MÉMOIRE SUR LE PROJET DE LOI C-11
21 mars 2001
RÉSUMÉ
Introduction
- L’insistance marquée sur l’aspect de l’exécution
lors de la présentation du projet de loi C-11 favorise les stéréotypes
négatifs au sujet des réfugiés et des immigrants et
nourrit les comportements de xénophobie et de racisme au sein de la
société canadienne.
- Le projet de loi C-11 est une législation cadre, qui laisse
aux règlements le soin de couvrir de nombreuses règles importantes.
Cette lacune est préoccupante, car elle offre aux responsables de
la réglementation une grande latitude sans qu’ils n’aient
à rendre compte au parlement.
- Le projet de loi C-11 tend à conférer davantage de pouvoirs
discrétionnaires aux agents d’immigration et à restreindre
les protections individuelles. Le CCR demande le contraire.
- Le CCR accueille favorablement l’ajout d’une section distincte
intitulée « Protection des réfugiés ».
Toutefois, le Conseil aimerait que cette section du projet de loi couvre
un plus grand nombre de programmes pour les réfugiés, notamment
le programme de réinstallation des réfugiés et les demandes
de résidence permanente de la part de réfugiés (présentement
couverts dans la Partie 1 du projet de loi, « Immigration au Canada »).
- L’usage du terme « étranger » pour
désigner tous les non-citoyens, y compris les résidents permanents,
souligne la différence des non-Canadiens et mine la condition des
résidents permanents en tant que membres de la société
canadienne.
Obligations en matière de droits de la personne
- Le projet de loi C-11 réfère davantage aux droits de
la personne que ne le fait l’actuelle Loi sur l’immigration
(par exemple, en offrant une protection contre le renvoi vers un pays où
la personne risque d’être soumise à la torture, comme
le garantit la Convention contre la torture, et en faisant référence
à l’intérêt supérieur de l’enfant).
Cependant, le projet de loi ne garantit pas de façon uniforme que
ses dispositions répondent aux obligations en matière de droits
de la personne. Le CCR demande instamment l’incorporation des instruments
internationaux pertinents à ce chapitre.
Réinstallation des réfugiés
- Le projet de loi devrait être amendé afin d’exclure
la possibilité de fixer des quotas ou des limites numériques
aux catégories de réfugiés.
- Le CCR accueille favorablement l’inclusion au projet de loi C-11
d’une exemption d’interdiction de territoire à l’égard
des réfugiés réinstallés, pour le motif qu’ils
risquent de constituer un fardeau excessif pour les services de santé.
- La proposition de réduire l’impact du critère d’« établissement
réussi » est une mesure positive mais incomplète.
Le CCR recommande l’élimination complète de ce critère.
- Le projet de loi ne prévoit aucun mécanisme de révision
pour les demandes de réinstallation refusées et impose une
demande d’autorisation pour tout contrôle judiciaire par la Cour
fédérale. Le CCR recommande que les demandeurs étrangers
puissent s’adresser à la Section d’appel des réfugiés
de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
Reconnaissance du statut de réfugié au Canada
- Le projet de loi multiplie les obstacles à l’accès
au processus de reconnaissance du statut de réfugié, notamment
en interdisant une deuxième demande ou toute demande comportant des
éléments concernant la criminalité ou la sécurité.
Le CCR recommande qu’on accorde à tous les demandeurs l’accès
à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié
et que toutes les questions d’admissibilité y soient traitées.
Seules les questions d’admissibilité couvertes par la Convention
relative aux statut des réfugiés devraient être retenues.
Les nouvelles demandes devraient être traitées par le biais
d’un mécanisme de réouverture.
- Le CCR accueille favorablement le regroupement du pouvoir de décision
à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié
(l’examen des risques est retirée de Citoyenneté et Immigration
Canada, qui en est présentement chargé). L’inclusion
d’une protection pour les personnes susceptibles d’être
soumises à la torture, comme le demande la Convention contre la torture,
est un changement positif. Cependant, la Convention interdit tout renvoi
vers un pays où la personne risque d’être soumise à
la torture, alors que le projet de loi prévoit certaines exceptions.
En outre, la définition d’examen des risques est restrictive
en ce qu’elle exclut les risques communs dans le pays d’origine.
Le CCR recommande, outre la modification de ces points, l’ajout d’une
disposition sur la protection des apatrides.
- Aux termes du projet de loi C-11, la plupart des demandes seront entendues
par un seul membre de la Commission, sans qu’il ne soit possible de
se faire entendre oralement en appel. Cela signifie qu’un réfugié
ne sera entendu qu’une fois. Cette situation vient confirmer les préoccupations
de longue date du CCR en ce qui concerne le processus de nomination des membres
de la Commission. Il conviendrait d’établir, dans les meilleurs
délais, un processus de sélection transparent, professionnel
et responsable.
- Le CCR salue l’inclusion d’une disposition prévoyant
un appel pour les demandes de statut de réfugié. L’absence
d’un appel fondé sur les mérites constitue l’une
des principales lacunes de l’actuel processus de détermination
du statut de réfugié. Toutefois, le CCR demande qu’on
renforce le processus d’appel en permettant une audition orale lorsqu’il
est question de crédibilité ainsi que la présentation
de nouvelles preuves, en clarifiant l’indépendance et la supériorité
hiérarchique de la Section d’appel des réfugiés
et en permettant l’appel au regard de demandes déclarées
abandonnées.
- Le CCR accueille favorablement l’introduction dans le projet
de loi d’un examen des risques avant renvoi, en ce que cette disposition
reconnaît la nécessité d’examiner les risques que
pourraient courir les personnes en instance de renvoi. Toutefois, les catégories
de personnes qui pourront se prévaloir de cette disposition sont limitées
(et insuffisamment définies, en raison de problèmes de rédaction).
Pour des motifs d’équité et d’efficacité,
l’examen des risques avant renvoi devrait être effectué
par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié
et non par Citoyenneté et Immigration Canada.
- Le projet de loi prévoit la suspension du renvoi des personnes
jugées en danger, mais elles se trouveront dans un vide juridique
lorsque des questions de criminalité ou de sécurité
sont en cause. Les personnes coupables de crimes contre l’humanité
doivent être poursuivies au Canada. Les autres doivent pouvoir demander
le statut de résidents permanents (certaines personnes peuvent avoir
été reconnues coupables dans des simulacres de jugement pour
des crimes qu’elles n’ont pas commis).
- Le projet de loi permet le refoulement de personnes dans des pays où
elles risquent la torture ou la persécution, ce qui va à l’encontre
des obligations internationales en matière de droits de la personne.
L’interdiction de renvoi vers un pays où la personne risque
la torture ne connaît aucune exception. Le refoulement de réfugiés
n’est permis que lorsque le réfugié représente
un danger pour le public, et non dans les cas jugés contraires à
l’intérêt national. Ces dispositions doivent être
corrigées afin de les rendre conformes aux obligations internationales.
- Il faut ajouter des dispositions interdisant le refoulement vers des
pays ou des régions dans lesquels la personne court un danger, dans
les cas où l’on n’a pas jugé que la personne a
besoin de protection du fait qu’elle possède plus d’une
nationalité ou qu’il y a possibilité de refuge intérieur.
Détention
- Le CCR s’oppose énergiquement aux propositions visant
à augmenter les pouvoirs de détention, qui permettent la détention
pour des motifs de commodité administrative ou de suspicion ou pour
des motifs d’identité, qui offrent une plus grande latitude
pour effectuer des détentions sans mandat et permettent d’établir
des liens entre le mode d’arrivée et le risque de détention.
Le CCR recommande que les seuls motifs de détention soient le danger
pour le public et le risque de fuite.
Demandes de résidence permanente par des réfugiés
- Les demandes de résidence permanente par des réfugiées
devraient être couvertes en vertu de la Partie 2, Protection des réfugiés.
- Les personnes acceptées par la Commission de l’immigration
et du statut de réfugié ou au terme de l’examen des risques
avant renvoi (ERAR) comme réfugiées ou personnes à protéger
devraient se voir accorder le statut de résident permanent automatiquement,
par effet de la loi.
Réunification des familles
- Le CCR accueille favorablement les diverses propositions favorisant
la réunification des familles, mais regrette qu’elles n’aient
pas été intégrées au projet de loi. L’unité
familiale est un droit et, à ce titre, devrait être protégée
dans le projet de loi. Plus particulièrement, les conjoints et les
enfants des réfugiés reconnus au Canada devraient pouvoir se
rendre au Canada pour y faire examiner leur cas. La situation économique
(p. ex. reçu d’aide sociale) ne devrait jamais empêcher
la réunification.
- Le projet de loi augmente le pouvoir de recouvrer des créances
associées à l’engagement d’un répondant.
Il faudrait établir un mécanisme d’examen des circonstances
humanitaires avant d’engager des mesures de recouvrement à l’égard
d’un répondant.
- La durée d’engagement du conjoint sera réduite
de 10 à 3 ans, ce qui est une proposition très appropriée.
Cette disposition devrait être élargie pour intégrer
les fiancés et les enfants.
Interdiction de territoire et résidence permanente
- Le projet de loi élargit les catégories au regard de
l’interdiction de territoire, et ajoute des catégories extrêmement
vastes (p. ex. participation à des activités criminelles organisées
et fausses déclarations). Le CCR demande, au contraire, qu’on
rétrécisse les catégories d’interdiction de territoire
présentement en vigueur.
- Les dispositions actuelles concernant le renvoi de personnes pour motif
de risque présumé pour la sécurité sont injustes,
tant en raison des définitions larges qui sont utilisées que
de l’absence de protections individuelles sur le plan des procédures.
Le projet de loi C-11 fait encore référence au « terrorisme »
sans le définir et au fait d’être « membre
d’une organisation » sans poser la condition que la personne
constitue un risque pour la sécurité.
- Les résidents permanents accusés pour des motifs de sécurité
perdent le droit au Comité de surveillance des activités du
renseignement de sécurité. Le CCR demande qu’on réduise
la portée de la définition, qu’on accorde l’accès
au Comité de surveillance des activités du renseignement de
sécurité aux résidents permanents et à d’autres
personnes et qu’on permette d’en appeler d’une décision
de la Cour fédérale concernant l’émission d’un
certificat pour des motifs de sécurité. Il faudrait retirer
les dispositions relatives à la détention obligatoire des personnes
n’ayant pas le statut de résident permanent.
- Le CCR recommande qu’on réintègre un mécanisme
concernant les permis pour les résidents de retour au pays, afin que
les résidents permanents qui se rendent à l’étranger
soient assurés à l’avance que leur situation est conforme
à la loi et qu’ils ne perdront pas leur statut.
- Tous les résidents permanents devraient pouvoir être entendus
oralement par la Section d’appel de l’immigration. Cela inclut
les personnes interdites de territoire pour raison de criminalité,
de sécurité, pour atteinte grave aux droits de la personne
ou criminalité organisée. Ces catégories sont très
vastes et comprennent des personnes qui n’ont été reconnues
coupables d’aucun crime. Même dans les cas de personnes ayant
commis un crime, il convient d’examiner les circonstances humanitaires
(p. ex. si la personne vit au Canada depuis son enfance).
- On étend les pouvoirs des agents d’immigration de contrôler
des personnes non citoyennes, y compris des résidents permanents,
à l’intérieur du territoire canadien (plutôt qu’uniquement
aux frontières, comme c’est présentement le cas). Le
CCR s’oppose à ce changement, qui fait en sorte de traiter les
non-Canadiens comme s’ils vivaient constamment à nos frontières,
plutôt que de constituer des membres de la société canadienne.
Interception
- Le gouvernement a annoncé son intention de renforcer les mesures
d’interception, c’est-à-dire les mesures visant à
interdire l’entrée au Canada aux voyageurs ne disposant pas
de tous les documents requis. Le CCR s’inquiète vivement de
l’impact de ces mesures sur les réfugiés qui, dans des
conditions de persécution, n’ont souvent d’autres choix
que d’utiliser des moyens illégaux pour se déplacer.
Le CCR demande que le projet de loi restreigne les activités des agents
d’immigration intervenant dans les mesures d’interception à
l’étranger et d’inclure l’obligation de protéger
les réfugiés.
- Il ne faudrait pas imposer de sanctions aux transporteurs (c.-à-d.
amendes aux transporteurs, comme les compagnies aériennes et les agences
maritimes) lorsque les personnes amenées au Canada sont définies
subséquemment comme des réfugiées, étant donné
que des organisations qui ont permis à des réfugiés
de fuir la persécution ne devraient pas être punies. On ne doit
pas imposer de sanctions aux transporteurs maritimes pour avoir emmené
des passagers clandestins au Canada, car ces sanctions constituent une incitation
à les jeter par-dessus bord.
- Le projet de loi C-11 n’impose pas de pénalités
aux personnes subséquemment déclarées réfugiées.
Il s’agit là d’une initiative positive mais insuffisante,
car elle ne couvre pas le cas des personnes interdites de territoire à
l’étranger et qui, de ce fait, ne sont pas reconnues comme réfugiées,
ni le cas des personnes qui, pour des motifs humanitaires, ont aidé
des réfugiés à entrer au Canada.
- Le CCR s’inquiète vivement de l’augmentation significative
constatée dans la portée des infractions et les pénalités
associées à l’exécution de la loi. On considère
les infractions à la frontière comme des crimes particulièrement
sérieux, ce qui n’est aucunement justifié, de l’avis
du CCR. Il importe de noter qu’alors que la plupart des gens de race
blanche ont le loisir de voyager où ils veulent dans la légalité,
ce n’est pas le cas pour bien des membres de minorités raciales.
L’escalade des infractions et des pénalités, qui laisse
entendre que le Canada est menacé par les étrangers, aura un
impact particulièrement sérieux sur ces groupes.
- Le projet de loi aborde le problème de la traite des humains
(asservissement d’êtres humains) par une augmentation des pénalités
pour ce crime. Cependant, le CCR s’inquiète de ne pas y trouver
de dispositions visant à protéger les droits des victimes.
- Le CCR souligne l’importance d’examiner le projet de loi
dans une optique d’égalité des sexes et un point de vue
antiraciste. Cette perspective révèle de nombreux points positifs,
mais aussi bien des éléments préoccupants.