21
novembre 2002
Introduction
Le
Conseil canadien pour les réfugiés est un groupe d’encadrement
qui s’est engagé à protéger les réfugiés
au Canada et partout dans le monde et à aider les réfugiés
et les immigrants à s’établir. Environ 180 organismes partout
au Canada sont membres du CCR. Nous demandons le respect des droits de
la personne des nouveaux arrivants et l’intégration réussie
des réfugiés et des immigrants à la société
canadienne.
Le
Conseil canadien pour les réfugiés a participé activement
aux discussions sur les versions précédentes de ce projet
de loi, qui a été présenté lors de la 36e
législature (projet de loi C-63 durant la première session,
et projet de loi C-16 durant la deuxième session). Alors que le
projet de loi courant intègre quelques améliorations comparativement
aux versions précédentes de ce projet de loi, certaines dispositions
nous préoccupent grandement. De plus, quelques nouvelles dispositions
du projet de loi C-18 sont inquiétantes, notamment les nouveaux
pouvoirs permettant la révocation de la citoyenneté en se
fondant sur des renseignements secrets qui semblent offensants à
toute personne croyant que les citoyens canadiens ont droit à un
processus équitable.
Égalité
de tous les citoyens
Le
Conseil canadien pour les réfugiés apprécie l’articulation
claire de l’article 12 sur l’égalité des droits et des obligations
de tous les citoyens, sans égard à la façon par laquelle
ils sont devenus citoyens. À un moment où, en raison des
pratiques discriminatoires des services de l’immigration américaine,
les citoyens canadiens ont été traités différemment
selon le lieu de leur naissance, il s’avère particulièrement
important de mettre l’accent sur l’égalité de tous les citoyens
canadiens.
Nous
sommes donc préoccupés par le fait que les dispositions du
projet de loi ne reflètent pas entièrement le principe de
l’égalité de tous les citoyens. Certains moyens proposés
permettant d’annuler ou de révoquer la citoyenneté ne respectent
pas le droit à un processus équitable. Certains citoyens
pourraient ainsi être privés, injustement, de leur citoyenneté.
Il
existe aussi des inégalités quant au droit de remettre la
citoyenneté aux enfants d’une personne. Une citoyenne canadienne
étant de la deuxième génération née
à l’extérieur du Canada ne doit pas donner naissance à
un enfant à l’étranger, car cet enfant ne sera pas citoyen
canadien (et se retrouvera peut-être sans citoyenneté). Cette
situation s’applique même si cette personne a vécu au Canada
toute sa vie, sauf durant les premiers mois. Par contre, un citoyen né
au Canada ou entré au pays comme immigrant n’a pas à être
préoccupé, par exemple, par le fait d’accepter un travail
à l’étranger et de donner naissance à un enfant dans
ce pays, car cet enfant serait citoyen canadien.
Recommandation
:
Ajouter une disposition indiquant qu’une personne est citoyenne canadienne
si la demande pour conserver la citoyenneté de la mère, qui
a donné naissance à l’étranger, a été
acceptée, conformément à l’article 14.
L’apatridie
Les
Canadiens doivent être préoccupés par le problème
mondial des apatrides. Au cours des dernières années, ce
problème s’est accru. De plus en plus, les membres du Conseil canadien
pour les réfugiés signalent que des personnes au Canada sont
aux prises avec des problèmes juridiques, car elles n’ont aucun
droit ici et, en tant que personnes apatrides, ne peuvent aller nulle part.
Même si le nombre d’apatrides au Canada est probablement peu élevé,
plusieurs personnes partout dans le monde se retrouvent dans cette situation.
Nous
demandons au gouvernement canadien de jouer un rôle de chef de file,
afin d’aborder le problème international de l’apatridie. Malheureusement,
même si le Canada a signé la Convention sur la réduction
des cas d'apatridie de 1961, il n’a pas signé la Convention de 1954
relative au Statut des apatrides. Nous avons demandé fréquemment
au Gouvernement du Canada d’examiner ce problème et de signer la
Convention de 1954.
Recommandation
: Prendre
les mesures nécessaires pour que le Canada signe la Convention de
1954 relative au Statut des apatrides.
Au
même moment, le Comité doit étudier attentivement la
Loi sur la citoyenneté proposée, en tentant de l’utiliser
pour réduire l’apatridie. Cet objectif s’avère important
pour les personnes directement touchées par cette loi et pour que
la loi canadienne serve de modèle au plan international, pour ce
qui est des efforts déployés pour régler le problème
de l’apatridie.
On
pourrait ajouter, de façon utile, une simple disposition importante
à la Loi, c’est-à-dire une disposition indiquant que la Loi
doit être interprétée d’une manière conforme
au principe de réduction de l’apatridie. Cette disposition nous
permettrait de refléter nos obligations internationales quant à
la réduction de l’apatridie.
Recommandation
: Ajouter
une disposition indiquant que la Loi doit être interprétée
d’une manière conforme au principe de réduction de l’apatridie.
Selon
l’article 14 (qui fait déjà partie de la Loi sur la citoyenneté
en vigueur), les citoyens canadiens nés à l’étranger
perdront leur citoyenneté à 28 ans, si leurs propres parents
étaient des citoyens canadiens nés à l’étranger.
Durant la présente période de mondialisation, alors que plusieurs
Canadiens travaillent et étudient à l’étranger, nous
pouvons prévoir que cette situation s’appliquera à de plus
en plus de Canadiens.
Puisque
cet article 14 touche les personnes nées après 1977, la disposition
entrera en vigueur en 2005. Cette situation pourrait accroître le
niveau d’apatridie si une personne ne correspond pas aux exigences nécessaires
pour conserver la citoyenneté, même si elle a vécu
la majorité de sa vie au Canada.
Prenons,
par exemple, une femme canadienne (nommons-la Anna). Elle est née
à l’étranger et donne naissance à l’extérieur
du Canada. Anna revient au Canada et amène sa fille, Mariam. À
l’âge de 22 ans, Mariam, qui a passé presque toute sa vie
au Canada, va étudier à l’étranger, puis revient au
Canada à 26 ans. Lorsqu’elle aura 28 ans, elle perdra sa citoyenneté
canadienne et pourrait devenir une personne apatride, car elle n’a pas
respecté la condition de résidence de trois ans, conformément
à l’article 14. Elle aurait dû demander de conserver sa citoyenneté
à l’âge de 22 ans. Qui lui expliquera cette situation ?
On
pourrait aborder ce problème en ajoutant une exception à
l’article 14, c’est-à-dire qu’on ne pourrait pas révoquer
la citoyenneté d’une personne si elle risquait de devenir apatride.
Recommandation :
Modifier l’article 14, de façon à inclure une exception à
la règle sur la révocation de la citoyenneté si la
personne risquait de devenir apatride.
L’article
11 du projet de loi tente d’aborder le problème de la création
de l’apatridie. Cet article n’améliorerait pas la situation de Mariam,
car il exige encore une résidence de trois ans au cours des six
années précédentes. Par contre, il pourrait, peut-être,
aider son enfant, si elle avait donné naissance à un bébé
lorsqu’elle étudiait à l’étranger. Par contre, cet
enfant né à l’étranger et peut-être apatride
pose problème. Il pourrait devenir un citoyen canadien s’il vivait
au Canada pendant trois ans. Toutefois, s’il est apatride, quel statut
pourrait-il utiliser pour vivre au Canada ? Pourrait-il même voyager
au Canada?
On
pourrait régler tout simplement les deux situations mentionnées
ci-dessus en supprimant le sous-article 11 (d) (c’est-à-dire la
condition de résidence de trois ans au Canada).
Nous
attirons aussi l’attention sur le fait que la limite d’âge de moins
de 28 ans semble arbitraire. Devrions-nous ignorer les personnes apatrides
âgées de 28 ou de 29 ans, si ces personnes sont les enfants
de citoyens canadiens?
Finalement,
à ce sujet, nous notons que, selon le sous-article 11 (e), exigeant
que le demandeur ait toujours été apatride, certaines personnes
apatrides seront exclues. Au cours des dernières années,
nous avons vu comment des changements politiques ont rendu certaines personnes,
qui avaient une citoyenneté, apatrides. Cette situation s’est, par
exemple, produite lors du démantèlement de l’URSS. Une personne
dont un des parents est canadien ne devrait pas, selon nous, demeurer apatride,
simplement parce qu’elle avait une citoyenneté qui a été
révoquée. (S’il existe des préoccupations quant au
fait que des personnes se rendent admissibles en renonçant à
leur citoyenneté, on pourrait les exclure, de façon explicite.)
Tout
comme la condition de résidence de trois ans et la limite d’âge,
cette limite est tirée de la Convention de 1961. Par contre, la
Convention ne mentionne que l’État contractant « peut subordonner
l’acquisition de sa nationalité » à ces conditions.
Elle ne recommande aucunement l’imposition de ces conditions. Nous ne sommes
pas obligés d’établir de telles restrictions. Ces conditions
ne sont que minimales, plutôt que maximales. Nous croyons que le
Canada peut dépasser les conditions minimales.
Recommandation :
Supprimer les sous-articles 11(c) et (d) et modifier le sous-article (e)
pour qu’il mentionne que « la personne est apatride et n’est pas
devenue apatride en renonçant à sa citoyenneté ».
Révocation
de la citoyenneté par le processus de délivrance des certificats
Le
projet de loi C-18 contient une nouvelle disposition, prenant comme exemple
une disposition semblable de la Loi sur l’immigration et la protection
des réfugiés.Cette
disposition permettrait à un juge d’un tribunal fédéral
de révoquer la citoyenneté d’un ancien immigrant sans que
le citoyen puisse connaître toutes les preuves présentées.
On ne peut pas en appeler de la décision d’un juge touchant la révocation
ni en demander le contrôle judiciaire.
Le
Conseil canadien pour les réfugiés croit que ce processus
est fondamentalement injuste, dans le contexte de l’immigration. Nous croyons
aussi qu’il est injuste dans le processus de citoyenneté. De plus,
il est contraire au principe de l’égalité des citoyens d’avoir
un processus par lequel des citoyens, qui ont obtenu leur citoyenneté
après avoir immigré au Canada, peuvent perdre cette citoyenneté
sans pouvoir connaître les preuves présentées et sans
pouvoir faire appel de cette décision. Les personnes nées
au Canada ne sont pas assujetties à ce processus.
Recommandation
:
Supprimer l’article 17.
Annulation
de la citoyenneté
Grâce
au projet de loi C-18, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
détient de nouveaux pouvoirs lui permettant d’annuler la citoyenneté.
Les citoyens canadiens qui ont obtenu leur citoyenneté après
avoir immigré au Canada peuvent donc perdre leur citoyenneté
sans recours et même sans droit d’audience.
Les
nouveaux pouvoirs permettant d’annuler la citoyenneté se trouvent
dans l’article 18. Grâce à cet article, le ministre peut annuler
la citoyenneté d’une personne, au cours des 5 années suivant
l’obtention de la citoyenneté, si le ministre croit que la personne
n’est pas admissible ou a obtenu la citoyenneté en utilisant une
fausse identité.
Pour
ce qui est de cette disposition qui permet l’annulation d’une citoyenneté
qui n’aurait jamais dû être octroyée, elle semble raisonnable
et intéressante. Par contre, dans certains cas il est loin d’être
simple et direct à déterminer si la citoyenneté a
été obtenue de façon illégitime. Par exemple,
un citoyen peut être faussement accusé d’avoir utilisé
une fausse identité par une personne lui en voulant ou par un gouvernement
étranger qui désire le persécuter. Le projet de loi
lui-même prévoit que la personne pourrait avoir des arguments
à présenter pour se défendre. Cette dernière
devrait recevoir un avis et pourrait fournir des observations écrites.
Toutefois, qui fait un choix entre les arguments du ministre, qui croit
que la citoyenneté a été obtenue de façon illégitime,
et ceux du citoyen, qui est en désaccord ? C’est le ministre. Un
système dans lequel l’accusateur est aussi le juge ne protège
certainement pas les intérêts de la justice.
Le
citoyen dont la citoyenneté peut être annulée ne peut
même pas connaître toutes les preuves dont se sert le ministre
pour annuler sa citoyenneté. Selon le projet de loi, le citoyen
ne recevra qu’un « résumé des motifs de l’ordonnance
proposée ».
De
plus, le projet de loi n’indique pas que le ministre doit être convaincu,
hors de tout doute raisonnable, que la citoyenneté a été
obtenue de façon illégitime. Le ministre n’a qu’à
être « satisfait ». Cette situation établit une
norme peu élevée qui permet l’annulation de la citoyenneté,
même dans les cas où les opinions peuvent être légitimement
différentes. Elle nuit à la possibilité d’utiliser
des recours efficaces devant les tribunaux, puisque ces tribunaux sont,
habituellement, forcés d’accepter la décision du ministre,
car ce dernier est « satisfait ».
Le
processus décrit dans le projet de loi courant permettant d’annuler
la citoyenneté n’est pas conforme aux normes internationales, en
termes de solution adéquate. Des problèmes sérieux
sont présents. Les conséquences des décisions auront
un impact important sur la vie des personnes touchées. Cette situation
doit être reflétée dans les normes de justice offertes
en matière de procédure.
Recommandation
: Modifier
le projet de loi de façon à ce que les décisions touchant
l’annulation soient prises par un décideur indépendant, avec
le droit à des audiences et des recours complets, y compris le droit
à un avis, à la divulgation et à l’assistance d’un
avocat.
Les
pouvoirs du Cabinet pour refuser la citoyenneté sont trop vastes
Grâce
au projet de loi C-18 (articles 21 et 22), le Cabinet peut refuser d’octroyer
la citoyenneté en se fondant sur le fait qu’une personne «
a fait preuve de non-respect flagrant et important des principes et des
valeurs qui sont le fondement d’une société libre et démocratique
». La documentation du gouvernement cite les personnes qui commettent
des crimes haineux ou les personnes qui violent les droits de la personne
comme exemples de personnes contre lesquelles on peut utiliser la disposition.
Le Conseil canadien pour les réfugiés s’est engagé
à combattre les crimes haineux et les violations des droits de la
personne. Malgré tout, la disposition est préoccupante. Puisqu’il
n’existe aucune définition des principes et des valeurs, le Cabinet
pourrait les interpréter de plusieurs façons. Les gouvernements
futurs pourraient avoir des idées différentes des personnes
auxquelles nous devrions refuser la citoyenneté.
De
plus, l’absence de recours représente une préoccupation.Les
principes et les valeurs qui sont le fondement d’une société
libre et démocratique incluent le droit à un traitement équitable,
tel que mesuré par des normes claires. Une discussion à huis
clos du Cabinet, sans accès au processus et sans aucune définition
claire des conduites inacceptables, ne correspond pas à la définition
d’un traitement équitable.
L’article
28 comprend une longue liste d’interdictions, y compris des interdictions
touchant les personnes qui ont commis des crimes ou qui ne sont pas admissibles
selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
(par exemple, pour des violations des droits de la personne). S’il existe
d’autres catégories de personnes que le gouvernement désire
exclure de l’octroi de la citoyenneté, ce dernier devrait les ajouter
à l’article 28, plutôt qu’aux pouvoirs spéciaux du
Cabinet.
Recommandation
:
Supprimer les articles 21 et 22.
Interdictions
L’article
28 comprend une liste étendue des interdictions contre l’octroi
de la citoyenneté. Les alinéas 28(c) et (d) sont particulièrement
préoccupants pour les réfugiés. Ces alinéas
portent sur les accusations et les condamnations à l’extérieur
du Canada. Dans certaines parties du monde, elles font partie des tactiques
de persécution pour accuser faussement les opposants d’un gouvernement
de crimes graves. Au Canada, les réfugiés peuvent obtenir
une protection, car ils fuient des accusations fausses ou des condamnations
injustes dans leurs pays d’origine. Il serait extrêmement injuste
d’offrir une protection à des personnes accusées faussement,
puis de leur refuser la citoyenneté en raison de ces mêmes
fausses accusations. Les personnes qui sont arrivées au Canada sans
être réfugiées peuvent aussi avoir été
accusées ou condamnées faussement dans leur pays d’origine,
car elles peuvent s’être faites des ennemis en dénonçant
l’injustice.
Recommandation :
Modifier les sous-articles 28(c) et (d), afin d’inclure une exception pour
les accusations injustes ou les condamnations qui ont été
prononcées dans le cadre d’un processus inéquitable.
RECOMMANDATIONS
3.Ajouter
une disposition indiquant que la Loi doit être interprétée
d’une manière conforme au principe de réduction de l’apatridie.
4.Modifier
l’article 14, de façon à inclure une exception à la
règle sur la révocation de la citoyenneté si la personne
risquait de devenir apatride.
5.Supprimer
le sous-article 11(c) (« moins de 28 ans ») et (d) (résidence
au Canada) et modifier le sous-article (e) pour qu’il mentionne que «
la personne est apatride et n’est pas devenue apatride en renonçant
à sa citoyenneté ».
6.Supprimer
l’article 17 (révocation de la citoyenneté par le processus
de délivrance des certificats).
7.Modifier
le projet de loi de façon à ce que les décisions touchant
l’annulation soient prises par un décideur indépendant, avec
le droit à des audiences et des recours complets, y compris le droit
à un avis, à la divulgation et à l’assistance d’un
avocat.
8.Supprimer
les articles 21 et 22 (refus de la citoyenneté en se fondant sur
le fait qu’une personne « a fait preuve de non-respect flagrant et
important des principes et des valeurs qui sont le fondement d’une société
libre et démocratique ».
9.Modifier
le sous-article 28(c) (accusations criminelles à l’étranger)
et 28 (d) (condamnation à l’extérieur du Canada), afin d’inclure
une exception pour les accusations injustes ou les condamnations qui ont
été prononcées dans le cadre d’un processus inéquitable.