement détenus dans des prisons ou des établissements semblables à des prisons, jugés inappropriés pour des demandeurs d’asile non-criminels. Les critères de libération des demandeurs d’asile détenus ne sont pas mis en œuvre de façon conséquente.  Il y a des écarts statistiques importants entre les taux d’acceptation selon les juges d’immigration individuels, même parmi les demandeurs d’asile provenant du même pays, ou parmi les juges avec le même nombre de dossiers siégeant dans les même cours. Des différences significatives de taux d’acceptation existent selon qu’un avocat soit présent ou non.  On note une diminution substantielle des octrois d’appel du Board of Immigration Appeals depuis que la Commission a décidé de permettre des “affirmations sans opinion” (i.e. sans raison donnée).

Les conclusions du rapport démontrent que le processus de demande d’asile aux États-Unis dépend de nombreux paramètres indépendants de la situation personnelle du demandeur. Par conséquent, des personnes qui en fait devraient être reconnues réfugiées au sens de la Convention risquent d’être privées injustement du statut et ainsi des protections de la Convention, notamment la protection contre le refoulement.

Le projet d’immigration du Transactional Records Access Clearinghouse
En juillet 2006, Transactional Records Access Clearinghouse a publié les résultats d’une étude de 297 240 cas de réfugiés entre 1994 et 2005.  L’étude fait état de disparités importantes dans le traitement des demandes d’asile aux États-Unis, selon les décideurs.  Ces incohérences doivent signifier que certains réfugiés se font injustement refuser la protection à laquelle les réfugiés ont droit et ainsi font face au refoulement.

II    Les politique et usages des États Unis en ce qui touche les obligations découlant de la Convention contre la torture

a) Le refoulement vers la torture (art. 3 de la Convention contre la Torture)
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés définit un tiers pays sûr comme un pays qui se conforme à l’article 3 de la Convention contre la torture, qui interdit le refoulement vers la torture.

La Commission Arar
En septembre 2006, le juge O’Connor a présenté le Rapport de la Commission d’enquête sur les événements concernant Maher Arar.  Il a conclu que les États-Unis ont renvoyé M. Arar vers la torture en Syrie.  Une enquête judiciaire canadienne a donc tiré une conclusion relative à la non-conformité des É.U. à l’égard de son obligation en vertu de l’article 3 de ne refouler personne vers la torture.

Assurances diplomatiques
En avril 2005, Human Rights Watch a publié un rapport concernant le recours à des « assurances diplomatiques » dans des cas de renvoi vers un risque de la torture (i.e. des promesses d’un État qu’il ne torturera pas une personne). Selon Human Rights Watch, les “assurances diplomatiques” sont de plus en plus utilisées par les États-unis. Elles ont apparemment été utilisées pour justifier la déportation de M. Arar vers la Syrie et n’ont manifestement pas empêché sa torture. Des représentants des États-Unis ont reconnu à la fois leur utilisation et la valeur limitée de ces « assurances » dans la protection réelle d’une personne contre la torture, ce qui met les États-Unis en violation de leur obligation en vertu de l’article 3.

Renvoi de Guantánamo vers la torture
En février 2006, cinq experts des Nations unies ont publié un rapport sur la situation des détenus à Guantánamo Bay.  Ils ont fait rapport d’allégations de « rendition » et de retour forcé de détenus de Guantánamo vers des pays où ils risquent sérieusement d’être torturés. Sur la base des informations disponibles, le Rapporteur spécial sur la torture a conclu que la pratique étasunienne de “rendition extraordinaire” constitue une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture.  En avril 2005, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est arrivée à une conclusion similaire selon laquelle les pratiques des É.U. de « restitution » (“rendition”) ont fait en sorte que des détenus ont été sujets à la torture, et à des traitements cruels, inhumains et dégradants, en violation de l’interdiction de refoulement.

Restitutions à des lieux de détention secrets
En septembre 2006, le président Bush a confirmé l’existence de prisons secrètes instituées par la CIA. Le secret qui entoure ces lieux de détention, corroboré par les témoignages des personnes qui y ont été enfermées, laisse à penser que la torture et les traitements inhumains ou dégradants sont présents dans les conditions même de détention ainsi que lors des interrogatoires.  Dans son rapport de juin 2006 d’une enquête conduite par le Conseil de l’Europe, Dick Marty a constaté que les É.U. ont placé et gardé en détention des suspects de terrorisme, hors de portée de tout système juridique. Dans plusieurs des cas examinés, les détenus ont été torturés. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une résolution s’opposant à la détention secrète et aux transferts illégaux de détenus entre États, condamnant fortement l’éloignement des États-Unis du droit international et des normes des droits de la personne.

b) Autres manquements aux obligations en vertu de la Convention contre la torture
Lors de la révision du statut d’un tiers pays sûr, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés requiert que le Cabinet tiennent compte des politiques et des usages du pays relatifs à toutes les obligations en vertu de la Convention contre la torture.

Rapport de l’ONU sur Guantanamo
Le rapport de l’ONU de 2006 ci-haut mentionné, Situation of detainees at Guantánamo Bay, présente également une série d’autres conclusions concernant des violations de la Convention contre la torture à Guantánamo Bay.  Le rapport conclut que les techniques d’interrogatoire permises par le gouvernement étasunien, surtout si utilisées simultanément, équivalent à un traitement dégradant en violation de l’article 16 de la Convention.  Si la victime a subi des douleurs ou des souffrances sévères, ces actes équivalent à la torture.  La violence excessive utilisée dans plusieurs cas durant le transport, lors d’opérations des Initial Reaction Forces et dans le fait de nourrir de force des détenus en grève de la faim, a été évalué par les experts des Nations Unies comme équivalant à la torture. L’impunité des coupables a été considérée comme équivalant à une violation des articles 12 et 13 de la Convention.

Conclusions du Comité des Nations Unies contre la Torture
En mai 2006, le Comité des Nations Unies contre la torture a rendu public les conclusions sur l’examen de la conformité des États-Unis avec la Convention contre la torture.  Le Comité a constaté que les États-Unis doivent apporter de nombreux changements significatifs à leurs politiques et usages courants afin de se conformer à leurs obligations en vertu de la Convention.  Parmi les préoccupations identifiées, on retrouve : le manquement des États-Unis de reconnaître que la Convention s’applique en tout temps et dans tout territoire sous leur juridiction; leur manquement d’enregistrer tous les détenus; l’établissement des centres de détention secrets qui ne sont pas accessibles au Comité international de la Croix rouge; l’implication des États-Unis dans des disparitions forcées; l’absence de mesures légales claires assurant qu’il n’y a aucune dérogation de la prohibition de la torture; la détention indéfinie à Guantánamo Bay; l’autorisation d’utiliser des techniques d’interrogatoire qui ont provoquées la mort de certains détenus pendant l’interrogatoire; des informations fiables faisant état d’actes de torture ou de traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants commis par des membres du personnel des États-Unis en Afghanistan et en Irak; des sentences clémentes pour les coupables de tels actes; et les informations fiables faisant état de violences sexuelles à l’encontre des détenus, dont ceux détenus en vertu de la loi d’immigration.

Observations finales du Comité des droits de l’homme de l’ONU
En juillet 2006, le Comité des droits de l’homme de l’ONU, dans un rapport sur la conformité des États-Unis avec le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, a soulevé des préoccupations concernant la conformité avec la Convention contre la torture, surtout en ce qui a trait à l’existence de la détention secrète et le besoin d’enquêtes promptes et indépendantes concernant toutes les allégations de morts suspectes et de torture et traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants par des agents du gouvernement étasunien à Guantánamo, en Afghanistan, en Irak et dans d’autres lieux outremer.

Le Detainee Treatment Act
En décembre 2005 le Detainee Treatment Act a été signé et est devenu loi, compromettant davantage la conformité des É.U. avec la Convention contre la torture, en retirant aux cours fédérales toute compétence pour réviser la situation des détenus de Guantánamo.  La loi permet aussi aux tribunaux de prendre en considération des preuves obtenues par la force (donc potentiellement sous la torture).

Lors de la signature, le président Bush a joint une déclaration indiquant qu’en tant que commandant en chef, il pourrait écarter l’interdiction d’utiliser la torture ou des traitements cruels, inhumains et dégradants.

Usage systématique de la torture
En mai 2005, Physicians for Human Rights a publié un rapport présentant une preuve concluante à l’effet que l’usage par les É.U. de la torture psychologique est systématique et central au processus d’interrogatoire des détenus en Irak, en Afghanistan et à Guantánamo Bay. Le rapport documente le recours à l’isolement prolongé, la privation de sommeil, des humiliations sévères au niveau sexuel et culturel et l’utilisation de menaces et de chiens pour provoquer la peur de la mort ou des blessures.  Le rapport note que “il est difficile d’établir quelles formes de torture psychologique sont présentement utilisées” à cause du secret extrême entourant les opérations de détention.  Le American Civil Liberties Union et Amnistie internationale ont aussi fait état des preuves de patterns systématiques de torture des détenus aux mains des É.U.

Detainee Abuse and Accountability Project
Les conclusions préliminaires du Detainee Abuse and Accountability Project, une étude conjointe menée par plusieurs organismes de droits de la personne, ont été publiées en avril 2006.  Ils ont conclu que l’abus des détenus sous la garde des É.U. s’est élargi, impliquant des cas en Afghanistan, en Irak et à Guantánamo Bay.  Plus de 400 personnes sont impliquées dans les cas d’abus étudiés par les autorités étasuniennes, mais il y a eu peu d’accusations et il ne semble pas y avoir eu une enquête adéquate de la part des autorités étasuniennes au sujet des nombreuses accusations d’abus.

III    Antécédents des États-Unis en matière de respect des droits de la personne
En plus des violations des droits de la personne décrites ci-haut, la situation générale au niveau des droits de la personne s’est détériorée aux États-Unis, depuis la mise en oeuvre de l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Les attaques délibérées de civils en Irak
Depuis l’entrée en vigueur de l’Entente sur les tiers pays sûrs, des informations font apparaître que les forces des États-Unis ont tué délibérément des civils lors du conflit irakien. Parmi ceux-ci, on retrouve 24 Irakiens massacrés à Haditha, 11 civils apparemment exécutés à Ishaqi et un civil irakien tué à Hamdania par des soldats étasuniens qui ont par la suite falsifié les rapports sur sa mort. De telles attaques constituent de graves violations des droits de la personne.

Détention des mineurs
En octobre 2005, Amnistie internationale et Human Rights Watch ont publié les conclusions d’une étude nationale sur la pratique consistant à condamner des enfants à la réclusion à perpétuité dans des prisons pour adultes, sans possibilité de réduction de peine.  Le rapport met l’emphase sur la pratique de juger les mineurs comme des adultes et de leur donner des sentences d’emprisonnement à vie qui doivent être purgées dans des prisons pour adultes, sans possibilité de libération conditionnelle. Le rapport a trouvé 2,225 personnes condamnées à vie sans possibilité de libération conditionnelle pour des délits commis alors qu’elles étaient mineures. Pour certains, cela implique être détenu dans une prison pour adultes alors qu’ils sont encore mineurs. Ces pratiques violent les normes internationales de droits de la personne.

Le Military Commissions Act de 2006
En octobre 2006, le Military Commissions Act est devenu loi par la signature du  président des États-Unis. La loi prive les non-citoyens du droit fondamental à l’habeas corpus, élimine plusieurs protections contre l’abus auxquels les détenus ont droit en vertu des Conventions de Genève, donne aux représentants gouvernementaux une immunité rétroactive face à leur responsabilité dans des abus passés et permet l’introduction de preuves obtenues par la force.

 


Le rapport intégral (en anglais) : Less safe than ever, Challenging the designation of the US as a safe third country for refugees